LIBERTE POLITIQUE n° 41, été 2008.

Par Elizabeth Montfort. LES PREMIERES LOIS DE BIOETHIQUE ont été votées en France en 1994. Le législateur a prévu qu'elles soient révisées tous les cinq ans. La loi revue en en 2004 sera rééxaminée en 2009, comme le gouvernement l'a annoncé.

Dès la fin de cette année, des consultations vont commencer et se poursuivront jusqu'à la mise au point d''un projet de loi de révision qui sera présenté aux parlementaires. La Fondation de Service politique qui a toujours suivi ces questions de près, a décidé d'éditer ce guide dans le but d'éclairer le citoyen et de l'aider à prendre toute sa part dans un débat qui ne doit pas être confisqué par le législateur et les scientifiques. C'est le bien commun qui est en jeu, et la conscience de tous doit parler.
Plusieurs questions se posent : qu'est-ce que la bioéthique ? Pourquoi une révision tous les cinq ans ? Sur quoi portent les décisions du législateur ? Et enfin en quoi le citoyen est-il concerné ?

Ambiguïté du mot bioéthique

Le terme bioéthique est apparu en Grande Bretagne il y a quarante ans. La convention d'Oviedo sur les biotechnologies et sciences du vivant avait par la suite relevé l'éventuelle confrontation entre science et morale :

Conscient des rapides développements de la biologie et de la médecine ; conscients des actes qui pourraient mettre en danger la dignité humaine par un usage impropre de la biologie et de la médecine ; affirmant que les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés pour le bénéfice des générations présentes et futures .

La valeur suprême invoquée par ce texte est la dignité qui inclut l'intégrité, l'identité et la non-patrimonialité de l'être humain ; elle marque le souci de sa protection . Conscient de l'intérêt de l'être humain et de la liberté de la science, la Convention n'hésite pas à affirmer qu'en cas de conflit, c'est l'être humain qui doit l'emporter. Bien que la France n'ait pas ratifié cette Convention, elle l'a néanmoins signée.
Ainsi, pour veiller au respect de la dignité humaine, les politiques ont inventé le mot bioéthique pour concilier principes moraux et recherche. Il s'agirait pour le législateur de créer une nouvelle discipline, la bio-éthique, c'est-à-dire inventer une politique de la vie et décider des normes soi-disant objectives où personne, ni les scientifiques, ni les politiques, ne veulent ou ne peuvent définir la nature humaine et sur quoi se fondent nos droit et notre dignité. En d'autres termes, les lois dites de bioéthique seraient une sorte de contrat résultant d'un compromis à un instant donné et pouvant être remis en cause par un autre compromis, d'où les révisions répétitives.
Nous l'avons vu lors des débats de 2004 : il s'agit moins de maintenir les principes intangibles du respect de la dignité humaine que d'encadrer juridiquement les transgressions, comme si la morale devait s'adapter aux découvertes scientifiques ou donner satisfaction aux apprentis sorciers qui manipulent la vie. Si d'autre part, l'éthique du vivant pose des principes, ceux-ci ne peuvent être reniés par une loi sauf à rejeter le principe lui-même.
Finalement, on est en droit de se demander pourquoi il faut légiférer sur les questions relatives au vivant. S'agit-il de s'adapter aux découvertes scientifiques, de satisfaire les revendications individuelles de plus en plus nombreuses, ou d'organiser par coup de compromis notre société ? Faut-il que la loi autorise ce que la science a découvert ? Dans son discours à Havard en 1984, Alexandre Soljenitsyne donnait un début de réponse : Les hommes ont besoin de faire des lois lorsqu'il n'y a plus de mœurs. Pendant longtemps, il n'y eut besoin ni de lois, ni de bioéthique. Deux serments suffisaient : le serment d'Hippocrate, selon lequel le médecin s'engageait à soigner le patient tout en respectant la vie ; le serment d'Antigone, ou le droit d'enterrer son frère, c'est-à-dire le respect de la mort et par symétrie le respect de la vie.
Sans en connaître le contenu exact, nous savons déjà que les révisions des lois de bioéthique porteront principalement sur la reproduction et la médecine régénérative, c'est-à-dire l'utilisation des cellules souches.

