L'inconscience de Macron

Il fallait une certaine audace - ou plutôt une certaine inconscience - à Emmanuel Macron pour dénoncer à Alger la colonisation française comme "un crime contre l'humanité». Ce n'était pas seulement là une injure aux Pieds-noirs et aux harkis, comme on l'a dit sottement, mais aussi à la France et aux Français à qui l'épopée coloniale appartient tout entière.

Une épopée qui a eu, sans nul doute, son côté sombre mais qui a eu aussi sa grandeur : quand plusieurs chefs d'État africains se cotisent pour élever à Brazzaville un mausolée à Savorgnan de Brazza, le tiennent-ils pour un criminel ? De toute façon, la colonisation dans son ensemble n'a jamais été tenue pour un crime contre l'humanité, même par les  militants anticolonialistes les plus engagés du côté du FLN algérien

Macron n'a même pas l'excuse de la démagogie. Ces foucades ne lui rapporteront pas grand chose. Si, dans les sphères d'un pouvoir algérien à l'agonie, certaines factions font de la surenchère accusatoire à l'égard de la France, ni en Algérie, ni en France, la population n'apprécie de tels excès. Citons, parmi d’autres, Malika Sorel, française d’origine algérienne : «Au Maghreb, les gens sont consternés par ce qui se passe en France. Pour eux, la situation est liée à cette « repentance » et la responsabilité en incombe aux adultes français qui passent leur temps à se prosterner et être à genoux…» On a bien lu : la repentance, cause du terrorisme.

Est-ce alors un gage donné à certains de ses soutiens ? Ou l'espoir que le FLN donne la consigne aux électeurs d'origine algérienne de voter pour lui ? Le feront-ils seulement ?

Le même Macron a cru bon de déclarer qu'"il n'y avait pas de culture française" et, pour montrer le peu de cas qu'il fait de la langue française, de prononcer à Berlin un discours en anglais (on eut pu comprendre que par courtoise, il l'ait fait  en allemand, mais il n'en a pas été question).

On est confondu que le même homme prétende être président des Français. Sait-il  que, depuis la tribu paléolithique jusqu'a nos jours,  quelques lois anthropologiques élémentaires commandent au chef de ne pas insulter son peuple ou son pays, de lui marquer au contraire son estime, de le valoriser, de le magnifier, de le rendre fier d'être ce qu'il est (Macron qui n'en est pas à une contradiction près affiche dans son programme sa volonté de rendre nos compatriotes "fiers d'être français», de "retrouver notre esprit de conquête" ! ) ? Il est un mot anglais que visiblement il ignore : leadership.

Le chef doit respecter ce que Mallarmé appelle les "mots de la tribu",  à commencer par sa langue et les symboles fondamentaux dans lesquels elle se reconnait.

Nier l'existence d'une culture française, quelle que soit la variété des apports étrangers qui l'ont fécondée, est, non seulement une incorrection à l'égard de nos compatriotes, mais une ânerie qui relève, pour le coup, d'une profonde inculture, et un crime à l'égard des milliers de jeunes issus de l'immigration  à qui on demande de s'intégrer.

Disons le tout de suite: il serait hasardeux que, ayant tenu de pareils propos, Macron soit finalement choisi par le peuple français, ou alors on n'y comprend plus rien.

 

Pourquoi fait-il injure au peuple français ?

Mais la question qui se pose : pourquoi donc a-t-il tenu pareils propos ?

On dira que, vivant dans l'univers de la mondialisation, il ne fait déjà plus grand cas de la France. Cela, il peut le penser, mais en campagne électorale, il doit au minimum sauver les apparences.  

Alors quoi ? Insolence ou naïveté ?

Nous penchons pour la naïveté, mais elle n'excuse rien au contraire.

