La dernière élection présidentielle marque la troisième défaite consécutive de la gauche. Lionel Jospin a été battu deux fois, dont la seconde de manière particulièrement cuisante, Ségolène Royal une fois. Le mauvais sort qui semblait s'acharner sur la gauche, écartée du pouvoir entre 1958 et 1981, conjuré pendant quatorze ans par François Mitterrand (mais cet homme était-il vraiment de gauche ?) semble de retour.

 

La candidate socialiste a été battue non par rejet de la gauche en tant que telle, mais en raison des doutes sur ses capacités à assumer la fonction de chef de l'État. Si le Parti socialiste la garde comme chef de file, on peut penser que la droite a encore de beaux jours devant elle. Sinon, qui ? Les faiblesses de Dominique Strauss-Kahn sont connues : elles seraient venues sur la place publique s'il avait été investi. Laurent Fabius, dont nul ne doute qu'il ait, lui, la capacité d'être chef de l'État, semble faire l'objet d'un ostracisme durable de la part des militants : par une sorte de conduite d'échec, ceux-ci semblent se charger eux-mêmes d'éliminer les candidats crédibles.

Après eux, c'est la fin de la "génération Mitterrand" dont le vieux maître avait su faire surgir tant de talents originaux. Parmi ceux qui viennent après, deux ou trois font du bruit. Aucun ne semble avoir la pointure présidentielle.

Sentant les faiblesses de la gauche, François Bayrou pense peut-être prendre un jour la tête d'une nouvelle gauche élargie, comme le très catholique Romano Prodi l'a fait en Italie. C'est sans compter sans le vieux fond de sectarisme antichrétien de la gauche française. Il se peut que cela seul lui reste quand elle aura tout perdu.

La gauche a d'autres mauvaises nouvelles : avec moins de 2 % des voix, le Parti communiste termine une lente agonie. De l'extrême gauche éclatée, seul émerge mais à peine, et on se demande pourquoi, Olivier Besancenot.

D'autres données témoignent d'une crise profonde de la gauche : pour la première fois de l'histoire de ce parti, Ségolène Royal a pris le pouvoir au Parti socialiste par la droite, en agitant les thèmes de la famille, de la sécurité, etc. Une des erreurs de Laurent Fabius est d'en être resté aux vieux schémas où la légitimité au PS s'acquerrait à gauche. Nicolas Sarkozy, de même, a construit sa légitimité au sein de l'UMP par la droite, ce qui n'avait été le cas d'aucun de ses prédécesseurs.

Comment en serait-il autrement ? Sur les sujets que les Français ressentent le plus vivement, l'insécurité, l'immigration, les abus du système d'assistance sociale, le poids des impôts, comment la gauche trouverait-elle des idées nouvelles ? Si elle en reste à ses positions traditionnelles, comment ne serait-elle pas en position d'infériorité ? Qui dira combien les promesses d'une nouvelle couche d'assistance ont fait pour éloigner l'électorat flottant de Mme Royal, surtout dans la "France qui travaille" ?

La droite n'a pas gagné la partie

Cela veut-il dire que les valeurs de droite ont gagné la partie ? Ce serait une grave erreur de le croire. D'abord parce que, malgré ses incantations, la droite n'a nullement apporté la démonstration qu'elle avait la solution miracle pour baisser les impôts, réduire les abus des systèmes sociaux, contrôler l'immigration, faire décroître la délinquance. Non seulement par manque de courage, comme le serine la foule des auteurs néo-libéraux, mais aussi par manque d'imagination et d'idées. C'est en gros le même personnel qui n'y est pas parvenu depuis 1987 qui se trouve aux commandes. Et n'oublions pas une perversion qui touche l'ensemble du système politique et dont par conséquent aucun bord politique n'est exempt : les problèmes les plus vivement ressentis par les Français sont de plus en plus évoqués pour faire de la communication politique – autre nom de la propagande – sans qu'on se soucie sérieusement de leur trouver des solutions.

Ensuite, la droite n'a acquis l'hégémonie au cours des dernières années qu'au prix de larges concessions aux thèmes de la gauche culturelle : environnement, libération sexuelle, antiracisme, parité, etc. au point qu'on ne sait plus ce qui, sur ces sujets, distingue vraiment les deux camps. En lui garantissant la neutralité bienveillante du milieu médiatique, cette posture permet certes à la droite de gagner les élections et de placer ses hommes mais les tenants des valeurs traditionnelles, qui demeurent nombreux parmi ses électeurs, ont peu de chance d' y trouver leur compte.

Face à une gauche "libérale-libertaire", la droite qui a gagné est d'abord "libérale-sécuritaire". Le libéralisme conforte les grands intérêts qui la soutiennent : pour beaucoup, c'est probablement l'essentiel. Le discours sécuritaire est, lui, supposé satisfaire le peuple. Curieusement, une certaine droite se fait de ce dernier la même idée méprisante que l'extrême-gauche : celle d'une masse hargneuse qui ne souhaiterait rien d'autre que la punition des voleurs.

Quand Nicolas Sarkozy parle de retour aux valeurs morales, on se demande encore lesquelles, à partir du moment où il ne remet pas en cause aucun des acquis libertaires des trente dernières années. Et ce n'est pas son nouveau ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, pur produit de mai 68, qui le fera pour lui. Quand il déclare vouloir une France fière d'elle-même, est-ce pour promouvoir l'indépendance nationale ? Si oui, pourquoi donc tout ce qui tient le haut du pavé n'a que mépris pour l'héritage gaulliste, supposé dépassé ?

Si la droite ne répond pas aux attentes de ses électeurs, il n'est pas sûr que cela fasse le jeu de la gauche. 2007 vient de le montrer : l'élection présidentielle, à la différence des législatives, ne se joue pas seulement par l'effet de balancier : pour l'emporter, l'opposition doit encore trouver une incarnation crédible.

Il est aussi possible que si la droite se contente d'être une droite de papier, qui brandit des thèmes droitiers mais ne résout aucun problème au fond, elle se subdivise et que le déclin de la gauche se poursuivant, apparaisse un clivage droite-droite, notamment autour de la question européenne. Mais ce n'est pas une perspective immédiate : la chute du Front national et du MPF, la marginalisation des mouvements gaullistes, la séduction opérée au cours du scrutin par Nicolas Sarkozy qui n'a négligé aucune des cordes que la droite aime entendre vibrer, lui assurent un monopole durable. Jusqu'à quand ?

* Roland Hureaux est essayiste. Vient de faire paraître L'Antipolitique (Éd. Privat, coll. "Arguments", 229 pages, février 2007, 229 p., 16,15 €) et L'Actualité du gaullisme (Fr.-X. de Guibert, mai 2007).

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