Victor Orban sur l'UE : le discours d'un vrai dirigeant européen.

[Source : Salon Beige]

Voici la version française du discours de Victor Orban, devant les participants de la 27ème Université d’été de Baile Tusnad (Transylvanie ), en Roumanie, le 23 juillet 2016 :

"Bonjour Mesdames et Messieurs, Monsieur le Pasteur Tőkés, cher Zsolt Németh,

Je vous remercie de pouvoir être de nouveau parmi vous après un an. Se retrouver est déjà en soi un plaisir précieux, qui fait chaud au cœur. Ce serait une raison suffisante à l’existence de cette université d’été, mais celle-ci remplit aussi, depuis plus de deux décennies, une autre fonction, celle de donner la parole au premier ministre de Hongrie en fonction. Il s’est ainsi créé une situation, un espace convivial, où il est possible de parler de politique autrement, de parler de questions difficiles et compliquées d’une autre manière que celle à laquelle nous sommes contraints par le métier de la politique pendant les 364 autres jours de l’année. Mais il en résulte aussi des problèmes. Car la politique européenne a depuis longtemps épuisé, sur les grands sujets qui la préoccupent, les styles de discours que vraisemblablement personne ne comprend en-dehors de ceux qui les tiennent, mais qui au moins ne leur procurent pas de contrariétés. Mais l'ambiance d’une université d’été est différente. Si ici nous n’appelons pas par leur nom, d’une manière que nous aussi pouvons comprendre, les dilemmes qui nous taraudent, et qui ne sont d’ailleurs pas seulement nos propres dilemmes, mais des dilemmes qui tarauderont – comme vous allez l’entendre – l’Europe tout entière, eh bien notre université d’été ne vaudra rien, elle ne sera pas une université d’été mais un camp de propagande. Je dois donc faire ce qui dans ce métier – dans mon métier – est interdit, ce que tous les conseillers déconseillent. Je vais donc vous dire clairement ce que je pense de la situation de l’Europe d’aujourd’hui. Et pour en rajouter : je n’essaierai pas seulement de vous présenter des questions sensibles, délicates, mais je voudrai aussi le faire d’une manière compréhensible par tous, c’est-à-dire que j’utiliserai un style direct qui est aujourd’hui banni en Europe : car dès que l’on choisit un certain mode d’expression pour décrire nos soucis et nos problèmes, il faut s’attendre à être stigmatisé, il faut s’attendre à être déclassé, rejeté, exilé, d’une manière générale, du mainstream européen. Naturellement, lorsque le mainstream en vient à connaître des problèmes, le fait d’en avoir été rejeté à un certain moment se mue plutôt en avantage. Nous ne l’aurions pas cru autrefois, mais force est de constater aujourd’hui, de plus en plus, que le fait d’avoir rejeté la Hongrie du mainstream, et d’avoir voulu interpréter tout ce que nous avons fait comme s’écartant de la politique convenue de l’Europe – qu’il s’agisse de notre constitution et de sa référence à nos valeurs chrétiennes, de notre politique démographique, de l’unification de notre nation par-delà les frontières – est devenu maintenant, a posteriori, quelques années plus tard, plutôt un avantage qu’un inconvénient. Personne ne peut exclure en ce moment que le mainstream de l’Europe ne se trouvera pas, dans les années à venir, là où l’on a précisément essayé de renvoyer la Hongrie. C’est ainsi que le mouton noir deviendra troupeau, et l’exception, règle. Nous ne savons pas si ce sera exactement le cas, mais ce que nous voyons aujourd’hui en Europe ne permet pas de l’exclure.

J’étais encore très perplexe hier, et même jusqu’au dernier moment, hier soir très tard, lorsque j’essayais de mettre en ordre ce que j’allais vous dire aujourd’hui. Je n’avais encore jamais été aussi perplexe qu’hier soir devant une telle situation. Il se passe tellement de choses qui méritent chacune des explications détaillées, et dont il serait légitime de parler : l’attentat de Munich d’hier, les attentats en France, la mise en route de plusieurs centaines de migrants avant-hier à pied depuis Belgrade en direction de la Hongrie, l’investiture par les conservateurs de Trump à la candidature à la présidence des Etats-Unis et son grand discours – qui mériterait à lui seul l’attention de toute une université d’été –, la sortie des Anglais de l’Union européenne... Tous ces événements exigent qu’on les explique d’une manière ou d’une autre. Mais ce n’est pas le rôle d’une université d’été de décrire des phénomènes, bien plutôt d’essayer – à l’aide bien évidemment des questions qui ne manqueront pas d’être posées – d’en identifier les ressorts, les interconnexions qui les caractérisent.

