Le 1er octobre, la Fondation de service politique proposait un échange public à l'Espace Georges-Bernanos (Partis IXe) sur le thème : Laïcisme contre liberté de conscience : Y-a-t-il en France une discrimination des chrétiens dans le monde du travail ? Voici la synthèse de la discussion, accompagnée d'éléments de réflexion proposés par François de Lacoste Lareymondie sur la conscience du chrétien dans l'entreprise d'aujourd'hui.

EXISTE-t-il en France une discrimination des chrétiens au travail ? La réponse n'est pas en blanc et noir. Oui cette discrimination existe, mais il faut distinguer. Aujourd'hui de nombreux patrons du CAC 40 n'hésitent pas à afficher leur appartenance religieuse, sans que cela pose le moindre problème. À la limite, ce plus éthique , intéresse les médias et valorise ceux qui font valoir leur différence sous le feu des projecteurs !
Pour ceux qui œuvrent dans les coulisses à des postes de responsabilités intermédiaires, et particulièrement pour les plus jeunes qui arrivent sur le marché du travail, s'affirmer chrétien est beaucoup plus risqué. Les exemples ne manquent pas. Le salarié, le syndicaliste, le cadre — quel que soit son niveau — qui s'affiche chrétien, risque toujours d'être montré du doigt. Porter une croix peut attirer des remarques, des sarcasmes sur l'Église, le pape, la religion.
Cette persécution verbale peut prendre parfois des tours plus agressifs. Le catho peut d'autant plus vite devenir un bouc émissaire que son éducation lui a souvent appris à tendre l'autre joue, comme l'a fait remarquer l'un des participants de la soirée.
Pression et conscience
Au-delà de cette reconnaissance, bien des comportements témoignent d'une discrimination qui s'avoue mal. Lorsque dans une grande entreprise on aménage des horaires pour le ramadan il est difficile à un chrétien de demander la même chose pour le carême ou le vendredi saint, a-t-il aussi été souligné ; sans parler des situations où le chrétien est mis en face d'un cas de conscience. Ainsi un cadre travaillant dans un grand groupe d'édition peut-il licencier à la demande de sa direction un kiosquier, au motif que celui-ci ne veut pas vendre de revues pornographiques ? Les chrétiens travaillant dans certains secteurs semblent plus exposés que d'autres notamment dans le domaine de la santé où les questions éthiques sont fréquentes.
La question que faire ? , demeure posée face à ces persécutions sournoises ou à ses atteintes plus ou moins dissimulées à la liberté de conscience.
Le courage de prendre la parole, de ne pas accepter les brimades sous quelques formes qu'elles se présentent demeure le meilleur des antidotes.
Se faire respecter
Bien heureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi (Mt 5, 11). Cette béatitude ne vaut que pour soi même. Les chrétiens ont aussi le devoir de faire respecter dans l'espace public la communauté à laquelle ils appartiennent et ne pas tolérer le totalitarisme d'une pensée laïciste qui se veut unique. Dans la mesure où celle-ci constitue un véritable harcèlement moral, il existe des procédures auxquels ils auraient tort de ne pas avoir recours à l'instar de membres de communautés qui se disent aussi persécutés et qui font de la culpabilisation de l'opinion leur fonds de commerce.
Entre l'hostilité d'une culture agnostique voire hostile au fait religieux et les valeurs évangéliques, il est sans doute demandé aux chrétiens, outre la force du témoignage d'avoir plus que jamais le cœur de la colombe et la ruse du serpent .