La procréation-reproduction ou le droit à l'enfant

Les pressions sont telles dans la société d'aujourd'hui que tous les moyens sont explorés pour satisfaire le désir d'enfant. En France, la fécondation in vitro a été mise au point en 1982 par le professeur Jacques Testard. À l'origine, seuls furent créés les embryons implantés dans l'utérus de la mère. Puis, en raison de la pénibilité pour les femmes d'obtenir des ovocytes, les médecins ont produit un nombre supérieur d'embryons. Ce qui a donné les embryons surnuméraires, conservés dans le froid, en attendant une nouvelle implantation ou un abandon.
Puis, fut mis au point le diagnostic pré-implantatoire, destiné à n'implanter que des embryons sains et vigoureux, ou non-porteurs de gènes déficients.
Autorisée pour traiter les causes de stérilité, la fécondation in vitro a été utilisée par la suite pour éradiquer les maladies génétiques en supprimant les embryons malades. C'est ainsi que certains médecins osent affirmer que la trisomie 21 n'existent plus puisque 95 % des embryons ou des fœtus porteurs de la maladie ont disparu. Curieux abus de langage : parler d'éradication de la maladie pour masquer la suppression des malades ! Ce n'est pas de la thérapie, c'est de l'eugénisme.
En outre les prochaines lois porteront sur d'autres modes de reproduction : mères porteuses ou gestation pour autrui, insémination avec donneur de sperme ou utilisation d'ovocytes anonymes...
Une question cruciale se pose sur la fourniture de ces cellules reproductives. Leur pénurie pour satisfaire la demande conduit certains à proposer une rémunération. Or notre droit, tout comme les conventions internationales, interdisent la commercialisation du corps humain (ou une partie du corps humain). On se souvient du scandale en Grande Bretagne du commerce d'ovocytes avec des femmes roumaines : ce sont naturellement des femmes d'une grande pauvreté qui sont exploitées. Mais l'altruisme de l'homme ou de la femme peut-il aller jusqu'à donner ce type de cellules en ignorant de qui ils seront père ou mère ?

Médecine régénérative ou le droit à la santé

La médecine régénérative n'est plus un mythe. Avec la thérapie cellulaire, elle est devenue réalité. Les découvertes récentes sur les cellules souches adultes et issues du cordon ombilical laissent entrevoir des espoirs de guérison. Remplacer des cellules malades, reconstituer des tissus ou des organes endommagés, devient possible grâce à ces cellules si précieuses.
L'enjeu de la révision des lois de bioéthique de 2009 portera sur le type de cellules utilisées pour la thérapie cellulaire. Alors que les travaux sur cellules souches embryonnaires ne donnent aucun résultat, la loi doit-elle maintenir leur utilisation, même à titre dérogatoire ? En 2004, la clause qui spécifiait que ces cellules pouvaient être utilisées à condition qu'aucune autre alternative thérapeutique n'existe, est tombée depuis les récentes découvertes. Les défenseurs de la recherche embryonnaire ne s'y sont pas trompés puisqu'aujourd'hui ils demandent la levée du régime dérogatoire pour la recherche fondamentale.
Le professeur Peschanski, spécialiste de la recherche sur l'embryon, affirmait lors de l'inauguration du pôle de recherche d'Évry : Les cellules souches sont des outils thérapeutiques — démontrés pour les cellules souches adultes, théoriques pour les cellules souches embryonnaires. Alors que l'impasse thérapeutique des cellules souches embryonnaires est connue de tous, on ne peut pas imposer des fantasmes aux malades qui attendent des traitements !
La demande d'autorisation du clonage thérapeutique relève de la même supercherie. Il n'est pas acceptable que l'embryon soit réduit à l'état de matériau. Il est étonnant que la France n'aide pas davantage la recherche qui donne des résultats et ne s'engage pas avec plus d'énergie dans la création de banques de stockage des unités de sang du cordon pour répondre à la demande des malades.

