Le Professeur Claude Sureau, ancien président de l'Académie nationale de médecine et membre du Comité consultatif national d'éthique, a publié un livre sur le statut de l'embryon intitulé Son nom est personne (Albin Michel).

Le faible écho que, grâce à Dieu, cet ouvrage a suscité dans les médias ne doit pas faire oublier le piège de ses propositions.

En effet, comme dans la fable de La Fontaine, l'Âne vêtu de la peau du lion, le Pr. Sureau avance masqué : "Et bien qu'animal sans vertu, il faisait trembler tout le monde." Ainsi, à propos des fœtus morts découverts cet été à l'hôpital Saint Vincent de Paul à Paris, il feint d'être plus choqué encore par la désinvolture qui touche les fœtus et les embryons vivants. Comment ne pas être d'accord ? De même, il comprend les parents confrontés à l'homicide involontaire du fœtus sans possibilité d'en poursuivre pénalement l'auteur depuis le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation. Nous sommes d'accord.

Il s'indigne ensuite d'une décision de justice qui, après une panne d'électricité responsable de la perte de plus de cinq cents embryons congelés, ne reconnut ni la mort de personnes humaines, ni la destruction d'objets appartenant aux parents. On le suit toujours. Il regrette enfin l'interdiction du transfert posthume d'embryons, obtenus par fécondation in vitro du vivant du couple, à la veuve éplorée qui le demande, etc. Pourquoi pas. Et, de proche en proche, par petites touches, le lecteur se sent presque gagné par la force des arguments de M. Sureau... vêtu de sa peau de lion.

Artéfacts cellulaires

Mais, tout d'un coup, comme dans la fable, "un petit bout d'oreille échappé par malheur découvrit la fourbe et l'erreur". Tout s'écroule quand M. Sureau, dans sa lancée, plaide pour le clonage humain, dit thérapeutique, en faisant semblant de croire que les embryons ainsi obtenus ont moins de valeur que ceux conçus avec ovule et spermatozoïde. Et de s'étonner que la loi ait accepté de sacrifier les embryons surnuméraires qui, "en effet, sont indiscutablement des embryons humains" en refusant le même sort pour les embryons obtenus par un clonage hypothétique. Là, trop c'est trop !

Que le lion nous épargne cette danse lascive exécutée pour endormir sa proie. N'était-il pas de ceux qui rugissaient avec toute la ménagerie avant la loi de bioéthique du 4 août 2004 pour revendiquer l'utilisation des embryons congelés ? C'est vrai que le lion est le roi de la jungle, il peut disposer de ses sujets à loisir. L'embryon n'est pas respectable tant qu'il s'agit de militer activement pour son utilisation. Puis, une fois cette victoire acquise (par le vote de la loi), l'embryon redeviendrait un être humain respectable pour permettre de justifier la fabrication de clones humains rebaptisés artéfacts cellulaires. Dès lors, par comparaison, le clonage passe pour une transgression moins violente que le sacrifice des embryons surnuméraires.

Autre "petit bout d'oreille échappé", le souhait de M. Sureau d'autoriser une recherche susceptible de porter atteinte à l'embryon pour ensuite le transférer dans l'utérus afin d'y étudier son développement, sous le prétexte fallacieux de promouvoir la médecine de l'embryon. Cette aberration n'a qu'un seul but : améliorer les résultats de la fécondation in vitro et non pas soigner les embryons malades. Or la véritable médecine prénatale n'a que faire de ces préoccupations statistiques. Quant à dire qu'il faut prendre le risque de faire mourir le patient pour mieux le guérir, à part les médecins de Molière, on ne voit pas très bien qui cela peut convaincre de nos jours.

Mais M. Sureau n'a pas laissé échapper que les oreilles, il a aussi laissé dépasser la queue ! Et les génuflexions courtisanesques qu'il se croit obligé de faire devant la loi Veil, "loi bénéfique pour la santé publique", ne laissent pas beaucoup de doute sur la sincérité de ses ardeurs à vouloir donner un statut protecteur à l'être prénatal.

Le statut de l'animal

De fait, on en arrive à la révélation stupéfiante du livre. L'auteur, dans un chapitre de conclusion intitulé "Le paradoxe du petit chien", ne propose rien de moins que de donner à l'embryon humain le statut de l'animal ! Depuis le droit romain, on pensait naïvement que l'homme était un petit de l'homme. Sur la base de ce constat - sûrement hâtif ! - une summa divisio distinguait deux catégories d'êtres : les personnes que l'on doit respecter, et les choses dont on peut disposer. Mais Sureau survint et la lumière fut. Il n'y a plus les personnes et les choses. Il y aurait les personnes, les choses et... les ratons laveurs dont nous ferions tous partie dans notre extrême jeunesse !

Il faut que tous ceux qui défendent la vie, et qui seraient prêts – par générosité et avec les meilleures intentions du monde — à donner un statut à l'embryon, comprennent bien le danger. Par définition, toute proposition de donner un statut à l'embryon est suspecte dans la mesure où elle ne peut conduire qu'à lui donner un statut infra humain.

La proposition de M. Sureau est doublement suspecte. D'abord parce qu'à l'évidence le statut d'animal protégera encore moins l'embryon que le statut d'être humain dont il continue à être doté depuis le droit romain, même si les juges ne l'appliquent plus toujours. Ensuite parce que la loi aujourd'hui ne permet pas absolument n'importe quoi. Elle reste, malgré tout, encore protectrice. Or, une loi qui "animaliserait" l'embryon permettrait de justifier une complète disponibilité de l'embryon, voire l'autorisation de créer des embryons par clonage. C'est cette loi que suggère Claude Sureau, gaillardement vêtu d'une peau de lion laissant dépasser des oreilles d'âne.

Finalement, est-ce que le statut que l'on décerne à l'enfant à naître ne renseigne pas mieux sur celui qui le propose, qu'il soit lion, âne ou chien, que sur celui qui le reçoit ?

*Jean-Marie Le Méné est président de la Fondation Jérôme-Lejeune

> Claude Sureau, Son nom est personne, Avant de naître, l'enfant est-il une chose, un amas de cellules ou un patient ? Albin Michel, 2005, 115 p., 8,08 €.

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