UNE MERE apprend qu’elle attend un enfant atteint de trisomie 18, décide de le garder, et le met au monde pour le voir mourir dans ses bras une heure plus tard.

Le livre d’Isabelle de Mézerac, vous aurez peut être la tentation de le reposer quelques instants pour reprendre votre souffle. C’est un déchirement de suivre pas à pas cette maman qui aime de toutes ses forces l’enfant qu’elle porte mais qui est condamnée à pleurer déjà sa mort inéluctablement annoncée. On est brisé, comme elle, son mari et ses enfants, par la tempête des sentiments contradictoires qui s’affrontent douloureusement autour de ce drame de l’innocence foudroyée. L’amour et l’unité de la famille resserrée par l’épreuve, la hauteur de vue spirituelle qui n’assèche pas les larmes mais leur donne un sens, l’équilibre et l’harmonie finalement sauvegardés inspirent une sympathie immédiate, un respect profond et une admiration sans retenue.

 

" Je restais dans la vie "

 

C’est un drame familial qui se transforme en magnifique chant d’amour. Un témoignage pour toutes les mères confrontées à cette rencontre de la vie et de la mort si intimement liées. Alors que les premières pages nous font plonger dans un monde intérieur submergé par la tempête de sentiments contradictoires, peu à peu, l’espoir renaît, le lecteur découvre à travers le jaillissement naturel de l’amour maternel une force de vie qui ramène la paix et la sérénité. Et d’une logique de mort, on se trouve projeté dans une logique de vie. Le lecteur ressent presque physiquement le tourbillon de cette spirale infernale du doute, des contradictions, de la mort. Comme la mère il est anéanti. Et à sa suite il goûtera à nouveau la paix où la joie de la maternité et la douleur de la mort sont entrelacées. Le lecteur découvre ou redécouvre que la joie et la douleur peuvent cohabiter, coexister. Mais au prix de l’unité intérieure, de la cohérence intime des choix.

Et c’est le grand tournant du livre.

La paix renaît quand la vie reprend toute sa place dans le cœur de la mère. Quand la vie triomphe de la mort. Et pourtant la mère sait bien qu’il n’est pas question de guérison, que l’enfant qu’elle porte aura une vie très courte, beaucoup trop courte, mais cela ne lui appartient pas. Elle l’accompagnera jusqu’au bout, l’aimera jusqu’au bout. Et du moment où cette femme choisit d’accepter la vie de son enfant, son univers intérieur est transformé, elle renaît à la joie de la maternité acceptée et savourée, à la joie de vivre chacun de ces moments d’intimité qui lui sont données avec son fils avec une intensité et un amour entier. Et cette transformation, cette renaissance, on peut presque parler de résurrection, marquera désormais ses rencontres avec le corps médical. Quelle sérénité après les examens et les rencontres médicales où seul l’avortement lui était proposé... " Étonnante différence, dit-elle. Je restais dans la vie. "

 

Quand l’avortement est une " issue " et la vie, une alternative...

 

Parce qu’elle a choisi la vie, elle a retrouvé la paix... Alors je suis ressorti de la lecture de ce livre avec une grande tristesse car j’ai retrouvé dans ces pages le " parcours du combattant " que nous décrivent trop de mères chaque année. Chaque page de ce livre nous fait mesurer la douleur de cette femme, et nous en dessine les contours. Et l’on découvre la souffrance de toute mère qui apprend que son enfant est lourdement handicapé et qui voit l’univers basculer. Et puis la souffrance née de la violence des sentiments contradictoires d’une mère à qui l’on impose un choix impossible... Car hélas il s’agit bien d’un choix ¾ impossible ¾ imposé...

Il n’est évidemment pas question ici de discuter de l’histoire personnelle d’Isabelle de Mézerac. Mais plutôt de partir de son magnifique témoignage pour essayer de comprendre à quels choix impossibles sont condamnées les mères. Son histoire illustre malheureusement la situation de milliers de femmes à qui, dans notre pays, chaque année, on indique une " interruption médicale " de grossesse (IMG). Dans quelle société, de quel droit, une épreuve aussi inhumaine peut elle être imposée à une famille ? La première partie du livre, d’une violence inouïe, est proprement intolérable. Le diagnostic prénatal pratiqué et communiqué à la mère dans des conditions qui relèvent de la faute professionnelle, place celle-ci devant une situation insoutenable. Elle se voit contrainte d’arbitrer entre l’attente d’un bébé handicapé, dont la représentation va troubler toute sa grossesse, qui va mourir à la naissance, et la mort anticipée de cet enfant par l’avortement auquel elle-même est incitée à consentir.

