« Qui se cache derrière les images des manifestants diffusées dans les JT ? » C’est la question que Thomas Hugues s’est posé dimanche dernier 6 octobre dans Medias Le Mag sur France 5. Dans la semaine, « Les Bricoleurs du dimanche », collectif des salariés de Castorama et de Leroy-Merlin, avaient manifesté pour continuer à travailler le dimanche. Banderoles, pancartes, slogans huilés.

AVANT TOUT LE MONDE, Twitter avait rapidement senti et dénoncé la manipulation. Le reportage d’à peine cinq minutes confirme la manœuvre des grandes enseignes du bricolage : qui souffle ce très ambigu « Touche pas à mon dimanche ! » (où l'on constate que le mot "travail" n'est même pas écrit...) ? Le dossier de Medias Le Mag va se présenter comme une comédie en deux actes.

Acte Ier
La scène

Thèse. La journaliste commence par planter le décor, « près de Matignon », et rappelle le contexte : « Le dimanche précédent, plusieurs magasins ont ouvert le dimanche malgré l’interdiction de justice déclenchant la tempête politico-médiatique dominicale. »

Puis se succèdent  les images des réactions de personnalités du gouvernement : Hamon « Une décision de justice, ça s’applique », Cazeneuve « Moi, je crois au dialogue social », Sapin « Le dimanche, c‘est un jour de repos », Touraine « Il faut trouver le chemin d’un compromis ».

La journaliste poursuit : « Face à la cacophonie du gouvernement, les salariés ont décidé de lui imposer un bras de fer  médiatique. » Le mercredi 2 octobre, jour de la manifestation, « tous les journalistes avaient répondu présents ».

Acte IIe
Le public

Antithèse. S’avance sur le devant de la scène un soupçon. Le mouvement des Bricoleurs ne pourrait pas être tout  fait « spontané ». À preuve, depuis sa création, une agence de com’ s’active auprès de lui, « Les Ateliers Corporate ». L’Agence est – nous apprend-on  – payée par les directions de Leroy-Merlin et Castorama et s’attache aux pas du collectif « au jour le jour » comme en ce mercredi 2 octobre.

Sur place, il y a « le directeur de l’Agence et celui qui coordonne le mouvement ». La journaliste a vite repéré celui qu’elle nomme le « souffleur ». « Vous servez à quoi là aujourd’hui ? » « À rien ! »,  a-t-il le culot de répondre. Notre reporter ne désarme pas et revient à la charge : « Pourquoi vous êtes là ? » Le communicant n’a pas envie de répondre. Mais il se ravise, et quelques pas en arrière plus tard, lâche : « On les aide pour que les médias s’en occupent. »

Distribution
Le premier rôle

Mais la tâche des communicants ne va pas s’arrêter là. Ces experts vont « orchestrer en coulisses les négociations avec le conseiller dépêché par Matignon ». Entre temps, zoom sur le premier rôle de cette pièce de boulevard, le porte-parole Gérald Fillon : « C’est lui qui est chargé de motiver les foules et de donner les mots d’ordre. »

Le spectateur entend clairement au passage de la bouche de ce porte-parole quelques contrevérités comme celle-ci : « Ça ne sert à rien qu’il y ait une commission, car il y en a déjà eu plein. » (Ah oui ? Combien de rapports à part celui de 2007 rendu par Jean-Claude Bailly ? Combien d’études d’impact, comme se tue à réclamer la CFTC ?)

On apprend surtout que Gérald Fillon a été « désigné porte-parole lors d’une réunion organisée par l’agence en décembre 2012, qu’il est en rapport constant avec les communicants ». Question de la journaliste : « Concrètement est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi ils vous aident ? » Réponse de Gérald Fillon : « En rien. Peut-être à parler, à gérer les mots qu’on peut dire devant les médias. »

Notre journaliste jubile : « Et ça marche : le collectif peut marcher jusqu’à l’entrée de Matignon ! » Le spectateur suit derechef Gérald Fillon haranguant ses troupes : « On est reçu à Matignon ! » La journaliste conclut : « Eh oui… L’image de la négociation est bonne pour tout le monde, manifestants et gouvernement. » Les médias sont « admis dans le périmètre de sécurité » et vont suivre Gérald imposant les slogans.

Mais les journalistes ne sont pas dupes et se lancent dans des questions plus dérangeantes, celles de l’instrumentalisation par la direction des magasins de bricolage. Réponse de notre porte-parole : « Ça remonte tout le temps à la surface et ça ennuie toute le monde ! » « On est en phase avec la direction, aujourd’hui, le monde a changé, on peut travailler en harmonie avec son employeur. » « L’argument phare du collectif » est lancé. « Alignés avec la direction mais pas manipulés ! »

Interrogeant celui qu’elle désigne patron de l’agence de com’, la journaliste se voit renvoyée par un « Pas du tout » sec. L’homme répond qu’il n’est « personne » ! Il parlera quand il sera temps de parler. Ses reproches fusent : « Vous déportez le sujet, vous savez les gens qui sont contre et je n’y tiens pas. »

Épilogue 

Le sujet n’est pas loin d’être bouclé. Conclusion ? « Dans les médias, la visibilité est bonne. Peu de reprises presse mais des radios et des télés. Le message est passé : « On ne fait pas la manche. On veut le dimanche » !

Que retenir de tout cela ? Que ce soit sous un gouvernement dit de droite, que ce soit sous un gouvernement dit de gauche, le repos hebdomadaire donné à tous, le dimanche est en péril. Les coups de boutoir se font de plus en plus sévères. Les stratégies deviennent de plus en plus retorses. 

Contrairement à 2009, où elle était dans l’opposition, la gauche a l’air de capituler et n’est pas loin de laisser la digue céder. La synchronie d’un même jour de repos procurant des bienfaits sociaux patents a du plomb dans l’aile. Nos postmodernes passionnés de liberté individuelle ne voient pourtant pas qu’ils sont en l'espèce les alliés de leurs propres fossoyeurs ! Si le dimanche devient un jour comme un autre comme ils veulent l’imposer, il n’y aura alors à terme ni volontariat ni compensation. Une logique où il ne restera que les yeux pour pleurer ! H.B.

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Ici le lien pour visionner l'émission en pluzz jusqu'à dimanche 13 octobre. Curseur 41'11.

http://www.france5.fr/emissions/medias-le-magazine/videos/89926993

et

sur le site du Collectif des Amis du dimanche, rubrique Carabistouilles.