Cardinal Robert Sarah : « Rester des hommes, c’est-à-dire enfants de Dieu »

TEMOIGNAGE | « Dieu ou rien. » C’est l’alternative plutôt radicale proposée par le cardinal Robert Sarah dans son dernier livre (Fayard).  Nommé archevêque de Conakry à trente-quatre ans par saint Jean-Paul II, créé cardinal par Benoît XVI, il est choisi en 2014 par le pape François pour être préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Réputé pour parler sans langue de buis, le cardinal est en France pour une semaine. Invité par la paroisse Saint-Symphorien de Versailles pour parler de son livre, il explique être venu « partager les soucis de l’Église de France ».  Ses propos, à la fois exigeants et emplis de charité, sont marqués par la volonté de rendre ce qu'il a reçu de la foi, à travers notamment les missionnaires occidentaux.

L’EGLISE Saint-Symphorien de Versailles est pleine à craquer pour recevoir le cardinal. Celui-ci, après avoir célébré la messe entouré d’une multitude de servants d’autel, prend place à la table et commence… son deuxième sermon de la soirée. Après avoir remercié le Seigneur pour sa présence, il déroule ensuite le fil de son parcours, de la brousse africaine à la pourpre cardinalice.

L’hommage aux missionnaires

Le cardinal raconte de manière très simple l’avènement de sa vocation, sa joie de « devenir prêtre et missionnaire, comme les prêtres du Saint-Esprit ». Ses parents sont tout d’abord incrédules : « As-tu déjà vu un prêtre africain ? » lui demande sa mère. « Mes parents n’ont jamais dit « non ». Ils disaient : « Il nous l’a donné, s’Il le veut, nous ne pouvons pas nous y opposer. » Il est ordonné prêtre à Nancy le 20 juillet 1969 : « Un petit Africain a la grâce d’être prêtre le jour où l’on fait les premiers pas sur la lune. »

Le cardinal rend un hommage appuyé aux missionnaires qui l’ont impressionné : « Ils étaient dévorés par l’amour de Dieu. » Ils parlaient de la foi, de leur mission, mais surtout ils étaient vus presque à tout moment en prière. Ces missionnaires étaient totalement donnés à Dieu et au peuple qu’ils servaient. Pour le futur préfet, leur exemple n’est pas mort : il invite à « s’inspirer de leurs dons, pour être missionnaires dans ce monde où Dieu a disparu. Car beaucoup pensent que Dieu est mort. Nietzche l’a dit : nous sommes ses assassins. Nos églises sont ses tombeaux. Mais Dieu est vivant. C’est le Dieu vivant que j’ai rencontré tout petit. »

« Il m’écoute, et surtout je l’écoute »

Il évoque ensuite le concile Vatican II, insistant sur l’importance de son message. « L’Occident s’éloigne de Dieu. Il faut chercher un moyen pour que Dieu soit au milieu de nous. Nous n’avons plus besoin de Lui, mais Lui a besoin de nous. » Il en profite pour remettre les pendules à l’heure à propos de la liturgie. « Qui dit liturgie dit adoration, et qui dit adoration dit Dieu. La grandeur de l’homme c’est qu’il est à genoux devant Dieu. » « La lune ne brille que parce qu’elle reflète le soleil. De même, l’Église ne doit pas se couper de Dieu si elle veut le refléter. » Or, l’action de l’Église n’est possible que si celle-ci transmet. Robert Sarah se souvient de saint Jean-Paul II qui « a vécu dans un pays communiste où Dieu était exclu. Comme l’Occident, qui vit comme si Dieu n’existait pas ». Les hommes y font acte « d’apostasie silencieuse ». Insistant sur la continuité entre les papes, il cite Benoît XVI : « La crise de l’Occident aujourd’hui ne s’est jamais vérifiée avant : on tue Dieu, qui est inutile. »

Dieu est au cœur de la vie du cardinal Sarah, comme dans son livre. « Il est différent d’une idéologie, d’une idole : c’est un Dieu révélé en Jésus-Christ qui nous aime jusqu’à la mort. » Et pour mieux connaître Dieu, il faut « réapprendre à prier ». Prier, nous dit le cardinal, ce n’est pas parler à Dieu, c’est « se taire pour écouter Dieu. C’est l’Esprit Saint qui doit prier en nous. Nous devons ouvrir nos cœurs à l’Esprit ». Il faut « parler à Dieu, mais pas trop, et prendre sa propre parole : la Bible, les psaumes » qui nous rejoignent intimement.