Qui peut résister à un tel choix ou plutôt à une telle absence de choix ? Y a-t-il d’ailleurs matière à choisir ? Dans l’accord des époux (dont l’héroïcité ici n’est pas en cause) pour refuser la proposition d’avortement, il y a une lecture en négatif qui suggère évidemment que le choix inverse existe, même dans les meilleures familles, les plus aimantes, les plus spirituelles. Et c’est cela justement qui est " non pensable " tant sur le plan de la raison que sur celui du cœur. Ce tourment n’avait pas sa place dans la panoplie des malheurs avant la libéralisation de l’avortement.

 

Le basculement

 

L’avortement a d’abord été présenté comme une exception pour les femmes attendant un enfant porteur d’une anomalie d’une particulière gravité ou si la santé de la mère était en danger. Et que voit-on aujourd’hui ? Un basculement complet des valeurs : de solution extrême proposée aux parents, l’avortement est devenu la solution normale, puis la seule solution possible. Et en courbe exactement inverse, on saisit que choisir la vie de son enfant, qui était une évidence, devient un choix peu ordinaire, puis inexistant. Et peu à peu, cette solution n’est même plus proposée. Oubliée, balayée... À tel point que laisser la vie à son enfant est redécouvert comme une issue possible, et comme une alternative à l’avortement...

C’est grâce à l’intervention d’un médecin extérieur au service où elle était suivie que la mère entend enfin pour la première fois qu’il y a une solution possible : garder l’enfant. Et puis on lit le témoignage de médecins qui n’ont jamais rencontré de mères continuant leur grossesse dans un cas pareil, et qui découvrent, étonnés, une alternative possible à l’avortement : " [Se] dessine la possibilité, comme cela se fait auprès des personnes adultes, d’introduire une autre voie, un autre espace de liberté, celle de poursuivre la grossesse et d’être accompagnée dans ce choix-là. " Quel aveu ! Et l’on découvre aussi la légèreté de tous ceux qui demandent à la maman pourquoi les médecins n’ont rien pu faire pour " lui enlever ", comme si on lui enlevait un kyste...

Mais donner la vie n’est pas une alternative à l’avortement ! Qu’une mère décide de garder son enfant en vie, c’est presque un pléonasme... N’est-ce pas le propre d’une mère de vouloir que son enfant vive ? N’est-ce pas d’ailleurs sur ce critère que le plus grand sage de tous les temps à jugé il y a 3000 ans ? La vraie mère est celle qui veut la vie de l’enfant, Salomon en a décidé ainsi une fois pour toutes, qui donc y résisterait ? Et je ne crois pas un instant que les femmes d’aujourd’hui soient moins mères que celles d’il y a 3 000 ans. Le fond du cœur de l’homme ne change pas à travers les siècles. Seuls changent les structures et les lois puis le discernement. Mais le cœur a ses raisons... que les lois ne connaissent pas et c’est ce qu’illustre avec force et espérance le magnifique témoignage d’Isabelle de Mézerac.

Malgré la loi, malgré la banalisation d’un acte grave, le cœur des mères continue de battre et parfois parvient à chambouler l’ordre imposé. Et pour y parvenir, outre l’instinct maternel, elles doivent faire preuve d’un courage héroïque. Pour être mères, elles doivent être héroïques. Et le fait même de parler d’héroïsme quand il s’agit pour une mère de ne pas choisir la mort de son enfant est une défaite de la vie. Ce n’est plus une évidence. C’est un choix héroïque. Or tout le monde n’est pas un héros... Comment est-ce possible ? Comment en est-on arrivé là ? 3000 ans balayés en quelques années ? Et qu’on ne me parle pas de victoire des féministes. C’est le plus grave des échecs sociaux.

 

Le diagnostic prénatal : parler ou pas ?