La vérité est qu’il n’y a pas à ce jour d’explication univoque, c’est à dire universellement acceptée par tous ceux qui s’occupent de politique européenne, à la multitude des phénomènes dont je viens de citer quelques exemples. Il n’y a pas d’explication universellement admise à cette multitude de phénomènes, que je pourrais synthétiser de la manière suivante : la peur grandit de jour en jour en Europe, l’impression se fait de jour en jour plus forte en Europe que notre avenir est incertain. Et je voudrais essayer, sans aucune prétention à une approche scientifique que l’on serait en droit d’attendre, d’identifier d’abord la cause commune, la source originelle dont procèdent ces phénomènes qui provoquent notre peur. En écoutant tout à l’heure M. le Pasteur Tőkés, je me suis rendu compte que je n’aurais pas dû rester perplexe hier soir, mais l’appeler, parce qu’il a prononcé la phrase dont je dois en vérité partir, comme point de départ. Il a cité le prophète Néhémie : « N’ayez pas peur, luttez ! » Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Contre qui faut-il lutter ? Si nous ne pouvons pas dire contre quoi il faut lutter, nous sommes incapables de définir les bonnes modalités de cette lutte, de distinguer ce qui est utile et ce qui est contre-productif, nous sommes incapables de sélectionner les moyens à mettre en œuvre. Si nous ne pouvons pas dire contre quoi nous luttons, nous ne pouvons pas identifier non plus les moyens les mieux appropriés, ni voir lesquels nous font plutôt du tort. C’est pourquoi il est important d’essayer – et c’est à mes yeux la tâche la plus importante qui attend l’Europe dans l’année qui vient – de définir ensemble, au niveau européen, ce contre quoi nous devons lutter.

Naturellement, ce qui vient en premier lieu à la surface, c’est le phénomène migratoire, le terrorisme, l’incertitude. Mais d’où provient tout cela ? Il y a des ressemblances, à ce niveau,  entre les deux parties du monde occidental, entre les problèmes de l’Amérique d’au-delà de l’Océan et ceux de notre continent européen. Lorsque dans les cinquante dernières années l’on disait à un jeune Allemand, à un jeune Français, à un jeune Britannique ou à un jeune Belge : « mon ami, si tu fais de bonnes études, si tu respectes nos lois, tes parents, et si tu travailles avec assiduité, tu peux être sûr que tu iras plus loin et que tu vivras mieux que tes parents ». C’était cette perspective qui a donné pour nous tout son attrait au grand rêve européen, à la grande histoire de l’Europe et à l’Union européenne. Parce que nous ne pouvions pas en dire autant entre 1945 et 1990 ici, en Hongrie. Mais aux Etats-Unis, et à l’ouest de nous, dans les pays de l’Union européenne, c’était un lieu commun aussi clair que deux et deux font quatre. Et que voyons-nous aujourd’hui ? Si je dis à un jeune Anglais, à un jeune Allemand ou à un jeune Français : « si tu respectes les lois, si tu honores tes parents, si tu fais de bonnes études et si tu travailles avec assiduité, tu arriveras certainement plus loin et tu vivras mieux que tes parents », je crains qu’il ne se moque de moi. C’est cette promesse d’une vie européenne meilleure qui s’est trouvée ébranlée, qui s’est perdue, avec de très lourdes conséquences. C’est au fond une crise économique. Si nous devions en chercher les causes – dans lesquelles je ne veux pas entrer ici –, nous les trouverions quelque part dans le fait que des concurrents se sont présentés aux côtés des économies occidentales qui dominaient jusqu’à présent l’économie mondiale, des masses humaines qui se chiffrent par milliards – l’Inde et la Chine –, avec pour conséquence une reconfiguration radicale des flux des biens produits dans le monde. Et l’Occident – en particulier l’Union européenne – a été jusqu’à présent incapable de s’adapter à ce changement. Par voie de conséquence, la part de l’Union européenne se restreint, sa performance s’affaiblit, sa contribution à la production mondiale diminue régulièrement. Il en résulte que les générations futures ne peuvent pas voir devant elles les mêmes perspectives que celles qui se présentaient devant leurs parents.

La conséquence de ce phénomène est que notre vie quotidienne est marquée par une crise inavouée des élites européennes. En Europe occidentale en effet, ce sont tantôt les chrétiens-démocrates, c’est-à-dire la droite, tantôt la gauche qui ont exercé le pouvoir au cours des cinquante à soixante dernières années, mais d’une manière générale les dirigeants de l’Europe provenaient tous, pendant cette période, des mêmes milieux, de la même élite, du même monde de pensée, des mêmes écoles, des mêmes institutions de formation des jeunes générations de politiciens. Tout le monde le trouvait normal, puisque c’étaient eux qui, en s’alternant, étaient capables de garantir à l’Europe un bien-être régulièrement croissant. Depuis que la crise économique a mis ce schéma en question, cette crise économique s’est muée en une crise des élites. Ce que nous voyons aujourd’hui dans les actualités, et ce que l’élite au pouvoir décrit naturellement en clef négative, c’est l’apparition de formations nouvelles, extrémistes, populistes, des acteurs extérieurs aux élites habituelles qui prennent position sur les grands sujets du moment, qu’il s’agisse du candidat à la présidence des Etats-Unis ou du parti Alternative pour l’Allemagne – je pourrais continuer la liste – et qui sont tous les preuves d’une crise des élites. Nous pourrions à la limite en prendre notre parti, parce que, mon Dieu, les élites européennes affronteront cette crise d’une manière ou d’une autre, mais le problème est qu’aujourd’hui la crise des élites s’est muée en une crise de la démocratie.

