CEDH : un professeur de religion catholique peut-il être divorcé ?

La Cour européenne des droits de l’homme est actuellement saisie du cas du non renouvellement dans ses fonctions en Croatie d’un professeur de religion catholique en raison de son divorce et de son remariage devant les autorités civiles.

Le 4 juillet 2014, l’ECLJ soumettait ses observations à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans le cadre de l’affaire Petar TRAVAŠ contre Croatie (requête n°75581/13). Le gouvernement croate en ayant été informé, il doit maintenant soumettre ses propres observations et la Cour devrait rendre son jugement d’ici une année.

Le mandat de l’évêque

Petar Travaš, enseignant de religion, avait été démis de ses fonctions suite à son divorce et à son remariage civil. L’évêque, estimant que ces actes étaient contraires à la doctrine catholique, lui avait de fait retiré le mandat canonique pour enseigner. Par suite, l’école l’avait licencié au motif qu’il ne pouvait exercer sans la possession d’un mandat.

En effet, en vertu d’un Concordat signé en 1997 entre le Vatican et la Croatie, les professeurs de religion, qu’ils enseignent dans une école privée ou publique, doivent disposer d’un mandat de l’évêque en l’absence duquel ils perdent immédiatement le droit d’enseigner la religion catholique.

Le requérant considère que l’interdiction qui lui est faite d’exercer sa profession pour des raisons qu’il estime personnelles, viole son droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il considère ensuite qu’une telle décision est discriminatoire au sens de l’article 14 de la même Convention.

Liberté religieuse

Pour ce qui relève du respect de la vie privée, l’ECLJ souligne dans ses observations plusieurs aspects et d’abord le fait que la mesure litigieuse était fondée sur le droit croate, et plus particulièrement sur les traités conclus entre la Croatie et le Saint-Siège et qu’elle poursuivait un but légitime : le respect de la liberté religieuse des élèves, de leurs parents et de l’Église. En effet, les élèves et parents d’élèves ont un intérêt à ce que la formation religieuse dispensée ne soit pas un contre-témoignage. L’Église a aussi intérêt à pouvoir désigner elle-même les personnes à qui elle confie une mission canonique, et à ce que ces personnes adhérent à la foi catholique. En outre, la protection de l’institution du mariage peut aussi constituer un but légitime.

Obligation de loyauté accrue

Le coeur de l’argumentation de l’ECLJ porte ensuite sur le fait que la mesure, en plus d’être légitime, était proportionnée. Petar Travaš, en sa qualité de professeur de religion, était soumis à une obligation de loyauté accrue.

La Grande Chambre de la CEDH a déjà consacré ce principe de l’obligation de loyauté accrue dans les affaires Schüth c Allemagne[1] et le récent arrêt de Grande Chambre Fernandez-Martinez c Espagne[2], considérant que celle-ci résulte de la nature religieuse de l’emploi, laquelle implique un lien de confiance, voire « d’allégeance » selon l’expression de la Cour, entre l’employeur et l’employé. Cette obligation de loyauté n’est pas limitée à l’exercice de la profession ou de la mission mais s’applique aussi au mode de vie et au comportement de l’enseignant, qui se doivent d’être en accord avec le contenu de son enseignement religieux.

En l’espèce, le requérant, Petar Travaš, peut difficilement se défendre d’avoir accepté cette obligation de loyauté dans la mesure où elle résulte directement des préceptes de l’Église catholique qu’il enseigne. Il ne pouvait ignorer l’existence du principe d’indissolubilité du mariage et savait que son respect conditionnait l’obtention du mandat canonique. Le requérant était aussi informé du fait qu’il ne pourrait enseigner la religion en l’absence d’un mandat.

Une décision proportionnée

De surcroît, le requérant ne peut pas non plus se prévaloir d’un droit à divorcer au titre de la Convention, le versant négatif du droit de se marier et de fonder une famille garanti à l’article 12 étant le droit de ne pas se marier et non celui de divorcer. En l’occurrence, la mesure prise par l’évêque ne l’a pas empêché de se remarier civilement, mais seulement d’exercer une fonction de nature religieuse. Pour l’ECLJ et au regard de la jurisprudence de la Cour, la décision des autorités croates était légitime et proportionnée.

Si les autorités croates avaient décidé de maintenir cet enseignant dans ses fonctions, elles auraient non seulement violé le traité entre la Croatie et le Saint-Siège, mais aussi la liberté religieuse de l’Église qui garantit aux organisations religieuses le droit de fonctionner de façon autonome, et les protège des interférences abusives des autorités civiles.

La jurisprudence

Enfin, s’agissant de la discrimination dont le requérant serait victime, l’ECLJ rappelle que cette allégation n’est pas fondée car la situation du requérant ne peut être comparée à celle des enseignants d’autres disciplines dans la mesure où le statut d’un professeur de religion est particulier.

In fine, pour l’ECLJ, la décision des autorités croates est conforme à la jurisprudence de la CEDH. Les conclusions du gouvernement croate iront probablement dans le même sens ; il faut alors souhaiter que la CEDH reste fidèle à sa propre jurisprudence préservant ainsi la liberté religieuse et l’autonomie des communautés religieuses.

 

 

Pour en savoir plus :
ECLJ.org

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[1] Schüth c/ Allemagne (no 1620/03), GC, arrêt du 28 septembre 2012.
[2] Fernandez-Martinez c/ Espagne (no 56030/07), GC, arrêt du 24 septembre 2012.***