Éducation et enseignement : le rôle-clé de la famille

C’est un tabou bien ancré : celui du rapport interdit entre la mauvaise santé de la famille et le mauvais état de l'éducation et de l'enseignement. Aux chrétiens de dire que la famille est non seulement une idée neuve, mais bien une condition du rétablissement de l'éducation, du respect de l'autorité et de la transmission des connaissances.

DANS LE CADRE de la réflexion sur la famille engagée par l’Eglise, il est un point important à souligner : le rapport très étroit entre la famille, l’éducation et l’enseignement.

Une vérité évidente mais que l'on tait pieusement

Que la famille soit le premier lieu de l’éducation, voilà qui coule de source. En revanche, le lien entre éducation familiale et enseignement paraît moins évident. Il est pourtant essentiel. S’il n’a pas été suffisamment étudié jusqu’à maintenant, cela tient davantage à des motifs idéologiques qu’à un manque de perspicacité concernant leurs possibles rapports. Bien souvent on ne trouve que ce que l’on veut bien chercher... Il en est ainsi avec des sujets sensibles comme la famille. Pour certains, s'intéresser à celle-ci trahirait un réflexe « droitier »... Les pires œillères ne résultent pas de carences cognitives, mais de partis pris idéologiques.

Mais faisons abstraction des idées reçues, des tabous ou de l'omerta de la bien-pensance. Tout homme de bon sens souscrira volontiers à cette vérité que la cellule familiale est le premier lieu de l'éducation de l’enfant. Point n'est besoin pour cela d'être chrétien, même si les catholiques éprouvent souvent le sentiment d'être un peu seuls à soutenir cette évidence, à rafraîchir les mémoires à ce sujet. C'est ainsi que Jean-Paul II tenait à rappeler très fortement que la tâche de l'éducation incombe par nature aux parents. À tel point que ces derniers ont le droit de choisir l'établissement qui assurera la scolarité de leur progéniture. Mieux : c'est en leur nom que les personnes à qui sont confiés leurs enfants, exercent leur fonction d'éducateur.

Si cette vérité mérite d'être soulignée plus fortement que jamais, ce n'est pas seulement afin de ne jamais perdre de vue que la famille constitue parfois le dernier rempart contre la force intrusive des idéologies totalitaires, le premier îlot de résistance au matraquage d'endoctrinement des régimes politiques désirant promouvoir un « homme nouveau ». La famille est également le cadre qui assure les meilleures conditions à la réception de l'enseignement prodigué aux enfants. C'est pourquoi il convient de saisir le lien vital entre éducation et enseignement, ainsi que la fonction de trait d'union entre les deux qu'assure la famille.

L'école est devenue éducatrice à cause de la crise de la famille

L'éducation n'est pas l'enseignement. La première donne à l'enfant le cadre moral nécessaire à son existence, l'initie aux codes de toute vie en société, tout en lui apprenant à intérioriser ses règles afin de se les approprier. De son côté l'enseignement consiste en la dispensation de savoirs.

À première vue, c'est donc à tort que le ministère de l'Enseignement public a été rebaptisé ministère de l'Éducation nationale. La première fonction de l'école consiste à délivrer des connaissances. La société, en se résignant à lui déléguer celle d'éduquer, n'a fait qu'entériner un état de fait : la mauvaise santé de la famille. Est-il besoin de rappeler que près d'un couple sur deux divorce ? Certes, il n'est pas question ici de faire un cours de morale, ni de juger les personnes. Cependant, à trop s'habituer au divorce, on finit par le banaliser, et au final par se résigner à la déliquescence de la famille.

Car malheureusement cette mauvaise santé de l'institution familiale ne limite pas ses effets à la sphère privée. Elle les répercute sur l'enseignement. Autrement dit la crise de la famille impacte toute la société. Les familiers de la doctrine sociale de l'Église ont intégré cette vérité depuis longtemps. En revanche, il n'est pas sûr qu'il en aille de même pour les gourous du magistère de l'idéologie postmoderne.

Il est en effet des sujets que la bien-pensance se garde bien d’aborder, comme les foyers monoparentaux par exemple. Pourquoi ces derniers représentent-ils un tel tabou ? Rares sont en effet les études qui leur sont consacrées, ainsi qu'aux conséquences qui en résultent sur l'éducation et l'enseignement. Les théoriciens de l'éducation et de l'école se condamnent à tâtonner indéfiniment et à l’échec en s'interdisant a priori cette piste de recherche. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre...

Respect de l'autorité et faculté de concentration

Revenons au cœur de notre sujet : le lien entre éducation et enseignement. Pour apprendre, l'élève a besoin de deux choses fondamentales : le respect de l'enseignant (qui va de pair avec la croyance en sa véracité et en l'exactitude des connaissances qu'il dispense à ses élèves) et une capacité d'attention soutenue. Or toutes les deux sont le fruit de l'éducation.