Par conséquent, la crise économique est devenue une crise des élites, qui à son tour est devenue une crise de la démocratie, parce que les grandes masses de la population veulent clairement et manifestement autre chose que ce que proposent et font les élites traditionnelles. C’est ce qui produit cette incertitude, cette nervosité, cette tension derrière lesquelles surgissent, comme l’éclair, un attentat terroriste, une action violente, un flux migratoire apparemment incontrôlable. C’est pour cette raison que l’image est si nette, c’est pour cette raison que chaque acte terroriste nous secoue à ce point. La question n’est pas qu’un malade mental commette quelque chose un jour en France, un autre en Allemagne (cela a déjà été le cas bien des fois dans le passé), mais que nous ressentions quelque part – que cela soit fondé ou pas – que ce qui arrive est la conséquence pratiquement logique de l’incertitude et de l’inquiétude générale. C’est cela qui nous déstabilise, parce que cela nous suggère que ce qui se passe à Nice ou à Munich peut se passer n’importe quand dans n’importe quel pays d’Europe.

Car l’incertitude et la peur, qui caractérisent aujourd’hui la psychologie de base du continent européen, tuent les âmes. Quand on a peur, on n’aspire pas à de grandes choses. Quand on a peur, on se met sur la défensive. Les grandes choses ont besoin de grandeur d’âme et de cœur, pour pouvoir connaître et intégrer tout le savoir, toutes les idées qui s’imposent. Si cette sérénité est présente, l’on peut faire de grandes choses, comme par exemple, chez nous, l’unification de la nation hongroise, ou encore la reconstitution de l’économie hongroise au travers de la volonté de rattraper sur une courte période historique le retard accumulé sur près d’un demi-siècle. Il faut pour cela de l’ouverture d’esprit, une propension à la réception des idées, de la collaboration et de la confiance. En revanche, la peur incite tout le monde – les pays, les gens, les familles, les acteurs économiques – à la posture de défense du hérisson. Ce n’est pas cela qui fera l’Europe, une telle posture n’est pas propice à ce que l’Europe retrouve son rôle d’antan. L’attentat de Munich – devant les victimes duquel je souhaite ici m’incliner, à titre personnel aussi – nous secoue tout particulièrement, parce que dans l’esprit public hongrois il y avait toujours en filigrane une pensée : dans ma tête, ce n’était pas seulement un sentiment, mais une conviction, qu’il est quand même bien utile que les Allemands – qui ont certes souvent présenté de graves dangers pour les Hongrois au cours des mille ans de notre histoire – soient là, à l’ouest de nous, parce qu’ils sont un peuple sensé, ils ne donnent pas prise aux extrémismes, ni aux extrémismes spirituels, ni aux conceptions économiques déraisonnables, ni aux actes terroristes qui mettent à mal notre sécurité. C’est toujours sous cet angle que nous avons considéré l’Allemagne au cours des cinquante dernières années, comme le garant de notre sécurité depuis l’ouest, et c’est pour cette raison que la signification des événements de la nuit dernière à Munich n’est pas la même dans la tête d’un Hongrois que ce qui s’est produit, par exemple, à Nice. Ce n’est pas seulement parce que cela s’est passé plus près de nous, mais parce que cela s’est produit chez les Allemands, dont nous conservions une image tout à fait différente dans nos esprits. Cela montre que nous aussi, nous devons nous préoccuper toujours davantage et avec une énergie renforcée, de la question de la sécurité, car l’on voit bien que l’Allemagne elle-même n’est plus sûre à 100%.

Si donc à l’injonction « n’ayez pas peur ! » notre réponse est que nous devons bannir de notre vie la peur liée à l’incertitude, alors le devoir de la politique est de déterminer ce qu’elle doit faire pour qu’il en soit ainsi.

Et donc, puisque nous sommes membres de l’Union européenne, je voudrais parler aujourd’hui de ce que l’Union européenne devrait faire autrement pour que la peur et l’incertitude disparaissent de la vie de ses concitoyens. Il faut d’abord faire cesser un certain nombre de situations néfastes. En Occident, l’on présente en clef positive, sous le nom de « dé-nationalisation », une de ces situations que je juge néfaste. Le rétrécissement de la souveraineté nationale au profit des compétences européennes est pour moi un des plus grands dangers qui menacent l’Europe. Il y a des situations contre lesquelles Bruxelles est incapable de se défendre, mais nous autres, les Etats-nations, oui. C’est pourquoi toute orientation, toute action politique et toute initiative visant à retirer, expressément ou furtivement, des compétences aux Etats-nations doit être stoppée. Cette politique doit être arrêtée.

