Laissez Colbert tranquille !

En France, nous avons la fâcheuse tendance de ne prendre des Etats-Unis que le pire… En témoigne la fièvre ahurissante qui s’est emparée de quelques excités – heureusement minoritaires – qui s’adonnent avec ardeur au sport du tag, du crachat, du mépris de l’histoire, en attendant le déboulonnage de nos grandes figures nationales, que Macron dit refuser, mais que Sibeth approuve en secret.

Dans le collimateur, le pauvre Colbert fait l’objet d’attaques particulièrement scandaleuses. Sa statue, devant l’Assemblée nationale, vient d’être maculée de rouge avec le slogan pathétique de « négrophobie d’Etat ». Qu’il nous soit permis, en quelques lignes, de rendre hommage au grand ministre que fut Colbert, et de rétablir quelques vérités sur le fameux Code noir qui est devenu le chiffon rouge agité avec fureur par tous les militants indigénistes.

Pour commencer, le Code noir est le nom donné à une ordonnance royale de 1685, rédigé par le fils de Colbert et non par Colbert lui-même, et pour cause, puisqu’il meurt en 1683. Grâce à Dieu, le marquis de Seignelay – c’est son nom – a pour lui de ne pas avoir été statufié, ce qui préserve un minimum son image. Il entend codifier la condition des esclaves dans les principaux secteurs des colonies françaises concernés par l’esclavage : les îles d’Amérique (les Antilles), les Mascareignes (archipel qui rassemble aujourd’hui l’île Maurice et l’île de La Réunion) et la Louisiane, terme qui évoque à l’époque un vaste espace occupant le cœur du continent nord-américain, et articulé autour du fleuve Mississippi. Il est important de rappeler qu’à l’époque de Colbert, le recours aux esclaves dans ces territoires est limité, car on y cultive principalement du tabac, peu gourmand en main d’œuvre. C’est le développement de la culture de la canne à sucre qui fait exploser l’importation de main-d’œuvre servile, à partir des années 1680. Culture de la canne, rappelons-le, ardemment défendue par un certain Voltaire un siècle plus tard, contre les « arpents de neige du Canada », alors qu'au Canada, tous les hommes sont libres. L'illustre pamphlétaire n'est pas à une contradiction près.

Par ailleurs, si l’on se penche sur le texte avec un peu de bonne foi et de culture historique, il ressort que le Code noir n’est pas réductible à l’instrument de répression auquel on veut bien souvent l’assimiler. Son préambule, par exemple, rappelle l’égalité ontologique entre tous les hommes. On peut dire que le principe est allègrement contourné dans la pratique, c’est un fait, mais ce n’est tout de même pas rien que de l’affirmer publiquement. Malgré leur condition, les esclaves ont la dignité d’être baptisés catholiques, de recevoir les sacrements : ce ne sont pas des sous-hommes, mais des créatures de Dieu. La question de la mission est fondamentale. Loin d’être le signe d’un mépris de l’autre, elle manifeste au contraire un intérêt profond pour l’autre, qui a suffisamment de valeur pour mériter d’être converti. Cette mission, les Français l’exercent à l’égard des Noirs comme des Indiens. Les colons américains ne prendront pas cette peine vis-à-vis des Indiens quelques décennies plus tard. Au passage, la déclaration des droits de l’homme de 1789 affirme l’égalité entre tous… mais en métropole : les territoires des colonies ne sont pas concernés : il ne faut pas exagérer !

De plus, il est important de souligner que le Code noir est conçu pour tenter de réguler les relations entre maître et esclave. Contrairement à ce qu’on affirme souvent, il n’instaure pas un « tout est permis » en faveur du maître. La torture est interdite ; dans le cas où un homme libre viendrait à concevoir un enfant avec une esclave, il lui est recommandé de l’épouser, ce qui permet à la femme esclave d’être affranchie. Des châtiments qui peuvent paraître extrêmement durs et cruels – et qui le sont à l’aune de notre temps – ne sont pas des preuves particulières de « racisme », puisqu’ils existent pareillement pour les Blancs, en métropole : ainsi le marquage au fer, ou encore la peine de mort pour vol domestique. Le problème fondamental vient plutôt de ce que le Code noir est finalement assez peu appliqué : les cas de condamnation de maîtres pour sévices sur les esclaves sont quasi inexistants. Il n'en reste pas moins que la législation existe.  

Evidemment, ce type de subtilités d’analyse échappe totalement aux professionnels de la vindicte indigéniste qui se déchaînent en ce moment. Colbert = Hitler, comme nous avons pu le lire sur les réseaux sociaux. Les militants incultes qui s’inventent une cause reprochent à Colbert, au motif qu'il a créé la Compagnie des Indes occidentales, d’incarner à lui tout seul le scandale de l’esclavage des peuples d’Afrique et le commerce triangulaire. Pourquoi pas l’Apartheid : ce n’est pas la précision historique qui les étouffe. Comment leur en vouloir ? L’histoire n’est plus enseignée nulle part, certainement pas au primaire et dans le secondaire, et encore moins à l’université où toute expression d’une pensée hétérodoxe, sur ce sujet comme sur tant d’autres, vous conduit à l’anonymat et au chômage technique. Nous ne sommes plus au temps où la controverse était possible : ce stade est dépassé depuis longtemps, nous sommes désormais sous le règne de la violence et de l’invective, et il n’y a plus aucun recours possible à la rationalité. Le terrain a été soigneusement préparé par le naufrage culturel et intellectuel de l’Education et de l’Université, nous en récoltons aujourd’hui les fruits pourris.

Constance Prazel