 

La cruauté réside dans la désignation d’une victime expiatoire chargée d’épargner au reste de la famille des souffrances inutiles. Le comble est atteint quand la victime est l’enfant que vous attendiez ou le frère dont vous rêviez. L’inimaginable est dépassé quand on réalise que le sacrifice ne guérit de rien, n’apaise rien et qu’il n’est que le produit d’un formidable mensonge social.

Je sais malheureusement quel est l’intérêt de la société à entretenir ce mensonge. Mais je sais surtout que, pour la famille, l’intérêt d’y souscrire est nul. De deux choses l’une : ou bien la maladie est curable et le diagnostic rend le service qu’on attend de lui ; ou bien la maladie ou le handicap ne sont pas curables et alors révéler le diagnostic ¾ sans thérapeutique ¾ est inutile et même le plus souvent toxique.

Au détour d’une des visites médicales d’Isabelle de Mézerac on retrouve cette problématique. Le médecin qui la suit, alors qu’elle a annoncé son désir de garder l’enfant, quelque que soit son handicap, choisit de ne plus lui décrire toutes les complications qu’il pouvait découvrir sur l’enfant. " Il était bien inutile de charger un peu plus notre fardeau de parents puis qu’aucune intervention médicale à la naissance n’était envisageable. "

On souhaiterait que la délicatesse de ce médecin soit celle de tout le corps médical. Avons-nous le droit d’accepter des examens qui nous décriront avec beaucoup de précisions des maladies ou des malformations très graves mais qui ne pourront proposer aucun soin ? Doit-on indéfiniment développer ces tests prénataux disproportionnés avec les soins que l’on peut apporter ? N’est-ce pas déjà une façon de se mettre en situation de choix impossible ? Si le diagnostic prénatal est très positif quand il permet de déceler puis de traiter des malformations ou des complications in utero, c’est un geste chargé de menaces quand il est pratiqué pour dépister des maladies incurables... " La science est véritablement l’arbre du bien et du mal, disait Jérôme Lejeune ; elle donne indifféremment des fruits bons et des fruits mauvais ; toute notre responsabilité de scientifiques est d’essayer de cueillir les fruits bons et de ne pas offrir les fruits mauvais à nos contemporains ou à nos descendants . " Ainsi en est-il du diagnostic prénatal. Selon son usage, il est bon ou mauvais...

 

Pour l’éternité

 

Une question me poursuit depuis que j’ai fermé l’ouvrage : pourquoi les médecins qui ne désirent pas autre chose que le bonheur des mères, ne crient pas au monde la souffrance de ces femmes ? Comment, témoins de tant de douleur morale, continuent-ils d’imposer aux mères ces choix impossibles ? Ce livre plein d’émotion, de tendresse de douceur, nous a projetés dans la renaissance d’une femme, renaissance possible parce qu’elle a choisi la vie. Nous l’avons vécu à travers ces lignes. Tous les témoignages concordent. Les souffrances des femmes qui ont interrompu leur grossesse, la libération intérieure de celles qui ont choisi de laisser la vie... On sait que le travail de deuil n’est pas le même. Il faudrait reprendre ici le lumineux témoignage d’Isabelle de Mézerac.

Choisir la vie c’est reconnaître officiellement la vie puis la mort de son enfant et construire son deuil grâce à cette reconnaissance, c’est se découvrir plus fort qu’on ne le pensait. Mais surtout c’est vivre pleinement ces mois de grossesse comme des instants d’amour intense, c’est donner la pleine place à l’enfant dans sa famille et dans le monde. On ne mesure pas une vie à sa durée, seul l’amour compte. Heureusement, les excellents développements consacrés à l’introduction des soins palliatifs en maternité sont pleins d’espoir. Rendons hommage avec humilité aux professionnels qui, à travers ces lignes, nous présentent le respect de la vie comme une idée neuve... Après tout, la vie n’est-elle pas toujours une idée neuve ?

Un mot au sujet de la belle préface du Pr. Jean-François Mattei, pour dire que les plus belles préfaces du monde ne compenseront jamais les effets délétères de mauvaises lois. Pour être sincère et fécond, l’amour a besoin de preuves plus que de mots. En politique aussi. Inscrire le bien commun dans la loi est, pour ceux qui en ont la charge, une exigence absolue de charité. On eût aimé que le préfacier emportât la conviction du ministre.

 

J.-M. L.M.