Notre seconde tâche consiste à arrêter les jugements d’autosatisfaction. Si vous écoutez les responsables européens, ils parlent aujourd’hui encore de l’Union européenne comme il y a dix ou quinze ans. Et effectivement, Mesdames et Messieurs, il y a dix ou quinze ans, y compris peut-être jusqu’à la sortie des Anglais, l’on ne doutait guère que l’Union européenne était un acteur global, un protagoniste de la politique mondiale capable d’influencer les événements non seulement sur son propre territoire, mais aussi sur n’importe quelle autre région du monde, aussi éloignée soit-elle. Un acteur global. Or, la sortie des Anglais marque clairement la fin d’une époque, et nous devons reconnaître que l’Europe a perdu cette capacité. L’Union européenne est aujourd’hui un acteur régional, capable, dans le meilleur des cas, d’influencer les événements qui se déroulent dans son environnement immédiat, mais force est de constater que ce n’est progressivement même plus le cas : dans le conflit russo-ukrainien, par exemple, l’acteur déterminant n’est pas l’Union européenne, mais les Etats-Unis d’Amérique. Force est de constater que dans les zones d’incertitude que sont la Syrie, le Proche-Orient ou l’Irak, l’acteur déterminant n’est pas l’Union européenne, mais bien plus les Etats-Unis d’Amérique et la Russie. Nous devons donc reconnaître que si nous avons aujourd’hui une capacité d’influence sur les événements du monde qui se déroulent en-dehors de notre territoire, celle-ci se limite aux régions de notre environnement immédiat.

La troisième chose que nous devons abandonner, c’est ce que j’appellerais « l’idéalisation de l’Europe ». Comme la devise de notre université d’été l’affirme clairement, nous n’avons, nous autres, aucun problème d’identité. Moins même que les Britanniques, qui ne savent pas eux-mêmes de manière précise s’ils sont Européens ou non. Pour un Hongrois, la question ne se pose pas : si tu es Hongrois, tu es Européen. Nous l’étions – c’est ce que dit la devise de notre université d’été –, nous le sommes, et nous le serons. Il n’y a aucun problème avec cela, si ce n’est qu’il est né de ce sentiment – plutôt à l’ouest de nous – une politique qui fait en permanence de l’Europe une idéologie. Dans cette acception, l’Europe n’est pas la communauté capable de régler les problèmes des nations qui vivent en son sein, mais une idée, une idéologie, un système mental clos dans lequel tout processus tendant à concentrer en lui le plus possible de compétences est bon et doit être encouragé, où en revanche toute situation où les Etats-membres résolvent leurs propres problèmes dans le cadre de leur propre domaine de compétence est au minimum suspect, et où ceux qui souhaitent récupérer des compétences, comme les Britanniques s’y sont essayés, s’exposent à la damnation. Ce qui veut dire que faire de l’Europe une idéologie conduit nécessairement à donner à toutes les questions une seule et unique réponse, la « réponse européenne commune ». La réalité est cependant autre : s’il existe évidemment des questions auxquelles la bonne réponse résulte d’une approche commune, il en existe aussi d’autres où l’approche commune produit une mauvaise réponse. La protection des frontières et la question migratoire en sont des exemples patents. Tant que nous avons essayé de les résoudre « en commun » (je parle du printemps 2015), le problème n’a fait que s’amplifier. Depuis que nous avons déclaré qu’en application des conventions qui s’imposent à chacun, tous ceux qui ont signé ce fameux Accord de Schengen doivent assurer individuellement le contrôle de leur frontière, et que nous autres Hongrois l’avons fait, le problème a diminué et a perdu de son intensité. C’est pour cela que nous ne devons pas dire qu’une politique dans laquelle les acteurs et les compétences européennes sont plus nombreux est par définition meilleure et plus riche que celle où elles le sont moins. Si nous ne renonçons pas à cette approche, c’est-à-dire si nous ne quittons pas l’approche idéologique pour revenir à une approche pratique, je suis convaincu que nous ne parviendrons pas à mettre fin à l’incertitude.

Une autre chose dont nous avons besoin pour restaurer la sécurité en Europe, c’est de reconnaître que nous avons pris de mauvaises décisions. Nous avons pris au moins trois mauvaises décisions au sein de l’Union européenne au cours des dernières années.

La première est d’avoir accru les pouvoirs du Parlement européen. Bien loin d’améliorer l’efficacité des institutions européennes, cette décision l’a détériorée.

La seconde mauvaise décision est d’avoir laissé la Commission européenne s’affirmer comme un acteur politique, contrairement au rôle que lui définit le Traité européen, à savoir qu’elle est la gardienne des Traités, ce qui implique une nature nécessairement neutre du point de vue politique. La Commission européenne se considère une commission politique, subtilisant ainsi ce rôle au Conseil européen, c’est-à-dire au conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, auquel le Traité assigne pourtant ce rôle. L’impulsion des orientations politiques est, aux termes des documents de base des institutions européennes, l’affaire et le devoir du conseil des chefs d’Etat et de gouvernement. Or, nous constatons aujourd’hui que dans les questions où les chefs d’Etat et de gouvernement ne parviennent pas à se mettre d’accord, comme par exemple dans la question des quotas obligatoires, la Commission européenne met en route sous sa seule responsabilité une réglementation et une politique de quotas obligatoire. Ce faisant, elle ne se borne pas à passer par-dessus la tête des chefs d’Etat et de gouvernement, s’appropriant furtivement une partie des compétences nationales, mais – bien plus grave – un organisme européen que personne n’a élu se propulse dans un rôle politique et provoque par là une crise de démocratie et de légitimation dans le corps de l’Union européenne.