Un élève « mal élevé » n'est pas forcément un enfant plus mauvais que les autres. Seulement le foyer familial décomposé où il vit, en lui faisant perdre ses repères, a sapé sa compréhension de l'autorité. Ayant été témoin de la dislocation de ce qui était fait pour durer (le couple), il ne sait plus à qui, ou en quoi, remettre sa confiance.

En effet, il n'existe pas de respect de l'autorité sans confiance. Inconsciemment (ou pas), l'enfant d’un foyer monoparental sait que la parole d'amour dont il est issu (le « oui » échangé par ses parents) n'a pas tenu. Or le mariage étant l'institution la plus importante et la plus ancienne de l'humanité, ce « oui » est l'archétype de toute confiance donnée et reçue, le modèle de tous les autres engagements, ainsi que le socle sur lequel est fondée l'autorité que les géniteurs sont en droit de revendiquer envers leurs enfants.

Si bien que la rupture entre époux va malheureusement se décliner pour l’enfant en de multiples défiances envers les autres détenteurs de l'autorité. À la suite de l'échec de l'engagement matrimonial, fondé sur le « oui » performatif initial qui n'a pas tenu ses promesses (ce n'est pas le lieu d'envisager ici les multiples causes de rupture chez les couples mariés), la parole du maître d'école sera à son tour dépréciée par l'enfant qui est la première victime du divorce. De plus, si l'élève ne « comprend » plus l'autorité dont est investi celui qui l'enseigne, il y de fortes chances qu'il n'accorde par contrecoup à l'enseignement donné qu'une attention minimale, voire aucune créance.

Idem pour sa faculté de concentration. Celle-ci est le fruit d'une éducation attentive et soutenue. Les parents doivent veiller à ce que l'enfant ne passe pas trop de temps devant l'écran, ne devienne pas dépendant des réseaux sociaux. Mais aussi à ce qu'il prenne goût à la lecture. Comment s'y prendre pour cela ? Par l'exemple, ainsi que par l'encouragement, quand ce n'est pas par l'obligation. Ce qui suppose que l'autorité dont sont investis les parents soit suffisamment respectée par l'enfant. Ce dernier leur obéira d'autant plus facilement qu'il reconnaîtra, même en rechignant, que ses géniteurs le poussent à lire pour son bien, et non par besoin arbitraire de démontrer leur prééminence. Avant d'être l'affaire de l'enseignant, la capacité de concentration est celle des parents.

C'est ici que les foyers monoparentaux se révèlent déficients, même si la faute ne peut être imputée au parent isolé. Encore une fois, il s'agit de ne jeter la pierre à personne. Cependant, qui niera qu'une mère esseulée a souvent toute les peines du monde à soustraire l'enfant aux tentations hypnotiques d'Internet, de la télévision ou des jeux video ? Privée du soutien de son conjoint, du père de l'enfant, son autorité est souvent battue en brèche. Il en va de même pour le père qui se retrouve seul à élever ses enfants.

Pour toutes ces raisons, le manque d'autorité à l'intérieur de la cellule familiale influe sur le respect que l'élève doit à ses maîtres, et conséquemment sur ses facultés de concentration. Difficile de gérer un « enfant-toupie » dans une classe ! Non content de ne pas prêter attention à ce que dit l'enseignant, de surcroît il perturbe son cours. De telle sorte qu'entre les avertissements, les opérations de police et les esclandres subséquents, le cours, dont l'espace de temps était fixé initialement à une heure, se retrouve amputé de moitié dans sa durée ! Dans ces conditions, il est bien évident que la transmission du savoir devient très problématique.

Ni « grand frère » ni papa de substitution

Ce n'est pas en inculquant aux élèves les beaux « principes » de la République au détriment de l'enseignement de l'histoire ou de la géographie que le calme reviendra dans une salle de cours où l'enseignant peine à instaurer une relation d'autorité envers ses élèves. Si la confiance envers le détenteur du savoir n'a pas été intériorisée par l'enfant, tenter de lui bourrer le crâne avec de belles abstractions ne servira pas à grand chose.

Cette confiance envers les autorités, quelles qu'elles soient (policiers, politiques, enseignants, dignitaires religieux) c'est dans sa famille qu'elle a initialement germé. Les premiers modèles, ici aussi, restent les parents. Comme ce sont eux qui apprendront à l'enfant à faire passer ses désirs après la parole du maître à l'école.

Voilà pourquoi l'apprentissage d'une « morale laïque » est si problématique. L'école devrait davantage se concentrer à transmettre ce qui relève des faits et des connaissances, ce qui est, que ce qui est de l'ordre des grands principes, ce qui devrait être. Non pas que l'enseignant ne doive pas rappeler en temps opportun les règles élémentaires de civilité et de politesse. Mais il n'a pas à s'y épuiser. Sinon, il n'est plus un enseignant, mais un éducateur. Souvent peu crédible au demeurant, car n'ayant pas appris les ficelles de la profession.