Comités des sages : abandon du politique et glissement sémantique

Pour le pouvoir politique, État ou législateur, la difficulté d'assumer ses décisions conduit à s'en remettre aux avis d'experts ou de sages. Réalise-t-il ainsi que le pouvoir de dire le droit et de décider ce que sera la loi lui échappe et qu'il se dessaisit, consciemment ou non, de sa responsabilité ? On assiste à une multiplication des conseils de bioéthique, des conseils nationaux ou européens consultatifs, sensés donner un avis, considéré comme le droit et a la vérité à un instant donné. Le rôle de ces comités, d'après Jacques Testard, est surtout d'accoutumer l'opinion à des transgressions qu'on finit tôt ou tard par entériner . La décision finale n'est autre qu'un compromis qui peut être remis en cause par de nouvelles revendications. D'où les révisions successives...
Ainsi est lancée la machine à transgression . Une fois la loi votée, comme nous l'avons vu en 2004, des organismes indépendants sont chargés de prendre les décisions que les politiques refusent de prendre. Ainsi l'Agence de biomédecine a donné trente autorisations de recherche sur les cellules souches embryonnaires depuis février 2006, au mépris des termes de la loi qui n'autorise la recherche que par dérogation du législateur. En Grande Bretagne, c'est la HFEA qui a récemment autorisé la création de chimères pour faire face à la pénurie d'ovocytes.
Demain faudra-t-il créer une Haute Autorité bioéthique pour délivrer les autorisations que le politique n'osera pas donner ? Pour asseoir leur autorité, ces comités n'hésitent pas à utiliser les contradictions, les abus de langage et les justifications pour autoriser ou interdire telle ou telle technique. D'où l'apparition d'un nouveau vocabulaire : interruption de grossesse pour l'avortement ; réduction embryonnaire pour l'avortement en cas de grossesse multiple ; transfert nucléaire pour clonage humain ; pilule du lendemain pour avortement chimique ; pré-embryon pour être humain au stade embryonnaire ; personne potentielle pour embryon et fœtus ; amas cellulaire pour embryon ; embryons surnuméraires ; diagnostic préimplantatoire ou diagnostic prénatal pour eugénisme individuel...

Que sont devenus les droits de l'homme ?

Le droit à la santé, le droit à l'enfant...ces revendications nous éclairent sur l'évolution de notre conception des droits de l'homme.
La conception classique des droits de l'homme vient de notre triple héritage grec, romain et judéo-chrétien : 1/ tout être humain est une personne dès sa conception et peut exercer sa liberté et sa volonté, même si au gré des événements ou des circonstances, celles-ci sont abîmées ou limitées ; 2/ tout être humain participe à la même humanité et par voie de conséquence bénéficie d'une égale dignité.
C'est donc la nature unique de l'homme, ce caractère mystérieusement irréductible de la personne humaine, qui fonde sa dignité. Cette dignité, unique dans la création, est fondatrice des droits de l'homme. Jusqu'à la Déclaration de 1948, cette conception réaliste est unanimement reconnue : l'homme ne s'invente pas, il existe, il est sujet de droit, antérieurement aux institutions politiques ou juridiques. Cette Déclaration est reconnue comme patrimoine commun de toute l'humanité. Ces droits sont liés à la nature de l'homme. Le Décalogue reste le texte de référence, si bien que les droits de l'homme ont une portée universelle. La personne humaine est au cœur de ces droits.
Cependant, à peine proclamée, la Déclaration de 1948 sera remise en cause par trois facteurs : l'exaltation de l'individu, le relativisme et le volontarisme.
Dans la nouvelle conception des droits de l'homme, la personne humaine est effacée. L'homme n'est plus considéré comme une personne, ouvert à autrui et à la transcendance, capable de relations avec son semblable, il est réduit à son individualité. Il est un être particulier qui se choisit ses vérités, ses intérêts et ses plaisirs. Les droits de l'homme sont devenus ainsi un catalogue de revendications ponctuelles. Le droit fondamental de l'homme, c'est le droit de satisfaire ses passions individuelles que la loi doit entériner : droit à l'avortement, droit à l'enfant, droit à être parent, droits reproductifs, droit à la santé, droit à la santé parfaite, droit à mourir dans la dignité....
Tout ceci concourt à une grande confusion. Notre société de la personne est remplacée par une société de l'individu. Dans une société de la personne , s'exprime une volonté de former une communauté. Le fondement, la même humanité, et l'objectif, la recherche du bien commun, sont bien distincts. Alors que dans une société de l'individu , le fondement et l'objectif se confondent : la recherche de ses propres intérêts et de ses désirs est une fin en soi, ce qui limite l'individu à lui-même. L'individu, si ses intérêts ne sont pas satisfaits, craint de faire l'objet de discrimination. D'où cette quête permanente de reconnaissance par la création de nouveaux droits, même si ces droits sont contradictoires ou contre-nature.
Prenons par exemple le droit à la vie . Tout le monde est d'accord pour reconnaître ce droit, comme le déclare par exemple dans son article 2 la Charte européenne des droits fondamentaux : Toute personne humaine a droit à la vie. Mais la Charte refuse de considérer l'embryon comme une personne, ce qui revient à accepter le caractère modulable du principe. Ainsi s'instaure une hiérarchie dans les droits de l'homme, en fonction du degré de respect qu'on accorde à l'être humain. Les droits de la personne , inhérents à la nature humaine, sont remplacés par les droits de l' individu . L'objectif de ces nouveaux droits c'est le refus de toute discrimination : se protéger soi-même et assurer ses intérêts.
Or la première discrimination n'est-elle pas de refuser la même humanité à tout le genre humain ? Pouvons-nous accepter qu'une catégorie d'êtres humains, les embryons, soient sacrifiés pour soigner une autre catégorie d'êtres humains, les malades ? Affirmer que les êtres humains n'ont pas la même humanité revient à instaurer une hiérarchie dans la dignité des êtres humains, en passant de l'universel (personne) au particulier (individu), qui rend relative la notion même de dignité. C'est ce qu'expliquera le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui sur une question proche — l'exception d'euthanasie — prétend que la dignité est une valeur modulable : À mon sens, la dignité est une notion à définition variable qui relève, pour beaucoup, de la subjectivité. Aussi, chaque individu lui donne sa propre signification .
Les dangers de ce relativisme ont été signalés par le pape Benoît XVI , lors de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme de 1948 :

