La première étape du voyage du pape en Terre sainte s'est achevée lundi 11 mai : pendant les quelques jours qu'il a passés en Jordanie, Benoît XVI s'est notamment rendu au sommet du Mont Nebo, d'où Moïse a contemplé la Terre promise, et à Béthanie au-delà du Jourdain, lieu du baptême de Jésus.

Il a également rencontré les communautés chrétiennes, très minoritaires dans cette région même si elles jouissent d'une véritable liberté religieuse.
Mais cette étape jordanienne restera spécialement marquée par le dialogue avec l'islam. Le Saint-Père a réaffirmé sa conception des relations interreligieuses en soulignant dans deux discours l'importance des liens entre foi et raison dans la recherche de la vérité : à Madaba, il a béni la première pierre d'une université catholique dont les futurs étudiants seront majoritairement musulmans, et à la mosquée Al-Hussein Bin Talal d'Amman :

[Madaba] - Croire en Dieu ne dispense pas de la recherche de la vérité ; tout au contraire, cela l'encourage. Saint Paul exhortait les premiers chrétiens à ouvrir leur esprit à "tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d'être aimé et honoré, tout ce qui s'appelle vertu et mérite des éloges" (Ph 4, 8). Bien sûr, la religion, comme la science et la technologie, comme la philosophie et toutes les expressions de notre quête de la vérité, peut être corrompue. La religion est défigurée quand elle est mise au service de l'ignorance et du préjugé, du mépris, de la violence et des abus. Dans ce cas, nous ne constatons pas seulement une perversion de la religion mais aussi une corruption de la liberté humaine, une étroitesse et un aveuglement de l'esprit. [...] Le cœur humain peut être endurci par les conditionnements du milieu environnant, par les intérêts et les passions. Mais toute personne est aussi appelée à la sagesse et à l'intégrité, au choix décisif et fondamental du bien sur le mal, de la vérité sur la malhonnêteté, et elle peut être aidée dans cette tâche.

L'appel à l'intégrité morale est perçu par la personne vraiment religieuse parce que le Dieu de la vérité, de l'amour et de la beauté, ne peut pas être servi d'une autre façon. Croire en Dieu de façon mûre est grandement utile à l'acquisition et à l'application même de la connaissance.

Religions et manipulations politiques

[Amman] - Certains soutiennent que la religion est nécessairement une cause de division dans notre monde ; et ils prétendent que moins d'attention est prêtée à la religion dans la sphère publique, mieux cela est. Certainement et malheureusement, l'existence de tensions et de divisions entre les membres des différentes traditions religieuses, ne peut être niée. Cependant, ne convient-il pas de reconnaître aussi que c'est souvent la manipulation idéologique de la religion, parfois à des fins politiques, qui est le véritable catalyseur des tensions et des divisions et, parfois même, des violences dans la société ? [...]

Musulmans et chrétiens, précisément à cause du poids de leur histoire commune si souvent marquée par les incompréhensions, doivent aujourd'hui s'efforcer d'être connus et reconnus comme des adorateurs de Dieu fidèles à la prière, fermement décidés à observer et à vivre les commandements du Très Haut, miséricordieux et compatissant, cohérents dans le témoignage qu'ils rendent à tout ce qui est vrai et bon, et toujours conscients de l'origine commune et de la dignité de toute personne humaine, qui se trouve au sommet du dessein créateur de Dieu à l'égard du monde et de l'histoire. [...]

Enrichir la culture

[À propos des initiatives interreligieuses en Jordanie] - De telles initiatives conduisent clairement à une meilleure connaissance réciproque et elles favorisent un respect grandissant à la fois pour ce que nous avons en commun et pour ce que nous comprenons différemment. Ainsi devraient-elles pousser les chrétiens et les musulmans à explorer toujours plus profondément la relation essentielle entre Dieu et ce monde, de telle façon que nous puissions nous efforcer d'assurer que la société s'établisse en harmonie avec l'ordre divin. À cet égard, la coopération développée ici en Jordanie est une illustration exemplaire et encourageante pour la région, et même pour le monde, de la contribution positive et créatrice que la religion peut et doit apporter à la société civile. [...]

