Nos coups de coeur

La foi des démons ou l'athéisme dépassé

La foi des démons ou l'athéisme dépassé
  • Auteur : Fabrice Hadjadj
  • Editeur : Salvator
  • Année : 2009
  • Nombre de pages : 304
  • Prix : 19,00 €

Lire un livre de Fabrice Hadjadj, c'est déjà accepter de se faire déménager la tête pour revenir à un certain nombre de fondamentaux de la vie chrétienne. Rien de tel qu'un converti pour souffler sur les braises attiédies des croyants de souche .

Il nous avait incité à regarder la terre comme chemin du ciel, montré le chemin de sanctification de Saint-François Xavier, plongé au plus profond de la chair pour l'emmener à la lumière de la foi. Ici, il nous convie à une promenade en enfer ! Et comme on sait que cet endroit pavé de bonnes intentions est par ailleurs fort glissant, l'auteur s'accroche fermement à la doctrine la plus classique et reste vissé aux textes de l'Evangile. Cela vaut mieux et du même coup, évite au lecteur les croquignolades sur les incubes, succubes, sabbats infernaux, messes noires, pentagrammes et colifichets que l'on trouve de nos jours accrochés aux frusques des amateurs de rock gothique. S'il nous épargne le folklore, c'est pour mieux emprunter le sentier escarpé du combat de la foi. Là, le démoniaque pointe le bout de son museau avec des tentations plus destinées au cœur des croyants que de celui des athées, libertins, luxurieux et agnostiques. Si l'auteur voit son livre comme une leçon de karatéchisme, la lecture montre que les armes de combat à notre disposition sont plus qu'à notre portée, ils sont très intimes.
La première partie du livre porte sur la foi des démons. Fabrice Hadjadj a le goût de la formule, il s'en délecte, mais il tombe juste. Les démons ont effectivement une très grande foi car ils savent avec toute leur intelligence mature et définitive qui est vraiment Jésus. C'est d'ailleurs ce qui rend leur refus définitif, comparé aux pauvres humains qui errent leur vie durant sur les chemins de foi, oscillant entre connaissance reconnaissance. Car le point de friction majeur est là. Le démoniaque peut battre Google et Wikipédia dans l'analyse et la recherche de savoirs, mais est heurté par la liaison d'amour miséricordieux entre un pauvre être de chair et le créateur des mondes, qui le cherche. Toute la voie des démons s'efforcer à fausser cette relation privilégiée. Nous voyons là que le principe radical de la faute d'Adam, ce fameux péché originel dont on se gausse en haussant les épaules, ne se trouve ni dans l'ignorance athée, ni dans la faiblesse de la chair, mais dans la manière dont nous acceptons l'amour de Dieu. La faute porte moins sur la connaissance que sur la reconnaissance. Au cours de cette première partie, l'auteur s'attache à décrypter soigneusement les trois tentations de Jésus au désert et souligne que le principe des tentations est de dévoyer la liaison première qui nous joint à Dieu. Ainsi, l'amour des pauvres peut devenir humanitarisme, l'abandon à la providence du quiétisme, l'annonce de la Bonne nouvelle de l'activisme évangélique. Les tentations du Christ sont celles de l'Eglise et la voie est toujours étroite pour garder le bon cap entre ces écueils. Les institutions humaines comme ceux qui les composent peuvent aisément dévoyer l'Amour en amour-propre et succomber à ce premier péché capital qu'est l'orgueil.
La seconde partie est "consacrée" à Notre-Père du mensonge, ce Lucifer archange au cœur empli de jalousie pour l'humanité, devenu Satan par son refus de servir, et dont l'activité est de dévoyer facilement les Hommes. L'auteur profite de ce portrait pour indiquer les différentes pièces du "diviseur" sur l'échiquier de l'erreur. Pour cela, il reprend en profondeur le dialogue dramatique du jardin d'Eden qui débouche sur la felix culpa. Dialogue fondateur où la femme se défend, alors que l'homme avale tout bonnement ce que lui donne la femme ! Femme qui a une place centrale puisque l'inimitié qu'instaure Dieu avec Satan passe par la elle, et non l'homme, car elle est le chemin "matriciel" de l'Incarnation, c'est à dire de ce que refuse absolument Satan. Outre l'analyse de ce dialogue, Fabrice Hadjadj insiste sur le fait que la voie du démoniaque est une voie de torsion des réalités spirituelle et que la tache du croyant est avant tout de remettre les choses à l'endroit, de leur faire retrouver la dignité et de montrer, en particulier, la chair comme chemin du ciel. C'est une des marques fortes de l'auteur à travers ses livres que cette insistance sur la réalité ancrée dans la glaise de la vie. Le christianisme est chemin physique autant que spirituel, mais d'abord réel et soumis à la gravitation terrestre !
La troisième partie porte sur le soleil de Satan et la nuit de la foi. Thème récurrent dans la littérature chrétienne à travers les âges, cette nuit de la foi a une particulière signification dans les temps où le christianisme est combattu, raillé et où on demande à l'Eglise de n'être qu'une ONG comme les autres. La radicalité même du message évangélique empêche cette "mise au pas" mais elle incite d'autant plus fortement le chrétien à approfondir sa relation avec le Christ. C'est à ce point que l'obscurité nait car le chemin est pavé de doutes, de silences, d'absences. Nous sommes au cœur de cette relation fondée non pas sur l'obéissance du croyant envers un Dieu transcendant qui dicte sa loi dans un code, mais sur la confiance de l'amour, cette confiance qui nait chez l'Homme alors qu'il n'est qu'enfant. L'auteur nous fait rejoindre à ce moment la voie du démoniaque car Satan ne connaît pas la voie de l'enfance, pour ne l'avoir jamais vécue, étant adulte d'emblée. Cette voie du merveilleux, empruntée par des écrivains (Chesterton, Tolkien) ou par des docteurs de l'Eglise (Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus), en relation directe avec le discours des Beatitudes, est une des principales armes spirituelles pour écarter l'orgueil de Satan. Retrouver l'esprit d'enfance (pas l'infantilisme !) est un chemin évangélique essentiel. Même s'il ne le dit pas explicitement, Fabrice Hadjadj a une prédilection particulière pour la petite voie thérésienne, une voie d'enracinement et d'humilité. A méditer, "car le surnaturel est lui-même charnel/ et l'arbre de la grâce est raciné profond" (Charles Péguy, Eve, 1913)
Fabrice Hadjadj a une écriture simple et très abordable même si certains passages sont plus "relevés". Le lecteur ne trouvera rien de spectaculaire dans cette foi des démons mais s'il émerge de ce livre avec moins de savoir et plus de cœur, c'est que la partie d'échec est bien entamée avec le Grappin.
Laurent Mabire

 

 

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