Et la troisième mauvaise décision a été d’avoir décidé, dans l’intention d’améliorer l’efficacité du fonctionnement de l’Union européenne, d’introduire, y compris dans le domaine des intérêts nationaux vitaux des pays, la règle de la majorité qualifiée des deux tiers au lieu de l’unanimité. C’est ainsi qu’a pu se produire une situation où, alors que nombre de pays avaient pris position contre le système des quotas obligatoires, la Commission, menant son propre chemin à l’intérieur des institutions européennes et avec le soutien des grands Etats, a fait adopter à la majorité qualifiée des deux tiers, au lieu de l’unanimité, des mesures que nous devrions aujourd’hui appliquer. Bien sûr, nous n’en ferons rien, et avons introduit un recours contre cette décision. La Commission se prépare à adopter, dans le futur également, des mesures qui se heurtent à l’opposition d’au moins un tiers des nations européennes : pour ne pas parler que de migration, je veux citer la question des travailleurs détachés, qui est une question économique et où les Parlements de douze pays d’Europe ont fait connaître leur opposition à la proposition de la Commission. C’est ce qu’on appelle la procédure du « carton jaune ». Douze Parlements nationaux. La Commission a déclaré que cela ne l’intéressait pas, puisqu’elle dispose d’une majorité des deux tiers et que là ce n’est pas par pays, mais sur une base pondérée par les populations que l’on compte. Elle a déclaré que disposant de la majorité pondérée des deux tiers, elle n’examine pas, ne prend pas en considération et ne tiendra pas compte du « carton jaune » délivré par douze Parlements nationaux. Tout cela montre qu’en voulant améliorer le fonctionnement de l’Union européenne, nous avons pris des décisions qui se sont avérées contre-productives et qui, dans cette situation nouvelle, sont bien plutôt de nature à saper l’unité de l’Europe et son soutien par sa population.

En matière d’incertitude, je dois maintenant dire quelques mots du terrorisme et du phénomène migratoire. La chose la plus lamentable et la plus attristante en politique est de débattre de l’évidence, et des faits eux-mêmes, au lieu de s’attacher à en comprendre conséquences et les enseignements : l’on cherche à savoir si le blanc est bien blanc, si le noir est bien noir, si deux et deux font bien quatre plutôt que trois ou cinq. C’est ce genre de débat qui pèse sur l’Union européenne, et il est bien difficile d’y mettre de l’ordre. Nous avons pour ce qui nous concerne décidé de faire faire par notre organisme Századvég un sondage d’opinion en Europe pour savoir ce que pensent les gens, notamment sur le point de savoir s’il existe une relation entre le terrorisme et la migration.

Ce sondage d’opinion a porté sur tous les 28 Etats-membres, il avait donc une portée européenne, et pas uniquement hongroise. Les résultats sont on ne peut plus clairs, je les ai ici devant moi. Pour plus de 60% des interrogés, il est tout à fait évident qu’il existe une relation directe entre l’accroissement du terrorisme, l’accroissement de la criminalité et le phénomène migratoire. De même : 63% des citoyens de l’ensemble des 28 Etats-membres estiment que le phénomène migratoire modifie la culture des pays. Alors que les élites européennes prétendent que non, et que de telles relations n’existent pas. C’est pourquoi je suis convaincu que pour restaurer la sécurité sur le continent européen, l’élite européenne d’aujourd’hui devrait admettre quelques considérations de base, même si elles ne coïncident pas avec sa vision idéologique du monde. Le phénomène migratoire représente un danger, il accroît le terrorisme, il accroît la criminalité, il modifie de manière radicale le profil culturel de l’Europe, il détruit de manière radicale la culture nationale. Si nous ne faisons pas nôtre ce point de vue, s’il ne devient pas un point de vue européen, nous ne pourrons tout simplement pas intervenir face à ce danger. Si vous examinez les documents publiés par l’Union européenne sur cette question, vous verrez que l’Union, tout en proposant des mesures en matière de migration, ne définit pas leur but. Je suis jusqu’à ce jour incapable de vous dire – et pourtant je siège là-bas, parmi eux, au moins une fois par mois – quel est actuellement l’objectif des mesures préconisées par l’Union européenne en matière de migration. Est-ce – ce que je pense et ce que je souhaiterais – que nous devons l’arrêter et ne laisser entrer personne sans contrôle, ou bien – comme le dit la Commission – qu’il ne faut que la ralentir ? Je ne sais pas si nous voulons arrêter le flux migratoire, ou si nous voulons le ralentir. Pour ma part, je veux l’arrêter, parce que je pense qu’il est néfaste. S’ils ne veulent que le ralentir, c’est qu’ils ne le considèrent pas comme néfaste, et que ce n’est que sa forme qu’ils considèrent mauvaise. Les documents de l’Union européenne font régulièrement apparaître que les problèmes démographiques de l’Europe peuvent être aisément résolus grâce à la migration. La Commission vient de nous présenter en mai un projet d’intervention en sept parties, qui mélange allègrement les aspects démographiques, les aspects migratoires et la problématique de la main d’œuvre. Si nous ne commençons pas, ici encore, à nous placer sur des bases claires et transparentes, nous n’arriverons sans doute pas non plus à nous mettre d’accord.

