Par XAVIER PATIER,
écrivain. Dernier ouvrage paru : Le Roman de Chambord (Le Rocher, 2006).

 

 

LE DISCOURS AU MONDE DE LA CULTURE prononcé aux Bernardins le 12 septembre par Benoît XVI était d'une telle densité que son commentaire pourrait nourrir bien des réflexions. Je m'en limiterai à une seule, relative à la question de la critique.

Le propos du pape — en apparence fort universitaire — était de présenter les racines de la culture européenne, et singulièrement le rôle du monachisme médiéval dans leur apparition. D'entrée cependant, l'orateur a mentionné comme une évidence que la transmission ou la création d'une culture n'était pas la préoccupation des moines. Leur motivation était beaucoup plus simple : chercher Dieu. L'art, l'architecture, les livres, la culture, le travail même leur étaient d'une certaine manière donnés par surcroît. Le quære Deum était antérieur et supérieur à l'ora et au labora. Le désir de Dieu, a affirmé le pape, comprend l'amour des lettres : et non pas l'inverse, par conséquent. Belle introduction !
Cet imperceptible malaise qui parfois nous prend quand nous visitons une exposition, même d'art religieux, ou quand nous entendons un concert, même de musique sacrée, dans le chœur d'une chapelle romane un peu trop bien restaurée, nous en devinons enfin la raison : il y a entre nous, chrétiens, et les hommes cultivés de notre siècle, un malentendu fondamental : eux goûtent l'Église pour ce qu'elle bâti, et nous, malgré ce qu'elle a bâti (j'exagère : nous l'aimons parce que le Christ l'a aimée, et nous l'aimerions même si elle n'avait rien bâti). Il était heureux d'entendre le pape, s'adressant aux personnalités censément cultivées de Paris, dans une salle capitulaire magnifique, leur suggérer que la culture de l'Europe n'est que le produit fatal de la quête de Dieu.
La nécessaire explication
La culture ainsi installée à sa juste place et la raison ainsi remise à l'endroit, le pape a repéré de loin en loin les bornes milliaires que Dieu a semées jusqu'à la Révélation. La raison, a-t-il suggéré, ne capitule pas à l'approche de Dieu : elle trouve là, au contraire, un travail enfin digne d'elle. Comme fondement de tout travail théologique, Benoit XVI a cité le verset de la première lettre de Pierre : Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre comte de l'espérance qui est en vous. Cette nécessaire explication, qui pose la question de la relation de la foi à la raison, et plus précisément aujourd'hui, celle de la raison communicable de chaque chrétien en direction de la Modernité et dans son propre langage, tombait à pic. Pour l'assistance amicale, mais au fond si lointaine, qui l'écoutait, la question redevenait redoutable.
L'Église a connu il y a plus d'un siècle un conflit lancinant entre la critique et l'adhésion, la science et la foi. Renan, Loisy, les modernistes, on disait le sujet dépassé. Non que le signe de contradiction qu'ils représentent ait perdu de sa violence — bien au contraire, un chrétien de 2008, pour peu qu'il parcoure l'Évangile, ne cesse de se cogner à ce mur : Jésus, homme d'exception — mais il se trouve que la question de l'impossibilité intellectuelle d'une adhésion au Christ ressuscité a cessé en apparence d'être un procès du progrès scientifique fait à l'obscurantisme. Tout le monde a fini par admettre que les positivistes font autant d'impasses que nous quand il s'agit d'expliquer l'inexplicable. Cependant le monde postmoderne, les progrès de la bioéthique, la mondialisation, les formes décidément toujours plus imbriquées du mal et du bien, nous donnent à nouveau l'impression latente d'une contradiction insurmontable entre croire et expliquer. Et depuis une ou deux générations, de fort bons esprits, des convertis, des saints, des Maurice Clavel, puis des communautés nouvelles nous ont mis dans l'idée que l'essentiel était de garder la foi, et qu'à ce compte il serait vain, sinon dangereux, de vouloir soumettre l'intelligence à un travail théologique trop acharné. (Je me souviens d'un ouvrage de Clavel qui commençait par la citation de ce verset : Je te bénis, Père, d'avoir caché ce mystère aux sages et aux intelligents ... avant de régler leur compte en bloc à Descartes, aux Lumières, aux philosophes, à l'épiscopat et aux théologiens.) Bref, à lire Clavel trop vite on en venait à penser qu'il fallait choisir entre l'espérance et l'explication. Bienheureux obstacles à contempler de loin, bienheureuses contradictions qui nous permettaient de nous convertir sans dépenser d'énergie critique.

 

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