Ni papa de substitution, ni « grand frère », en théorie l'enseignant exerce sa profession pour faire aimer la discipline qu'il enseigne et dispenser un savoir. Mais que faire avec un enfant que ses parents n'ont pas éduqué ? Comment canaliser son énergie anarchique qui reste indifférente à ce qui lui est transmis ? Comment lui faire comprendre que l'apprentissage des règles de grammaire et la mémorisation de l'histoire du pays dont il parle la langue, et dont la culture irrigue l'existence de ceux avec qui il est appelé à vivre, sont plus importants que le dernier SMS envoyé sur son portable par son voisin de table ?

Une vision intégrale de l'homme

Tout est lié. « Tout est dans tout, et réciproquement », selon l'expression consacrée, qui n'est pas seulement une boutade. La postmodernité cultive une conception de l'homme trop compartimentée, trop saucissonnée. Notre époque a consacré le règne des spécialistes : spécialistes de la famille, de la « vie de couple », spécialiste de l'éducation, spécialistes en addiction numérique, pédopsychiatres de tout acabit, etc. Cependant que dans le même temps, l'idéologie postmoderne demeure impuissante à détecter et comprendre les passerelles qui existent entre ces différents domaines de l'existence.

Aussi, sans remettre en question les compétences de ces spécialistes, l'heure ne serait-elle pas venue d'analyser les problèmes de l'enfant à l'école plus globalement ? Vouloir comprendre la chute du niveau scolaire sans prendre en considération les attendus des ratés de l'éducation, c'est se condamner à rester aveugles aux vrais défis qui nous attendent. De même, vouloir remédier à la perte du sens de l'autorité chez les enfants sans la relier à la crise très grave traversée par l'institution familiale, revient à se bander les yeux, et à ne porter attention qu'aux seules conséquences, sans prendre en compte les causes principales.

Traiter les causes avant les effets

Il ne sert à rien de déplorer les malheurs, si nous ne désirons pas voir ce qui les génère. La famille est la clef de compréhension des soubresauts que traverse l'Éducation nationale. Sur ce terrain aussi vaut le célèbre et puissant apophtegme de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Sans familles fortes, confiantes en leurs missions, assurées en leurs fondements anthropologiques (que l'on pense au gâchis que constitue à cet égard le « mariage pour tous »), le respect de l'autorité, ainsi que les conditions requises pour la transmission des savoirs, première fonction de l'école, seront compromis. N'ayons pas peur d'annoncer cette vérité, malgré les gros yeux que ne manquera pas de nous lancer le « politiquement correct ». Aimer et faire aimer la famille, ne vous transforme pas automatiquement en nostalgique de Vichy !

Cependant il ne suffit pas de la faire aimer. Il est nécessaire surtout de préciser les motifs profonds qui nous poussent à le faire. Parmi ceux-ci, le souci d'une bonne éducation et des meilleures conditions possibles pour faciliter l'enseignement, ne sont pas les moindres. Tout se tient en l'homme. Si les éducateurs et les enseignants désirent unifier le cœur et l'esprit des enfants qui leur sont confiés, qu'ils commencent par s'aviser de faire la promotion de la cellule de base au sein de laquelle l'homme fait ses premiers pas : la famille. Sinon, les remèdes s'apparenteront davantage à des bandages sur une jambe de bois, qu'à des tuteurs solides et efficients.

Les crises de l'éducation et de l'enseignement sont liées substantiellement à celle qui touche la famille. Si l'on veut remédier aux deux premières, il sera nécessaire au préalable de s'attaquer aux causes de celle qui affecte celle-ci, la première en importance.

Faire connaître la sagesse de l'Église

L'Église n'a pas à avoir honte de la conception traditionnelle de la famille qui est la sienne, et qu'elle s'efforce d'expliquer à nos contemporains. Pédagogie d'autant plus difficile à exercer aujourd'hui qu'un brouhaha, qui ne lui est pas favorable, monopolise et pollue les ondes. Le microcosme politico-médiatique ne porte pas spécialement dans son cœur le thème de la famille, et encore moins la conception de celle-ci telle que l'enseigne le magistère de l'Église.

Cependant la difficulté ne doit pas nous faire reculer. Il n'y a pas de honte à faire la promotion des conditions du bonheur individuel, ainsi qu'à traiter à la racine les maux qui affectent la société tout entière. Il est temps que la réflexion sur l'école, qui butte sur la double difficulté de l'autorité et de la transmission, fasse désormais bon accueil à la thématique de la famille. C'est à cette condition que cette réflexion aura quelque chance de déboucher sur des résultats concrets encourageants.

 En cette période post-soixante-huitarde, qui a hérité de sa devancière un manque cruel d'assises et de repères, c'est du réel qu'il faut partir, non de grandes déclarations liminaires. Celles-ci, aussi sublimes qu'elles soient, se révèleront impuissantes à enjamber les obstacles concrets qui jalonnent la route de l'éducation, aussi longtemps qu'elles ne prendront pas appui sur le premier sol nourricier de l'enfant, le réel dont il est question plus haut, et sur le socle duquel il est nécessaire de partir afin de bâtir durablement. Ce réel, incontournable et primordial, c'est bien sûr la famille.

 

Jean-Michel Castaing est essayiste et théologien. Dernier ouvrage paru : 48 Objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator).

 

 

 

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