Je ne suis pas chargé de la campagne de Donald Trump, et je n’aurais jamais cru que j’aurais un jour à considérer que sur les possibilités de choix qui sont apparues c’est lui qui serait le meilleur du point de vue de la Hongrie. Je ne l’aurais jamais cru, mais j’ai écouté le discours de ce candidat, qui a fait trois propositions pour freiner le terrorisme. En tant qu’Européen, j’aurais difficilement pu mieux formuler ce dont l’Europe aurait besoin. Il a dit qu’il faut faire des services de renseignement américains les meilleurs du monde, c’est la condition de base. Je le pense aussi. En Europe, la collaboration entre les services de renseignement de chaque pays doit être capable de la meilleure performance, c’est la première condition de notre sécurité. La seconde chose que le brave candidat américain a déclarée est qu’il faut arrêter la politique d’exportation de la démocratie. Je n’aurais pas pu mieux m’exprimer. Car en fin de compte, pourquoi des migrants traversent-ils en masse la mer Méditerranée depuis l’Afrique pour venir en Europe ? Ils la traversent parce que les Européens – avec plus tard les Occidentaux, dans le cadre de l’ONU – ont réussi – nous avons réussi – à réduire en miettes le régime libyen – certes pas vraiment démocratique, mais excessivement stable du point de la défense de sa frontière – sans nous préoccuper d’y mettre en place un nouveau gouvernement capable d’assurer cette stabilité. Nous avons fait de même avec la Syrie, et avec l’Irak. Il est donc avéré que si au lieu de la stabilité nous continuons à privilégier l’édification de la démocratie dans des régions où ses probabilités de succès sont excessivement discutables, ce n’est pas la démocratie que nous y édifierons, mais l’instabilité.

C’est là un enseignement important, notamment à la lumière des événements de Turquie. Je ne souhaite évidemment pas porter de jugement sur ceux-ci, mais si l’on me demande ce qu’attendent les Hongrois de la Turquie, je répondrai sans hésitation : la stabilité. Bien entendu, la qualité de la vie politique dans le pays ne nous est pas indifférente. Les droits de l’homme ne nous sont pas non plus indifférents, notamment parce qu’il s’agit d’un pays qui, formellement du moins, souhaite toujours adhérer à l’Union européenne, où ce sont là des conditions de base incontournables. Mais d’une manière générale, du point de vue de notre existence d’aujourd’hui, le plus important est que la Turquie reste un pays stable, parce que si elle devait cesser de l’être, plusieurs dizaines de millions d’individus se déverseraient depuis cette région sur l’Union européenne sans le moindre tri, contrôle ou obstacle. De la même manière, nous pouvons faire la moue – comme plusieurs le font en Occident – parce qu’après que nous avons permis, avec l’aide des Européens, et je dirais même plus : à notre initiative, que la démocratie « éclose » en Egypte, le peuple a démocratiquement décidé de se choisir un gouvernement islamiste fondamentaliste, dont nous nous sommes ensuite naturellement épouvantés. Nous avons dû nous réjouir que les militaires aient été disposés à reprendre le pouvoir politique,  dans des conditions dont le caractère démocratique et exempt de dérapages n’était pas particulièrement évident. Et maintenant, au lieu de soutenir ces forces militaires qui ont enfin pris le pouvoir, et de les aider à stabiliser la région, nous ne cessons de les réprimander. Et la Libye : au lieu d’armer les groupes locaux qui soutiennent le gouvernement et de déclarer qu’ils constitueront la future armée libyenne, nous préférons formuler des critiques sur la démocratie à l’encontre des responsables politiques d’un pays animé du seul désir de se sortir de la guerre civile. Si nous continuons comme cela, nous n’arriverons qu’à déstabiliser encore davantage une zone qui devrait au contraire assurer notre protection, qui devrait bâtir notre propre protection, et où la priorité est de renforcer la stabilité. A défaut, le flot incessant des migrants continuera à déferler sur nous.

J’ai quelques chiffres qui vous permettront de mesurer l’ordre de grandeur de ce qui nous attend sur les vingt prochaines années. Je sais que les chiffres sont ennuyeux, mais je dois en citer quelques-uns parce que notre expérience de tous les jours ne nous permet pas de voir dans toute leur crudité les processus qui détermineront notre vie dans vingt ou trente ans. Il est clair que ce n’est pas parce que l’avenir de leurs enfants ou de leurs petits-enfants ne les intéresse pas que les Hongrois sont indifférents aux problèmes démographiques – car ils sont effectivement indifférents à cette problématique –, mais parce que le déclin démographique ne les touche pas demain matin dans leur vie et leurs soucis de tous les jours. Ce sont des phénomènes qui se manifestent dans une autre dimension temporelle que celle où se déroule leur vie. C’est pourquoi, si nous ne rappelons pas constamment – au prix des moqueries de nos critiques –, si nous ne rappelons pas constamment à quelles réalités nous aurons à faire face dans vingt ou trente ans, nous ne pourrons mettre en œuvre ni politique familiale, ni politique économique, ni politique de sécurité. C’est pourquoi j’ai ici quelques chiffres qui montrent quelles évolutions démographiques sont prévues dans la région dont nous parlons sur les vingt à trente prochaines années : nous devons nous préparer à ce que la population de l’Egypte passe de 90 à 138 millions d’habitants à l’horizon 2050, à ce que celle de la Syrie, en dépit de la forte émigration, s’accroisse de même à un rythme et dans une proportion importante, ainsi que la population de la Libye, pourtant plongé dans une guerre civile. La population du Nigéria passera de 186 à 390 millions en 2050, celle de l’Ouganda de 38 à 93 millions, celle de l’Ethiopie de 102 à 228 millions. M. le ministre János Martonyi avait l’habitude de nous mettre en garde – et il a bien raison – qu’il faut traiter ces projections sur l’avenir avec prudence, parce qu’il se produit toujours des événements ultérieurs susceptibles de les détourner. Mais tout de même, puisqu’il est impossible de prendre en compte des processus ou des événements futurs susceptibles de détourner nos prévisions actuelles, nous devons bien nous baser sur ces chiffres et nous préparer à ce qu’ils nous annoncent, c’est une position de bon sens.