Et c’est quand « on rencontre Dieu dans son amour que l’on devient missionnaire. Car on ne peut pas l’être si on ne le rencontre pas face à face ». On ne peut annoncer que ce que l’on a vu, sinon il devient très difficile de persévérer. Si nous rencontrons le Christ, nous le poursuivrons jusqu’au bout et nous deviendrons missionnaires ».

La crise de la foi

Or l’on constate aujourd’hui une « crise de la foi et des valeurs chrétiennes. L’homme se croit Dieu et décide du bien et du mal. Il crée une nouvelle éthique mondiale. On repense, on reformule le mariage, la famille. On veut imposer ces abominations à tout le monde ».

« J’ose parler ainsi, poursuit le cardinal, parce que c’est vous qui m’avez apporté Jésus […], et j’ai le devoir de vous le restituer, avec des mots maladroits, avec un vocabulaire dur. Mais j’ai le devoir de reconnaissance : il ne faut pas nier aujourd’hui ce que vous avez apporté au monde non occidental. » Ces mots font mouche.

Le cardinal-préfet nous rappelle ensuite les martyrs du Pakistan, du Moyen-Orient, de l’Égypte, de l’Afrique qui ont « accepté de mourir pour Jésus. Ici [en Occident] on veut amoindrir l’Évangile, on veut interpréter l’Évangile de manière commode. Alors que ces martyrs, qui n’avaient pas fait de théologie, étaient prêts à mourir pour Dieu. Dieu nous appelle à être aussi courageux que ceux qui meurent aujourd’hui ». D’où cet avertissement : « On anesthésie votre conscience chrétienne, on annihile votre foi. Discrètement. »

D’abord le combat intérieur

Appelé à parler du « combat culturel à mener en France », Robert Sarah prévient : « Avant le combat culturel, il faut une vie intérieure d’amitié avec Jésus, c’est lui notre force. Nous devons retrouver Dieu, par une vie de prière régulière. Le premier combat commence à notre niveau. On ne peut lutter contre le relativisme qu’en étant fort intérieurement : partout où il y a des hommes, ils doivent lutter pour rester hommes, c’est-à-dire pour être enfants de Dieu. »

À propos du synode sur la famille, il explique : « Il n’y a aucune discontinuité. La doctrine est la même depuis des siècles et aucun pape ne peut changer la doctrine. Nous devons nous battre contre ceux qui veulent détruire la famille. » Sans appel.

Sur la liturgie et le motu proprio, le cardinal prend de la hauteur : « On ne peut pas avancer à l’autel en luttant les uns contre les autres. On ne peut pas célébrer la messe en se battant, en se haïssant presque, dans des positions radicales les uns contre les autres. » Cependant, chaque rite peut enrichir l’autre : « Participer, c’est entrer dans la prière de Jésus, ce qui ne signifie pas cléricaliser les laïcs : la messe n’est pas un spectacle, une chorégraphie. Ce n’est pas le rite qui compte, c’est le cœur. Et il faut prier, pas réciter. »

Le cardinal termine par là où il a commencé — charité bien ordonnée commence par soi-même : « On ne peut pas évangéliser sans être soi-même évangélisé. »

Une exigence d’unité de vie bienvenue pour mieux vivre son carême.

 

François de Lens

La vidéo de la conférence (cliquez sur l'image) :

 

 

 

 

 

Sarah-UneB

Cardinal Robert Sarah
 Dieu ou rien, entretien sur la foi
 Avec Dominique Diat
 Fayard, février 2015,
 424 pages, 22 €

 

 

 

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