Analyse sur l’état de la droite vu par le politologue canadien Mathieu Block-Cote

« La victoire massive de Laurent Wauquiez n'a surpris personne: elle était annoncée et prend même la forme d'un plébiscite d'acclamation. L'homme s'est présenté comme le seul capable de marquer une opposition franche au macronisme et promet d'amener la droite à renouer avec son propre imaginaire. Wauquiez prétendait incarner une droite ne se contentant pas de désaccords gestionnaires avec le macronisme mais lui opposant une autre philosophie politique.

 


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Au fil de sa campagne, il s'est surtout démarqué par son désir d'incarner une forme de bonapartisme conservateur qui rappelle l'ancien RPR, notamment en assumant sans gêne la question identitaire. À plusieurs reprises, il a résumé sa vision ainsi: il ne faut pas que la France change de nature. La vocation de la droite serait justement de défendre le droit de la France de persévérer dans son être historique contre ceux qui ne voudraient y voir qu'un espace administratif neutre traversé par un flux insaisissable régulé exclusivement par les droits de l'homme.


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Et c'est justement ce que lui reprochent les médias et, plus particulièrement, les journalistes de gauche, qui sont souvent de gauche avant d'être journalistes. Bien souvent, ils décrivent moins la réalité qu'ils ne décrient ceux dont ils parlent tellement le vocabulaire qu'ils utilisent pour analyser leur politique est chargée. Ils révèlent ainsi le dispositif idéologique qui inhibe souvent la droite française en la poussant à se penser dans des catégories faites pour la neutraliser.


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La droitisation en procès

C'est ainsi que Wauquiez a été présenté comme le représentant inquiétant d'une droite décomplexée, sans qu'on ne se rende compte de la portée de cette expression. En creux, on comprend que la seule droite légitime est celle qui serait complexée et qui consentirait à se placer sous la surveillance idéologique de la gauche, pour éviter de succomber à ses pires travers. Laissée à elle-même, la droite canaliserait les pulsions que la civilisation travaillerait à refouler. Tel est le sens de la fameuse méfiance à propos de la droitisation.


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La gauche médiatique trace le cercle de la respectabilité républicaine

Si la gauche médiatique conserve un pouvoir immense, c'est bien celui de déterminer les critères de respectabilité pour ceux qui veulent évoluer dans l'espace public: c'est elle qui distingue entre la droite humaniste et la droite dure, entre le conservatisme et l'ultraconservatisme, entre ceux qui sont fréquentables et ceux qui ne le sont pas. Ces catégories ne sont pas là pour décrire le réel mais pour décrier les opposants. C'est la stratégie de l'étiquetage idéologique et, souvent, elle fonctionne. Une bonne partie de la droite a intériorisé ces critères et s'y plie avec zèle.


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Le primat de l'économique, le rejet de l'identité

Pour se faire bien voir du camp d'en face, elle ne cessera de s'inquiéter des dérives de son propre camp: le système médiatique lui accordera le privilège de la conscience morale, elle sera la gardienne de l'âme de la droite. C'est la gauche médiatique qui décidera à quelle condition la droite est légitime et à quel moment elle ne l'est plus. Elle trace le cercle de la respectabilité républicaine et se donne ensuite le droit de décréter qui en sort ou pas. Naturellement, c'est elle aussi qui décrète ce qui fera scandale ou non en distinguant ce qui relève de l'audace et du dérapage.


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La droite a abandonné progressivement la question identitaire et la question civilisationnelle au populisme

C'est dans cet esprit, aussi, que la médiasphère progressiste distinguera entre les thèmes politiques respectables et ceux qui seraient sulfureux et dangereux. La droite, pour demeurer médiatiquement admissible, devrait s'en tenir aux premiers et désavouer les seconds.

Concrètement, elle devrait consentir au primat de l'économique et à une forme de pensée gestionnaire assez rudimentaire et rejeter la question identitaire, réservée à l'extrême droite et à ceux qui seraient tentés par elle. Mais cette répartition des thèmes et des rôles est piégée et insensée. C'est justement parce que la droite a abandonné progressivement la question identitaire et la question civilisationnelle au populisme que ce dernier est parvenu à croître, en se présentant comme le principal vecteur des angoisses populaires devant la décomposition de la communauté politique et du lien social sous la pression du multiculturalisme et de la mondialisation.


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Être autre chose qu'une non-gauche

Une étrange logique est à l'œuvre. À partir du moment où le Front national s'est emparé de ces thèmes, ils lui appartiendraient à jamais. La droite n'est plus autorisée à récupérer le territoire idéologique et politique qu'elle aura d'abord concédé à la fois par peur et par bêtise: il appartiendrait pour toujours à la droite populiste et qui s'y aventurera se soumettrait à sa domination idéologique. Il ne sera plus permis, pour les partis de gouvernement, de s'inquiéter pour les fondements historiques et identitaires du pays et de parler d'identité ou d'immigration. C'est ainsi qu'on disqualifie moralement des besoins fondamentaux de l'âme humaine comme l'enracinement et l'aspiration à la continuité historique. On les présente comme autant de symptômes d'une pathologie régressive, celle du repli sur soi qui pousserait à la crispation identitaire.


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Quoi qu'on pense de la sincérité de Laurent Wauquiez, c'est ce dispositif médiatique qui a cherché à présenter sa campagne de manière plus qu'inquiétante et qui l'inscrit sous le signe du procès permanent. La droite, à moins de se contenter d'être un non-gauche, doit sans cesse se justifier d'exister et faire la preuve de sa compatibilité avec la démocratie et la République. Elle doit s'en tenir au petit espace comptable qu'on lui réserve et donner des gages de respectabilité à répétition, en espérant se faire décerner un certificat d'humanisme.

Si elle joue le rôle pénitentiel qu'on lui réserve dans ce dispositif médiatique, elle est condamnée à perdre. On comprend dès lors que Wauquiez soit traité comme un voyou par la médiasphère progressiste: il transgresse tous les codes sur lesquels repose son hégémonie. Reste à voir s'il ne s'agissait que de la transgression d'une saison. »

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/12/11/31001-20171211ARTFIG00167-mathieu-bock-cote-tre-de-droite-aux-yeux-de-la-gauche.php