Si la mention d'une référence à Dieu ou à l'héritage chrétien de l'Europe dans la future constitution européenne devait avoir un quelconque caractère normatif et entraîner des effets de droit précis, on comprendrait les inquiétudes de tous ceux qui sont attachés à la laïcité du pouvoir politique, dans les différents pays, spécialement en France.

Si une telle mention ne s'inscrit par contre que dans une évocation littéraire des sources de la civilisation européenne, on comprendrait mal qu'une réalité historique aussi évidente que l'influence chrétienne dans l'histoire de l'Europe, soit passée sous silence.

Quoi qu'il en soit, il demeure étonnant que la France se singularise dans ce débat par un laïcisme intransigeant aussi bien quand la gauche est au pouvoir que, ce qui est plus étonnant, quand c'est la droite.

S'il est vrai que la séparation de l'Église et de l'Église et la laïcité sont un héritage fort de l'histoire de France, l'histoire de notre pays ne se résume pas aux convulsions de 1792-94 ou de 1902-1905. Dans un passé plus lointain, la France se considérait comme " la fille aînée de l'Église " et cela aussi fait partie de son histoire. À vrai dire, de ces deux dimensions, l'une est le corollaire de l'autre. Le laïcisme exacerbé est une réaction moderne aux liens privilégiés et sans doute excessifs qui prévalaient antérieurement entre l'Église et l'Église français.

Mais aussi curieux que cela paraisse, Dieu n'est pas, de nos jours, aussi absent qu'on le croit de la constitution de la République, surtout depuis 1973 où une célèbre décision du Conseil constitutionnel (1) a donné force juridique – et pas seulement symbolique -, au préambule de la Constitution. Et celui de la Constitution de 1958, suivant en cela celle de 1946, renvoie explicitement à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

Or cette déclaration fut faite, selon son préambule, " en présence et sous les auspices de l'Être suprême ". Vague référence philosophique dira-t-on. Non, l'expression " l'Être suprême " se trouve sous la plume de Bossuet (2). Moins que de la philosophie des Lumières, elle relève de la rhétorique classique. Avant que Robespierre n'en fasse le symbole d'une nouvelle religion, ce mot n'avait pas de connotation antichrétienne, au contraire. " Sous les auspices de l'Être suprême " n'est qu'une manière un peu pompeuse de dire " avec la bénédiction de Dieu ".

Il est vrai que le préambule de la Constitution ne se réfère qu'aux " principes de la Déclaration " et non à la Déclaration proprement dite. L'a t-on fait exprès pour en préserver le caractère laïque ? Je ne sais. Mais les " principes ", terme vague, ne signifient pas le " dispositif ", vocable juridique plus précis qui exclurait, lui, explicitement les motifs et le préambule.

C'est sans doute pourquoi tout citoyen qui ouvre le Code Dalloz pour y consulter l'ensemble des textes fondamentaux du droit français y trouvera, dès les premières pages, la Déclaration du 26 août 1789, avec son préambule et donc la référence à l'" Être suprême ".

L'exemple du Royaume-Uni ou des pays nordiques, à la fois titulaires d'une religion chrétienne établie et néanmoins très sécularisés au quotidien, à bien des égards plus que la France, montre que ce genre de débat, quelle qu'en soit l'issue, a peu de chances d'infléchir les évolutions profondes de l'Europe, dans un sens ou dans un autre d'ailleurs.

Il reste que s'il est vrai qu'il ne faut pas être plus royaliste que le roi, la France n'a pas non plus, dans cette affaire, à demander à l'Europe d'être plus républicaine que la République.

Roland Hureaux est essayiste, auteur de Le Temps des derniers hommes, Hachette-Littérature, 2000.

(1) Décision 73-80 du 28/11/73.

(2) Cf. " A la fête de l'Être suprême : les noms divins dans deux discours de Robespierre ", Annales historiques de la Révolution française n°3-1972 et Jean Deprun, De Descartes au romantisme, Paris 1987, p. 157-176.

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