François de Lacoste Lareymondie
VIVRE EN CHRETIEN DANS L'ENTREPRISE – ELEMENTS DE REFLEXION
(Notes prises sur place, non revues par l'auteur)
La question de la discrimination étant posée, le préalable à la réflexion porte sur la manière de vivre du chrétien en entreprise, et dans l'entreprise d'aujourd'hui.
Ce n'est pas tant l'entreprise qui discrimine, que la société d'aujourd'hui, devenue sensiblement christianophobe. Dans ce contexte général, il y a certainement des îlots de christianophobie qui apparaissent et prospèrent davantage dans certaines entreprises, où l'histoire, la culture, l'activité, ont favorisé le recrutement d'un personnel hostile à ce que représente le christianisme. Parmi les secteurs d'activité plus sensibles que d'autres, citons par exemple la grande distribution, l'alcool et les spiritueux, l'armement, la banque, les spectacles, la publicité... Certains secteurs particuliers comme la justice, la santé, l'armée, la presse mériteraient un développement à part, en raison de leur place dans le service du bien commun de la nation. En outre, dans chaque entreprise des fonctions sont plus critiques que d'autres : la vente, la fonction achat, le marketing, et bien entendu toute fonction de direction générale (une entreprise finit toujours par ressembler à son patron).
Le monde de l'entreprise est agnostique. Il s'est construit et fonctionne dans l'indifférence à la religion qui, au sens strict n'y a pas sa place. Poser la question de la légitimité du discours religieux en son sein renvoie par analogie à a distinction Dieu/César, qui invalide le sens et le concept d'entreprise chrétienne. En revanche, il y a longtemps que la question du "chrétien en entreprise" est posée et a un sens.
Car s'il n'y a pas d'entreprise chrétienne, il y a une loi morale. Et donc un problème : peut-on remplacer la morale par la loi (les codes professionnels, les règlements intérieurs), paravent formel d'un dédouanement de la conscience ? En outre, la nécessité (du bien commun de l'entreprise) fait loi, sous de multiples visages : la concurrence ; la pression de l'urgence...d'où le travail du dimanche, les contrats léonins, les produits aux qualités incertaines, etc.
La réponse renvoie à la responsabilité de chacun : les codes, même bien faits, ne suppriment pas la conscience, mais ne doivent pas violer les consciences. Nul n'est dispensé d'exercer son jugement moral dans la conduite des affaires ; le chrétien est appelé à savoir faire la part des choses, respecter sa conscience, oser la faire respecter par la collectivité.

Faire respecter sa conscience a un sens, mais... comporte un risque de contresens : c'est la question de l'apostolat et du témoignage. Afficher un symbole religieux dans son bureau, ou en porter un sur soi (une croix autour du cou) ? Pourquoi pas, si cela ne choque pas : c'est une question d'environnement. Si le chrétien est cohérent avec sa conscience, l'affirmation de ses choix peut provoquer sans scandaliser.
La réponse ne passe pas par principe par l'affichage de sa religion : 1/ la toute première étape est celle du travail bien fait : être compétent, exact, sérieux, professionnel ; le comportement contraire devient vite un contre-témoignage car la religion passe alors pour un alibi ;
2/ la seconde étape est celle de la cohérence : comment réagit-on devant la difficulté (suis-je prêt à tout et n'importe quoi pour me tirer d'affaire ?), la tentation (si le client se laisse gruger, est-ce que moi je vais faire comme si de rien n'était ?), le rapport avec les collaborateurs (tyrannique ou respectueux ?) et ses collègues (suis-je prêt à écraser les concurrents pour une promotion, suis-je loyal ?), et bien entendu le rapport à l'argent (exercice concret de l'honnêteté ; est-ce que ma motivation en dernier ressort sera le profit que je vais en tirer ?) ;
3/ à ces conditions, la troisième étape peut prendre place, car l'entourage finira bien par savoir si on a une pratique religieuse et si on la met entre parenthèses ou non (ex : séminaire d'entreprise pendant tout un week-end : comment vais-je faire en sorte que la possibilité de la messe dominicale soit préservée ? idem pour le carême, le menu du vendredi à la cantine... ) ;
4/ tout à la fin, éventuellement, l'apostolat proprement dit qui, à mon sens, ne peut être s'exercer que de personne à personne, dans la confiance créée par ce qui précède.