En tant que croyants au Dieu unique, nous savons que la raison humaine est elle-même un don de Dieu et qu'elle s'élève sur les cimes les plus hautes quand elle est éclairée par la lumière de la vérité divine. En fait, quand la raison humaine accepte humblement d'être purifiée par la foi, elle est loin d'en être affaiblie, mais elle en est plutôt renforcée pour résister à la présomption et pour dépasser ses propres limitations. [...]. Ainsi, l'adhésion authentique à la religion - loin de rendre étroits nos esprits - élargit-elle l'horizon de la compréhension humaine. Elle protège la société civile des excès de l'ego débridé qui tend à absolutiser le fini et à éclipser l'infini, elle assure que la liberté s'exerce "main dans la main" avec la vérité, et elle enrichit la culture avec des vues relatives à tout ce qui est vrai, bon et beau.

L'hommage du prince Ghazi
Benoît XVI a visité la mosquée Al-Hussein Bin Talal d'Amman en compagnie du prince Ghazi Bin Muhammad Bin Talal, cousin du roi de Jordanie. Le prince Ghazi avait été le principal inspirateur de la lettre ouverte "Common Word", adressée au pape et aux chefs des autres confessions chrétiennes en octobre 2007 par 138 personnalités musulmanes de nombreux pays : cette lettre, qui faisait suite à l'ouverture au dialogue faite par le pape à Ratisbonne en septembre 2006, est à l'origine d'un forum permanent de dialogue catholico-musulman (la première session a eu lieu à Rome du 4 au 6 novembre 2008).
Le prince hachémite a souhaité la bienvenue au pape de quatre façons :

  1. En tant que musulman - Nous voyons dans cette visite un message clair quant à la nécessité d'une harmonie interreligieuse et d'un respect mutuel dans le monde actuel, ainsi qu'une preuve concrète de la volonté de Votre Sainteté de jouer personnellement un rôle de guide sur ce point.
  2. En tant que hachémite et descendant du prophète Mahomet - Je vous souhaite aussi la bienvenue dans cette mosquée de Jordanie, en rappelant que le prophète accueillit ses voisins chrétiens de Nejran à Médine et qu'il les invita à prier dans sa mosquée, ce qu'ils firent en harmonie, sans que les uns compromettent la croyance religieuse des autres. Cela aussi constitue une leçon d'une inestimable valeur dont le monde doit absolument se souvenir.
  3. En tant qu'arabe et descendant direct d'Ishmael Ali-Salaam, de qui, selon la Bible, Dieu aurait fait sortir une grande nation, en restant près de lui (Genèse 21, 18-20) - L'une des vertus cardinales des Arabes, qui traditionnellement ont survécu dans des climats parmi les plus chauds et les plus hostiles du monde, est l'hospitalité. L'hospitalité naît de la générosité, elle reconnaît les besoins des autres, elle considère ceux qui sont loin ou qui viennent de loin comme des amis. [...] Certainement Jean-Paul II et vous-même, Saint-Père, auriez pu aller immédiatement en Palestine et en Israël, mais au contraire vous avez choisi de commencer votre pèlerinage par une visite chez nous, en Jordanie, et nous l'apprécions.
  4. En tant que Jordanien - En Jordanie, tout le monde est à égalité devant la loi, indépendamment de la religion, de la race, de l'origine ou du sexe, et ceux qui travaillent au gouvernement doivent faire tout le possible pour protéger tout le monde dans le pays, avec compassion et justice.[...] Non seulement les Jordaniens chrétiens ont toujours défendu la Jordanie, mais ils ont contribué infatigablement et patriotiquement à sa construction, jouant des rôles importants dans les domaines de l'éducation, de la santé, du commerce, du tourisme, de l'agriculture, de la science, de la culture et dans beaucoup d'autres secteurs. Tout cela pour dire que, alors que Votre Sainteté les considère comme ses coreligionnaires chrétiens, nous les considérons comme nos compatriotes jordaniens et ils font partie de cette terre comme la terre elle-même. J'espère que cet esprit unitaire jordanien d'harmonie interreligieuse, de bienveillance et de respect mutuel, sera un exemple pour le monde entier et que Votre Sainteté le portera à des endroits comme Mindanao et dans certaines parties de l'Afrique sub-saharienne, où les minorités musulmanes subissent de fortes pressions de la part de majorités chrétiennes, et aussi en d'autres endroits où c'est l'inverse qui se produit.

Enfin le prince Ghazi a conclu en saluant chaleureusement le pape, lui reconnaissant notamment le courage moral d'agir et de parler selon [sa] conscience, indépendamment des modes du moment . Cet hommage d'un prince musulman résonne un peu comme une leçon pour notre Occident chrétien qui a tant malmené le Saint-Père ces dernières semaines... En tout cas cet échange de discours, par son retentissement mondial, marquera sans doute un nouveau pas dans les relations entre l'Église catholique et l'islam.

 

 

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