"Pour les néo-antiracistes, la question est de savoir comme 'déblanchiser' l’ordre mondial"

Source [Marianne] : Dans « Où va l’antiracisme ? Pour ou contre l’universalisme », (Hermann) Pierre-André Taguieff questionne le devenir de l’antiracisme en France après l'émergence chaotique en France de concepts américains comme le « racisme systémique » ou celle du nouvel antiracisme à tendance décoloniale. Le philosophe y évalue les conditions de possibilité d’un retour en force de l'antiracisme républicain.

Pierre-André Taguieff : Il s’agit ici d’une distinction conceptuelle ou idéal-typique, qui s’applique autant au racisme qu’à l’antiracisme, comme je me suis efforcé de le montrer dès mes travaux de la fin des années 1980 (voir notamment La Force du préjugé 1988). L’antiracisme, qu’on peut dire classique, sous ses multiples variantes, se fonde sur le postulat que les humains sont égaux en droits et en dignité, quelles que soient leurs appartenances communautaires ou leurs identités dites culturelles, ethniques ou raciales.

Il présuppose que l’appartenance au genre humain prime sur les appartenances à des groupes particuliers. Il appelle notamment à n’associer aucun jugement de valeur à la couleur de la peau. C’est en quoi il peut être dit universaliste, ou encore humaniste. Cet aveuglement volontaire à la couleur, qui est une norme éthique, le distingue du néo-antiracisme. Il symbolise le principe selon lequel il n’existe aucune barrière infranchissable entre les groupes humains. Il s’oppose donc frontalement à la thèse de l’inégalité des races humaines. L’accent peut être mis sur l’égalité desdites races ou sur leur inexistence (ou encore sur leur indéfinissabilité). Mais l’idéologie raciste comprenant également le motif du rejet de l’autre (xénophobie) et celui du métissage comme cause de décadence (mixophobie), l’antiracisme universaliste se veut à la fois xénophile et mixophile. Dans l’ordre des passions et celui des vertus, il se propose de substituer le respect au mépris, l’amour à la haine, l’hospitalité à la peur, l’ouverture à la fermeture sur soi.

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