L’image globalement positive donnée par le ministre de l’Education nationale choisi par Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer, ses déclarations sur les méthodes de lecture ou l’uniforme, ne doivent pas endormir trop rapidement la vigilance de ceux qui attendent une vraie réforme de notre système éducatif.

En effet, une proposition de loi soutenue par la sénatrice Gatel n° 589 « visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat » s’apprête à être examinée en première lecture le 21 février prochain au Sénat.

Ne nous y trompons pas, il s’agit ni plus ni moins que de ressusciter, sous une forme à peine atténuée, le projet d’atteinte à la liberté de l’éducation soutenu il y a quelques mois par Najat Vallaud-Belkacem, contre l’ouverture des écoles indépendantes.

On se souvient en effet que l’ancienne ministre de l’Education nationale, Mme Najat Vallaud-Belkacem, avait mené une offensive particulièrement musclée en leur direction. Elle voulait transformer l’actuel régime de déclaration en régime d’autorisation, structurellement plus restrictif des libertés d’enseignement et d’entreprise. Son projet de réforme avait été rejeté par le Conseil constitutionnel, parce qu’il portait « une atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle d’enseignement, indissociable de la liberté d’association » (décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017.)

La proposition de loi de Mme Gatel, tout en prétendant rester dans un régime de déclaration, présente les mêmes dangers, sinon plus, en accablant les écoles indépendantes qui souhaiteraient ouvrir leur porte d’obstacles juridiques et administratifs :

1°Les délais d’opposition à l’ouverture seraient allongés à 2 mois (pour le maire) et 3 mois (pour les recteur, préfet, et procureur) au lieu de 8 jours actuellement pour le maire et d’1 mois actuellement pour les autres autorités. Les motifs d’opposition seraient fortement élargis, incluant désormais les programmes et les volumes-horaires par matière, ce qui constitue un changement majeur.

2° Les noms et les titres des enseignants devraient être communiqués en amont : obstacle essentiel, là encore, tant est difficile et long le recrutement d’une équipe professorale. Il est fort à parier que les écoles n’auront pas la liste définitive de leurs enseignants quatre mois avant leur ouverture.

3° La liste exacte des pièces constitutives du dossier à déposer serait fixée par décret, ce qui offre de moindres garanties que la loi, alors qu’il s’agit d’une liberté constitutionnelle. Les gouvernements successifs pourraient aisément ajouter d’autres pièces administratives et exigences par ce biais.

4° Les sanctions pécuniaires seraient renforcées en cas de non-respect des procédures.

Cette proposition de loi cherche manifestement à contourner l’obstacle de la jurisprudence constitutionnelle de janvier 2017 pour parvenir tout de même au but, alors avoué par Mme Belkacem en conférence de presse : freiner l’essor des écoles hors contrat.

On en viendrait, si cette proposition de loi aboutissait, à ce paradoxe incroyable : les écoles indépendantes seraient plus contrôlées et soumises à davantage de sanctions que les écoles vivant des deniers publics, qu’elles soient publiques ou sous contrat. L’impunité ou le contrôle symbolique pour les unes, le harcèlement idéologique et administratif pour les autres. A quand une vérification sérieuse des établissements scolaires financés par l’Etat, tant sur le plan de leur gestion, que de leurs résultats ? Plus que jamais, il existerait un deux poids deux mesures dans les exigences en matière d’éducation… et les établissements les plus sérieux ne sont pas forcément ceux auxquels on pense, indépendamment du discours médiatique qui se plaît à relayer l’amateurisme des structures indépendantes.

Mais le danger est plus profond : compte tenu des obstacles sans cesse multipliés à la création d’écoles, les porteurs de projet, pour passer le « contrôle technique », seront invités à toujours plus se conformer au moule de l’Education nationale, sur le plan des programmes notamment. A quoi bon l’indépendance dans ces conditions ? A quoi bon des structures « alternatives », si c’est pour singer le modèle dominant ? La liberté à ce prix est un leurre.

La nécessité du contrôle des écoles indépendantes, alimentée régulièrement dans la presse par des exemples judicieusement choisis d’écoles qui ont passé les bornes, mais ne reflètent en rien la réalité et la diversité du milieu, plaît malheureusement à beaucoup, à gauche comme à droite, au nom de l’argument invoqué de la lutte contre la radicalisation (islamique, cela va sans dire). Mais est-il besoin de rappeler que tout l’arsenal juridique est déjà présent pour faire fermer des écoles musulmanes extrémistes, mais que seule manque la volonté politique ? Faut-il insister sur le danger bien plus grand que constituent les structures clandestines, qui continueront de proliférer, quoi qu’il arrive ?

Cette cause nous concerne, car à travers la question des établissements hors contrat, c’est une fois de plus l’omniprésence étatique, et la restriction de nos libertés qui progressent. A nous de rappeler, autour de nous comme à nos politiques, que nous ne voulons pas d’une éducation normalisée, pas plus que d’une pensée unique autorisée pour nos enfants.

 

Constance Prazel

Déléguée générale de la Fondation de Service Politique