Son rapport sur la fin de vie tout juste remis au Premier ministre le 2 décembre dernier [1], Jean Leonetti entamait les auditions de la mission de révision de la loi de bioéthique dont il est le rapporteur. Mais le député maire d'Antibes n'est pas homme à laisser le travail inachevé. Il défendra le 17 février prochain dans l'hémicycle une proposition de loi destinée à mettre en œuvre un congé d'accompagnement de fin de vie.

 

Le travail du député n'est pas passé inaperçu à Rome. En recevant le 26 janvier en audience solennelle le nouvel ambassadeur de France près le Saint-Siège, Benoît XVI a tenu à faire part de sa satisfaction devant le travail accompli par la mission Leonetti : Je me réjouis que la mission parlementaire sur les questions relatives à la fin de vie ait rendu des conclusions sages et pleine d'humanité en proposant de renforcer les efforts pour permettre de mieux accompagner les malades [2] .
Parmi les conclusions qui ont retenu l'attention du Pape, il en est une qui lui tient particulièrement à cœur pour l'avoir lui-même avancée récemment. C'était le 25 février 2008 devant les participants d'un Congrès international sur la fin de vie organisé par l'Académie pontificale pour la Vie : Du côté de la réglementation du travail, on reconnaît habituellement des droits spécifiques aux membres de la famille au moment d'une naissance ; de la même manière des droits similaires devraient être reconnus aux parents proches au moment de la phase terminale de la maladie d'un de leurs parents [3] . Hasard ou non, le Rapport Solidaires devant la fin de vie en fait une recommandation concrète qui sera présentée à la mi-février par Jean Leonetti à l'Assemblée nationale.
La mort aujourd'hui en France
Une simple donnée fera comprendre la pertinence de cette proposition. L'enquête nationale MAHO (mort à l'hôpital) du docteur Edouard Ferrand publiée l'année dernière sur les conditions de décès des Français à l'hôpital révèle que les trois quart des malades sont seuls au moment de leur trépas. Cette étude, en dévoilant l'état de désocialisation qui règne en fin de vie, a profondément marqué les esprits.
De plus la mort des Français est massivement institutionnelle puisque 75 % des patients décèdent dans des établissements hospitaliers au sens large (hôpital et maisons de retraite) alors que plus de 80% de nos concitoyens souhaiteraient mourir chez eux entourés des leurs. On peut en conclure qu'aujourd'hui la mort est gérée par l'Etat, la famille ayant déserté largement le temps qui la précède. A la solidarité de jadis s'est substituée une solitude d'aujourd'hui, particulièrement effrayante dans les grands centres urbains de nos modernes cités. N'est-ce pas ce contexte sociologique qui explique pour une large part que prospère la revendication de la dépénalisation de l'euthanasie ?
La mort n'est plus assumée par la communauté et les grands récits qui la portaient. La société ne permet plus d'en décrypter la signification si bien que c'est au malade seul d'en produire le sens. D'où ce sentiment général de peur face à elle. Comment réussir sa mort pour reprendre le titre d'un ouvrage du philosophe Fabrice Hadjadj, quand celle-ci n'est plus pensée collectivement ? La mort est refoulée, interdite , selon l'expression de Philippe Ariès [4]. Le mourant est devenu obscène, littéralement relégué de la scène quotidienne de nos vies.
Un impact symbolique fort
Selon Jean Leonetti, rémunérer des périodes d'accompagnement d'un proche en fin de vie pourrait donc avoir un impact symbolique déterminant pour changer nos mentalités. On peut en effet voir cette mesure comme un message puissant adressé à l'ensemble de la société. Redonner un statut à celui qui va mourir et encourager celles eu ceux qui voudraient l'accompagner jusqu'à la fin est un moyen très concret de lutter contre le déni contemporain de la mort. La mise en place de cette disposition pourrait aussi contribuer à retisser les liens familiaux dont on a pu voir la déchirure à l'occasion de la canicule de l'été 2003.

