Notre ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a décidé contre toute attente de faire du patriotisme économique l’un de ses chevaux de bataille. Contre toute attente, car il faut rappeler que, venu des Républicains, il a fait le choix de servir Emmanuel Macron, à savoir l’artisan du mondialisme économique, comme le montre par exemple la cession d’Alstom à General Electric. On peut donc juger qu’en l’espèce il manque de crédibilité. Ainsi, sa dernière initiative nous laisse sceptiques.

Bruno Le Maire est en effet à l’origine du projet du « Silver Lake », ou « Lac d’Argent », parce qu’il faut bien mettre un peu de français dans tout cela. Un beau nom pour un fonds d’investissement français destiné à protéger les « fleurons hexagonaux ». Lancé le 24 février, et piloté par Bpifrance, la banque publique d’investissement, il a vocation à lever 10 milliards d’euros. Les entreprises qu’il soutiendra ne seront pas, a priori, en grande difficulté financière : l’idée est plutôt d’aider celles-ci à se projeter sur le long terme, en leur garantissant un actionnariat stable, et en les protégeant contre les offensives de fonds internationaux malveillants.

Le fonds est doté pour l’instant d’un montant de 4 milliards d’euros, et la première réussite dont se vante notre ministre repose sur l’investissement, dans ledit fonds, de l’émir d’Abu Dhabi, à hauteur d’un milliard, soit un quart du tout. Cela nous laisse rêveurs : comment prétendre défendre l’indépendance économique, financière et stratégique de la France en la faisant reposer dans de telles proportions sur la générosité d’Abu Dhabi ? « C’est un signal très fort », nous explique Bruno Le Maire. Expression verbeuse que ce signal « très fort », qui veut à la fois tout dire et ne rien dire. Surtout ne rien dire, d’ailleurs.

 « C'est un geste politique très fort qui témoigne de la confiance des Emirats arabes unis dans la vitalité de l'économie française, dans la force des grandes entreprises françaises et dans leur capacité de développement », poursuit le ministre. Il est bien triste de voir que l’on se réjouit aussi vigoureusement et publiquement de ce que notre économie survit grâce aux injections des régimes corrompus que sont les émirats. Car le processus est loin d’être terminé : la Banque publique de l’investissement nous annonce que des discussions sont en cours avec cinq autres fonds souverains du Golfe. Bruno Le Maire n’a qu’un regret : l’Arabie Saoudite n’a pas encore témoigné de son intention de suivre les pas d’Abu Dhabi. Sans l’aide des Saoudiens, la France ne saurait être vraiment indépendante, n’est-ce pas ?

Le projet du Lac d’Argent trouve un écho singulier dans la nomination tout juste officialisée de Nicolas Sarkozy au Conseil de Surveillance du groupe Lagardère, en compagnie de Guillaume Pepy, l’ancien patron de la SNCF. Il importe de souligner que cette double nomination de personnages très impliqués, l’un comme l’autre, dans les relations économiques avec le Qatar, vise à renforcer l’influence du fonds souverain de l’émirat, qui est le premier actionnaire du groupe Lagardère, avec 13 % du capital et 20 % des droits de vote. Une preuve nouvelle, s’il en était besoin, de la connivence renouvelée de notre classe politique à l’égard des monarchies du Golfe dans leur ensemble : naïveté, inconscience, irresponsabilité voire concussion ? Difficile de le savoir, tant sont troubles les relations qu’entretiennent nos hommes politiques avec le Moyen-Orient. Quoi qu’il en soit, dans de telles conditions, l’indépendance française, malgré les protestations affichées, ne peut être qu’un leurre. 

François Billot de Lochner