La condamnation du député Christian Vanneste doit susciter un mouvement de réprobation générale, à droite comme à gauche : elle équivaut à une véritable prise de pouvoir de l'appareil judiciaire sur notre société, comme d'ailleurs l'avait fait dans un autre domaine l'arrêt Perruche.

Cette condamnation, en elle-même hautement condamnable, entraîne notre pays dans une dérive totalitaire, où exprimer une opinion d'ordre intellectuel sur un certain type de mœurs comme sur bien d'autres sujets deviendra interdit, illégal même si légitime, et susceptible d'une condamnation : cette opinion, qu'elle soit valablement étayée ou non n'importe pas ici, étant tout simplement assimilée à une sorte d'étrange "voie de fait oral". Est-ce le fruit d'un manque de plus en plus généralisé de culture, et même de culture philosophique ? En tout cas, la vie intellectuelle dans ce pays est menacée.

Une opinion ne saurait en elle-même être un appel à la violence : seulement à la réflexion. Un "appel à la violence" peut se baser sur une opinion, mais il la dépasse et la vicie, la pervertit, ce qui le rend condamnable juridiquement parce que sortant du cadre de la réflexion d'où surgit normalement l'opinion. L'incitation à recourir aux voies de faits est un crime ; une opinion est le fruit d'une réflexion non assorti d'un jugement condamnant des personnes ; elle ne concerne que la pensée que l'on doit approfondir sur n'importe quelle manière d'être, sur n'importe quels sujets. Certains pourront s'en servir sans comprendre quelles valeurs l'opinion fondée met en œuvre, valeurs qui n'ont aucun lien avec la force brutale.

Les opinions, normalement, se fondent sur des vérités qui peuvent être d'ordres moral, philosophique ou théologique : décréter judiciairement de telles opinions condamnables – ne fût-ce que celle émise sur le seul sujet de l'homosexualité –, c'est s'engager fautivement sur la voie d'un régime autoritaire.

Une opinion contraire n'est pas une insulte

La sexualité dite gay, puisque tel est le point de départ, est une sexualité que, personnellement, je ne puis approuver ni moralement ni philosophiquement ni théologiquement : ceux qui l'adoptent peuvent avoir leurs raisons, qui ne sauraient venir à bout des miennes, sans que les miennes puissent justifier la pratique de l'insulte, de la violence verbale et/ou le recours à la force pour l'imposer. Mais mon opinion, qui ne concerne que ma réflexion sur cette manière d'être, ne saurait elle-même être confondue avec l'expression d'une insulte, d'une violence verbale et/ou d'une voie de fait. Cette opinion entre dans le cadre d'une réflexion sur la valeur morale, philosophique et théologique d'une telle pratique. Ainsi en va-t-il, par exemple, de l'opinion que l'on peut avoir à propos, entre autres, du don-juanisme, de la nymphomanie ou du vagabondage sexuel... Pourquoi d'ailleurs me limiter ? Je pourrais parler de choses très respectables comme l'art abstrait, la poésie conceptuelle, la gymnastique bigourdane ou l'humour dans le monde oriental sans oublier la cuisine française ou le vin de sable.

La morale concerne la valeur humaine que l'on peut découvrir à une pratique donnée : tant sur le plan individuel que sur celui de la société tout entière. La philosophie doit s'interroger sur le plan de l'être : le conforte-t-elle ou le détruit-elle ? Favorise-t-elle son accomplissement ? Correspond-elle à sa nature, déductible de ce qu'il vit et de ce qu'il fait en la société qui l'accueille ? La théologie doit s'interroger notamment sur ce qu'elle implique quant à la conception que l'on peut avoir de la Création tout entière et de la relation qui peut (ou devrait) s'établir entre l'homme et son Créateur. Si l'on ne croit pas qu'il y ait un Créateur, on peut se retourner vers l'humanité, prise en son ensemble pour l'absolu dont on a besoin, et tirer d'elle des règles déduites du comportement vital de la plupart de ses représentants.

En aucun cas conclure ne peut signifier repousser, rejeter ou mépriser ceux dont la pratique se retrouve ainsi désavouée : c'est-à-dire exprimer son opinion, fondée sur de telles réflexions, que ces pratiques ici évoquées sont en quelque sorte obliques, obscures, funestes ; à la vérité liées beaucoup moins à l'amour de l'autre qu'au désir ou à la préférence de soi, sans pour autant devoir être explicitement interdites par une loi, sans pour autant devoir être judiciairement favorisées.