Jusqu'ici existe la possibilité de bénéficier d'un congé de solidarité familiale prévu par le Code du travail pour assister un proche en fin de vie. Le salarié ne perçoit cependant plus de rémunération. Or, pour le docteur Régis Aubry, président du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement, notre société valorise le temps de naissance en reconnaissant et en rémunérant le congé maternité et le congé paternité. Le non-financement du congé d'accompagnement de la fin de vie peut matérialiser une forme de dénégation sociétale de la mort .
Le dispositif envisagé
Leonetti a déjà dessiné le périmètre de cette mesure dans son Rapport. Le congé serait de droit pour tout salarié qui présenterait à son employeur un certificat du médecin traitant attestant la fin de vie du malade. Il concernerait exclusivement l'accompagnement à domicile de manière à opérer un tournant culturel réclamé par beaucoup : déplacer la mort à l'hôpital vers le foyer en lui redonnant une signification familiale et familière. D'une durée de 15 jours à prendre à plein temps ou d'un mois à mi-temps, il inclurait les ascendants, les descendants et les personnes vivant à domicile du malade.
Sa rémunération pourrait être en partie couverte par plusieurs transferts de charges financières. En effet, dans une majorité de cas, les personnes désirant assister leur proche demandent à leur médecin de leur prescrire des arrêts maladie : Pendant les onze années où j'ai été médecin généraliste, je n'ai personnellement jamais refusé – je vais peut-être me faire taper sur les doigts – un arrêt maladie à une personne pour rester auprès d'un proche. Cela me semble le b.a-ba de l'humanité et du prendre soin [5] a pu dire le docteur Godefroy Hirsch, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, lors de son audition du 9 septembre 2008. Sans oublier que l'absence de rémunération engendre au final des inégalités entre les personnes qui ont les moyens de s'arrêter et celles qui ne le peuvent pas.
Par ailleurs, plusieurs personnes entendues par la mission parlementaire ont insisté sur le cercle vertueux qui ne manquerait pas de s'instaurer : accompagner son proche faciliterait le travail de deuil et donc préviendrait à son tour des dépressions coûteuses en terme d'arrêt de travail.
Enfin, assister à la maison celui qui va mourir pourrait éviter des hospitalisations intempestives. Plusieurs études, d'après le rapport Leonetti, ont montré que le coût d'une hospitalisation est supérieur à celui de soins palliatifs délivrés au domicile auquel s'ajoute celui de la rémunération de proches accompagnant le malade.
Quoi qu'il en soit, il est certain qu'on ne connaît pas à ce jour les taux de recours à ce dispositif une fois qu'il sera instauré. Certains observateurs estiment les demandes de ce nouveau congé à plus de 20 000 par an. Il est possible en outre qu'il modifie à terme les comportements des Français contribuant à un début de réappropriation de la mort. Comme il l'a laissé entendre dans son Rapport, le député Leonetti demandera devant le Parlement que ce congé d'accompagnement soit introduit à titre expérimental sur un territoire donné, un peu comme cela a été fait avec le revenu de solidarité active.
Une chose est sûre : accepter ce temps essentiel en le finançant témoigne d'un choix culturel qui honore les responsables politiques. C'est le choix de la sollicitude humaine envers les plus fragiles qui permet ni plus ni moins à une société de demeurer humaine et de témoigner du sens qu'elle accorde à la vie [6] .
[ ] Jean Leonetti, Solidaires devant la fin de vie, Rapport d'information n. 1287, Assemblée nationale, décembre 2008.
[2] Benoît XVI, Discours à M. Stanislas Lefebvre de Laboulaye, nouvel ambassadeur de France près le Saint-Siège, 26 janvier 2009.
[3] Benoît XVI, Discours aux participants du Congrès Aux côtés du malade incurable et de la personne en fin de vie : orientations éthiques et pratiques , 25 février 2008.
[4] Philippe Ariès, Essai sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours, Points histoire, 1999.
[5] Docteur Godefroy Hirsch, audition du 9 septembre 2008.
[6] Docteur Régis Aubry, audition du 30 avril 2008.
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