Tout cela montre que la véritable grande pression nous viendra de l’Afrique. Aujourd’hui, nous parlons encore de la Syrie et de la Libye, mais en vérité c’est à la pression migratoire venue de derrière la Libye que nous devons nous préparer, et l’ordre de grandeur de cette pression sera infiniment plus grand que ce à quoi nous avons eu affaire jusqu’à présent. Cela nous incite à affûter notre volonté. La protection de la frontière, surtout lorsqu’il faut ériger une clôture, et y appréhender des hommes et des femmes, n’est pas quelque chose d’esthétiquement beau. Mais croyez-moi, l’on ne peut pas protéger une frontière, ni se protéger soi-même, avec des fleurs ou des animaux en peluche. Il faut regarder la situation en face. Et il est en même temps très important, à la fois pour nous personnellement et pour l’image que le monde se fait de nous, d’affirmer solennellement que nous ne sommes pas dépourvus de cœur, et que nous faisons une différence claire entre le migrant et la migration. Le migrant est, dans sa personne, la plupart du temps une victime – réserve faite bien entendu des terroristes – qui a été rendu victime par des conditions de vie malheureuses, par ses conditions d’existence difficiles dans son propre pays, par les mauvais gouvernements, par notre mauvaise politique migratoire qui les a incités à prendre la route, et aussi par les trafiquants d’êtres humains. Nous le comprenons et le savons parfaitement. La migration, en revanche, comme je l’ai dit, nous tue. La migration se manifeste par-dessus la tête des migrants, et c’est pourquoi, quels que soient nos sentiments de compassion à l’égard des migrants et de leur nature de victimes, nous avons le devoir de les arrêter à notre clôture, et d’affirmer clairement que ceux qui pénètrent de manière illégale doivent être emprisonnés dans le respect des lois en vigueur ou expulsés de Hongrie. La défense n’a hélas pas, Mesdames et Messieurs, chers amis, de forme plus amicale. Naturellement, nous devons faire tout cela avec humanité, dans le respect du droit et de manière transparente, mais avec toute notre détermination.

Après tout cela et pour résumer, je ne peux que répéter que l’Europe a perdu son rôle global et qu’elle est devenue un acteur régional. Elle s’avère incapable de protéger ses propres citoyens, incapable de protéger ses propres frontières extérieures, incapable de maintenir la cohésion de sa communauté puisque le Royaume-Uni vient de la quitter. Que faut-il de plus pour conclure que la direction politique de l’Europe a échoué ? Elle n’a pu atteindre aucun de ses objectifs, et c’est pourquoi, lorsque nous nous réunirons en septembre à Bratislava, ce n’est pas de discours lénifiants que nous aurons besoin, nous devrons nous garder de balayer les problèmes sous le tapis et de chercher à changer la nature du monde. Nous devrons déclarer clairement que nous sommes là pour débattre de l’avenir de l’Europe, parce que la direction actuelle de l’Europe a échoué. Nous devrons déclarer sans ambages que notre problème ne se trouve pas à La Mecque, mais à Bruxelles. Ce sont les bureaucrates de Bruxelles qui représentent pour nous les obstacles, pas l’islam. L’islam, nous pourrions le gérer si on nous laissait le gérer de la manière que nous estimons appropriée.