Le droit de la société

Un être humain est bien plus que son comportement sexuel : j'ose écrire qu'il transcende, non seulement ce comportement, mais sa sexualité elle-même ! Et certains types de comportements, également d'ailleurs chez des hétérosexuels, peuvent relever des mêmes trois qualificatifs et révéler en outre des troubles de l'enfance, des souffrances liées à une enfance ou une adolescence privée d'amour, de repères solides, et engendrées par des éducations bâclées, des ruptures de vie familiale ou des rencontres malsaines – réelles ou fantasmées par la médiation d'œuvres d'art, de films, livres ou chansons – à des moments de particulière fragilité : quelquefois conduites de perdition aux causes enfouies dans les profondeurs de l'être. Notre époque est féconde en ce genre de désastres. Mais la compassion, qui peut ou doit avoir à s'exercer, ne saurait devenir une justification de ce qui pourrait bien apparaître souvent comme une méthode inconsciente de survie à la limite du suicide. Il existe en effet un suicide spirituel au même titre qu'existe le suicide par le corps !

L'on devrait donc adresser massivement aux journaux la demande d'être traîné chacun devant la justice parce que nos opinions sont aujourd'hui en France mises en danger, et pas seulement celle qui concernent la pratique homosexuelle : à la limite, tout ce que les uns et les autres pourraient dire sur, par exemple, l'alcoolisme, le juridisme, le communisme, l'extrémisme (de droite, de gauche ou islamique), le lettrisme etc., tout pourra leur être reproché devant un tribunal, s'ils opinent négativement à ces sujets, par ceux qui se retrouvent à vivre selon ces "ismes".

Ne sommes-nous pas dans un pays où chacun peut faire ce qu'il entend – sauf ce qui est condamnable en droit, parfois ou souvent à distinguer de la loi ? Il ne convient pas pour autant que, de là, chacun puisse exiger que ce qu'il fait de ou dans sa vie privée – qui ne serait pas condamnable en droit –, soit honoré du même type de reconnaissance publique que les mœurs et conduites reconnues comme fondatrices de la société : même si les pratiques susdites s'en distinguent notablement ou radicalement ou dangereusement.

La loi doit permettre que nul – même si les pratiques adoptées choquent des habitudes pensées naturelles avec justesse et raison argumentée –, ne soit inquiété ni insulté du fait de ces comportements dont on garde pourtant le " droit " de les dire non-adaptés au bien naturel de la société, jusqu'à en tirer donc des propositions de règles sociales plus favorables aux secondes qu'aux premières. Dans la mesure évidemment où ces comportements ne sont pas en eux-mêmes sources de crimes, comme le comportement pédomaniaque. Encore faut-il garder à l'esprit que, même en ce cas où l'opinion ne saurait approuver tel comportement ni rester passive devant ses conséquences, on ne pourrait appeler au lynchage de quiconque, remettant naturellement l'éventuel coupable entre les mains de la Justice.

Liberticide

La condamnation du député Christian Vanneste ouvre une porte que l'on peut qualifier d'ouvertement liberticide. Ce que je viens d'écrire, vu la sorte de jurisprudence établie, peut me valoir condamnation, puisque j'affirme à l'évidence une opinion qui concerne, outre la pratique homosexuelle, quoique sans nommer ni condamner personne, et une autre opinion qui concerne un acte de justice dont je dis qu'il est liberticide : les juges se seraient ainsi créé une jurisprudence dont ils pourraient désormais faire usage, non plus en tant que magistrats, mais en tant que simples citoyens. Jurisprudence calamiteuse et contraire à l'esprit de la République : on ne saurait plus émettre désormais d'opinion négative sans être aussitôt susceptible d'être poursuivi pour injure, non pas tant envers la justice elle-même, ce que d'ailleurs je ne fais point, mais envers ceux qui servent cette justice, ce que je ne fais point non plus.

Quand les opinions, valablement étayées ou non – car ici entre la notion d'intelligence plus ou moins bien éclairée –, sont ainsi exposées à un tel danger, le pays qui le permet ou le tolère n'est plus républicain.

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