Les droits de l'homme sont toujours plus présentés comme le langage commun et le substrat éthique des relations internationales. Tout comme leur universalité, leur indivisibilité et leur interdépendance sont autant de garanties de protection de la dignité humaine [...]. Ces droits trouvent leur fondement dans la loi naturelle inscrite au cœur de l'homme [...] Détacher les droits humains de ce contexte signifierait restreindre leur portée et céder à une conception relativiste, pour laquelle le sens et l'interprétation des droits pourraient varier et leur universalité pourrait être niée au nom des différentes conceptions culturelles, politiques, sociales et même religieuses. La grande variété des points de vue ne peut pas être un motif pour oublier que ce ne sont pas les droits seulement qui sont universels, mais également la personne humaine, sujet de ces droits .

Réconcilier la science avec l'homme

Alors que le débat bioéthique tourne à la confrontation entre scientisme et humanisme, il est possible de réconcilier la science avec l'homme. En 2004, pour justifier la recherche sur l'embryon par dérogation, le législateur a avancé l'idée de l'urgence thérapeutique. Aujourd'hui, alors qu'aucun résultat n'a été obtenu, on parle de recherche fondamentale, oubliant la demande toujours urgente des malades et de leur famille. Seraient-ils les grands oubliés de ce débat ?
Quand au droit à la santé, prenons au mot ceux qui le défendent pour ouvrir les potentialités de thérapies à tous les malades, en favorisant celles qui donnent des résultats positifs. Le refus d'ouvrir de nouvelles banques de stockages des cellules souches du cordon ombilical conduit les plus riches à se réfugier dans des banques privées. Est-ce bien là l'expression de notre solidarité vis-à-vis des plus fragiles de notre société ?
Si l'Église suit avec tant d'attention les questions bioéthiques, c'est qu'elle est l'une devenue l'une des rares instances à avoir encore quelque chose à dire sur l'homme, au point de rappeler sans cesse que toute transgression est inconcevable avec le respect de sa dignité et de ses droits et par voie de conséquence que ces questions ne sont pas négociables. Les récentes découvertes scientifiques, inconnues en 2004, donnent l'occasion au législateur de réconcilier enfin la recherche scientifique avec le respect sans condition dû à l'être humain quelque soit son état de santé et son stade de développement.
Ce seront les grands enjeux de ces débats bioéthiques et c'est aux citoyens de le rappeler aux politiques.

E. M.*

* Ancien député européen, Fondation de Service politique.