J’évoque tout cela devant vous parce que les dirigeants de l’Europe se réuniront en septembre à Bratislava pour débattre de l’avenir de notre continent. Les responsables s’y présenteront dans deux états d’esprit différents. L’élite actuelle va se refermer sur ses certitudes et affirmer que ce sont les Anglais qui sont responsables de leur sortie, que les dirigeants européens sont innocents en matière de terrorisme, qu’aucun homme doté d’un cœur ne peut s’opposer à la pression migratoire venue du sud, et ainsi de suite. Elle s’efforcera de démontrer que toutes les erreurs commises jusqu’à présent, même si elles sont des erreurs, ne sont pas des erreurs systémiques. Face à cela, la réalité est en revanche – et c’est ce que les pays d’Europe centrale devront défendre – que l’Europe a besoin de changements profonds. La question est de savoir si nous avons le droit d’en parler. Que se passe-t-il avec la « vieille » et avec la « nouvelle » Europe ? Car autrefois, lorsque l’on disait qu’il y a une « vieille Europe », et une « nouvelle Europe », nous nous vexions. C’est le président Chirac qui aimait en parler. Nous répondions que nous sommes une nation chrétienne millénaire, qu’il faut arrêter de plaisanter et de nous ranger, nous autres Hongrois, dans je ne sais quelle « nouvelle » Europe. S’il y a une « vieille » Europe, elle est ici, sans oublier que si nous nous demandons où situer la capitale de l’Europe, Budapest nous vient à l’esprit plus fréquemment que Bruxelles. En d’autres termes, lorsque l’on désignait autrefois par « vieille Europe » les anciens Etats-membres de l’Union européenne, et nous par le terme de « nouvelle Europe », nous nous vexions. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il faille poursuivre la réflexion sur cette différence en termes de philosophie de l’Histoire. Car aujourd’hui, l’expression « vieille Europe » désigne une Europe incapable de changer. La « vieille Europe », ce sont les Etats fondateurs de l’Union européenne, ce sont ceux qui ont créé la zone euro, et qui sont aujourd’hui de manière bien visible en stagnation. Et puis il y a une autre Europe, celle qui a accédé plus tard à l’Union européenne, que l’on appelle « nouvelle Europe », et qui est en revanche pleine de vie et d’énergie, ouverte au changement, à la recherche des réponses aux nouveaux défis et dotée d’une perspective pour notre partie du globe. C’est pourquoi je pense que la différence entre les deux est peut-être aujourd’hui beaucoup moins « vexante » pour nous qu’auparavant. La vérité est que si nous examinons comment la crise économique est devenue crise des élites, et comment la crise des élites est devenue crise de la démocratie, et que nous cherchons à déterminer quel a été l’impact géographique de cette constatation, nous verrons qu’elle se vérifie beaucoup moins, voire pas du tout, en Europe centrale. Il n’y a pas de crise économique en Pologne, ni en Tchéquie, ni en Slovaquie, ni en Hongrie – je ne voudrais pas me prononcer sur la Roumanie –, et dans ces pays les jeunes pensent que le vieux rêve européen est encore d’actualité : s’ils respectent les lois, s’ils honorent leurs parents, s’ils écoutent leurs conseils sur l’avenir, et s’ils travaillent avec assiduité, alors un jeune Polonais, un jeune Tchèque, un jeune Slovaque et un jeune Hongrois vivront certainement mieux, et iront plus loin que leurs parents. C’est cela, le rêve européen, et ce rêve est encore valable en Europe centrale, dans la « nouvelle Europe ». C’est pour cette raison que le cercle vicieux « crise économique-crise des élites-crise de la démocratie » ne s’est pas formé en Europe centrale. Si nous considérons le prochain référendum hongrois du 2 octobre prochain au travers de ce prisme, nous pouvons affirmer que le seul pays d’Europe où les citoyens peuvent exprimer leur opinion sur le phénomène migratoire est aujourd’hui la Hongrie. Le seul endroit d’Europe où l’on écoute aujourd’hui la population se trouve en Europe centrale.

Pour résumer, Mesdames et Messieurs, vous voyez que je suis bel et bien  tombé dans le piège que j’évoquais au début, à savoir que tant de choses se sont passées – je n’ai même pas parlé du Brexit, ni des conséquences possibles des élections présidentielles américaines, ni des relations entre l’Ukraine et la Russie, et je n’ai fait qu’effleurer la question migratoire, tout comme je n’ai pu qu’effleurer les projets futurs de la politique économique et sociale hongroise – que j’ai déjà pratiquement doublé le temps de parole que m’avaient imparti les organisateurs. C’est comme cela. Nous ne vivons pas en ce moment le temps des grandes synthèses, mais celui d’une politique marquée par les incessantes corrections exigées par les événements qui se succèdent sans discontinuer sous nos yeux. C’est pour cela que mon intervention a été, de ce point de vue, un peu hachée et un peu décousue, mais c’est ainsi qu’il a été possible de réfléchir le mieux à ce sentiment diffus qui marque aujourd’hui nos vies et que nous ressentons dans notre existence d’Européens.

Je voudrais vous remercier pour l’attention et la patience avec lesquelles vous avez suivi mon propos. En conclusion, je ne peux que vous dire ceci : croyez bien que tout ce que nous avons mis en route en Hongrie en 2010 – notre constitution basée sur la reconnaissance de nos racines chrétiennes, notre politique de réunification de la nation, y compris la formulation prudente de la recommandation de Lajos Kósa – qui avait dit en 2010 qu’il fallait tout jeter au panier et nous concentrer sur la seule politique familiale et démographique, parce que c’est d’elle que dépend notre avenir –, donc y compris la politique familiale, une géopolitique dépourvue de considérations philosophiques ou idéologiques, la prise en compte des réalités –, toutes les mesures que nous avons lancées et mises en œuvre en Hongrie depuis 2010 dans l’intérêt de ses relations intérieures et extérieures, tout cela a poursuivi un seul et unique objectif, que je pense que les événements récents ont amplement validé : à savoir que nous voulons – et aujourd’hui nous ne pouvons guère vouloir plus – que la Hongrie reste un point sûr dans un monde incertain."