Macron est un pur produit de sa génération. Une génération très postérieure à mai 68, largement déchristianisée (même si une partie a été baptisée, la culture chrétienne ne lui a guère été transmise); une génération où les notions de patrie, de souveraineté, voire d'intérêt national, le respect de la francophonie, sont renvoyés aux vieilles lunes. Ne leur a-t-on pas répété, par une falsification éhontée de l'histoire, que cela était du "pétainisme" ?  Ils tiennent certes De Gaulle pour un grand homme mais sans bien savoir pourquoi. Les totems de cette génération se retrouvent à forte dose dans le programme de Macron : environnement, droits de l'homme, antiracisme, non-discrimination, voire discrimination positive. Que l'anglais soit sa langue naturelle ne saurait nous étonner.

La quintessence de cette mentalité post-nationale s'est exprimée au travers de l'évolution  de l'Institut d'études politiques de Paris (dit Sciences Po) au cours des vingt dernières années. Macron est à cet égard un pur produit de la génération Descoings - Richard Descoings qui a dirigé célèbre institut de 1996 à 2008, où Macron a été étudiant  de 1998 à 2001. Science Po prépare à l'ENA et donc conditionne l'élite administrative française, dont l'Inspection des Finances d'où vient Macron,  est le saint des saints. L’abaissement de la France est tellement évident dans cette filière que, malgré son énormité, taxer notre aventure coloniale de crime contre l'humanité n'y choque pas. Il est probable que ce genre de formule, excessive mais dans l'air du temps, peut y être proférée sans rencontrer de contradiction, ni obérer, au contraire, les chances de réussir les concours. Les initiés savent qu'on s'en tire à Sciences po et à l'ENA et dans d'autres concours, non point en cultivant l'originalité d'esprit mais en portant au contraire avec énergie et brio, et pourquoi pas en forçant le trait, l'idéologie dominante.

Dans une telle perspective, pour la génération Macron, l'Europe (celle de Bruxelles, pas la culture européenne, largement ignorée), le libre-échange à tout va, l'alignement occidental antirusse, la défense des droits de l'homme tout azimut, la porte ouverte à l'immigration, tout cela fait partie de l'évidence. Une évidence qui ne se discute plus. Une évidence, mais cela les intéressés l'ignorent, totalement en porte à faux par rapport aux sentiments populaires, et qui explique à elle seule que le Front national attire aujourd'hui à lui près du tiers de l'électorat.

Cette idéologie n'est certes pas nouvelle, mais avec Hollande, elle avançait encore masquée sous les oripeaux de la vieille gauche sociale, comme du libéralisme avec Sarkozy. Avec Macron, elle prend une forme exacerbée et s'affiche de manière totalement impudique.

La veille génération socialiste, celle de Mitterrand, bien sûr, mais même celle qui a suivi, celle de Hollande, avait encore un reste de conscience des fondamentaux qui faisaient jadis la France: le souvenir des guerres de 14-18 et 39-45, la rivalité du curé et de l'instituteur pour transmettre la même morale, l'encadrement populaire par l'Église ou par le parti communiste, le sens du péché - et des plaisirs cachés, les 36 000 communes, bref tous les marqueurs qui, de quelque  manière qu'on on se positionne par rapport eux, ont structuré la France. Tout cela a disparu dans la dernière génération de la mondialisation, sauf dans quelques vieilles familles où on cultive encore les traditions mais dont Macron n'est visiblement pas issu.

Macron a-t-il compris que l'ensemble de ses positions le mettent en opposition frontale avec l’opinion majoritaire des Français (selon tous les sondages), quasiment point par point, même avec ceux qui n'envisagent pas de voter pour Marine Le Pen ? Sans doute puisqu'il les habille d'une rhétorique fumeuse de type "ni gauche ni droite ".

A-t-il compris aussi que cette thématique qu'il croit jeune et moderne, l'était déjà il y a quinze ans et que, depuis le Brexit et l'élection de Donald Trump avec tout ce qu'ils représentent (critique du mondialisme, réhabilitation des frontières, remise en cause des alliances), elle pourrait vite appartenir au passé, faisant de Macron la figure la plus ringarde qui soit ?