Vel d'Hiv : l'honneur de la France réelle

Dimanche dernier 21 juillet, le Premier ministre a commémoré l’arrestation, les 16 et 17 juillet 1942, de treize mille juifs par la police parisienne, leur internement au Vel d’Hiv et leur livraison à l’occupant allemand. Il est juste que les plus hautes autorités de l’État manifestent par leur présence, le regret et la douleur de la nation devant cet acte cruel. Nous savons aujourd’hui que ces déportés ont presque tous péri dans les camps de concentration nazis.

Mais Manuel Valls a cru bon de faire plus. Reprenant un thème initié par Jacques Chirac en 1995 et développé par François Hollande en 2012, il a affirmé que la responsabilité de la sinistre rafle retombait sur notre peuple. Il a fustigé « le déshonneur de la France » en soulignant « qu’elle et elle seule avait commis l’irréparable ». Selon lui, notre nation porte depuis 1942 une tache indélébile.

Dans le demi-siècle qui a suivi la guerre, cette interprétation ignominieuse de l’événement en question a été repoussée par tous les responsables de l’État. De Charles de Gaulle à François Mitterrand, ils ont fait la distinction entre la France, qui s’opposait à l’occupant, et quelques Français dévoyés qui collaboraient avec lui. Une autre génération est aujourd’hui au pouvoir. Elle se croit meilleure juge de notre histoire que ceux qui l’ont faite. Seuls quelques esprits libres, tels Jean-Pierre Chevènement ou Henri Guaino, s’élèvent contre la nouvelle vérité officielle. Ils ne sont pas entendus.

La nouvelle vérité officielle

Si faible que soit ma voix, je veux qu’elle rejoigne la leur. Il m’est insupportable que quiconque, et surtout un gouvernement français, porte des coups à la dignité de la France. Certes, comme l’a dit le même Valls, un peuple se grandit quand il reconnaît les fautes qu’il a commises. L’Allemagne nous en donne l’exemple. Mais imputer à notre patrie un crime dont elle est innocente, c’est l’humilier et l’abaisser.

Pour prouver sa culpabilité, le Premier ministre nous présente un raisonnement simple. Les ordres d’arrestation sont venus du gouvernement de Vichy. Or « la France était à Vichy ». Donc la France est bien la responsable de la rafle. Cette énormité étant difficile à faire passer, Valls se hâte d’ajouter « qu’elle était aussi à Londres », comme si collaborateurs et résistants formaient deux parties complémentaires d’une seule France. Jacques Chirac avait préféré évoquer l’existence de deux France, l’une à Vichy, l’autre à Londres. Il semblait nier qu’il y ait une seule histoire de notre peuple, une seule citoyenneté et un seul sentiment national. La seconde variante de la nouvelle vérité officielle ne vaut pas mieux que la première.

Où était le pouvoir réel ?

Allons plus loin. Qui exerçait le pouvoir à Vichy en juillet 1942 ? Exprimait-il la volonté libre de notre peuple ? Quatre mois plus tôt, Pétain, chef de l’État en titre, s’était résigné, sous la pression de l’Occupant, à nommer chef du gouvernement un homme qui n’avait pas sa confiance : Pierre Laval. « Pour avoir cédé aux intrigues de quelques Français et aux chantages des Allemands » écrit l’historien Robert Aron, le vieillard « a été forcé de couvrir de son autorité la politique de Laval sans pouvoir la modifier ni y mettre fin ».

Pitoyable « potiche » (l’expression est de Laval lui-même), Pétain a signé un « acte constitutionnel » qui stipulait que « la direction effective de la politique extérieure et intérieure de la France est assumée par le chef du gouvernement », c’est-à-dire un politicien honni par l’opinion publique, imposé par l’ennemi et décidé à « faire le bonheur des Français malgré eux ». Qui peut, de bonne foi, prétendre que ce personnage, c’était la France ?

L'honneur de qui ?

Fin juin 1942, les émissaires nazis exigent une « action » générale contre les juifs, qu’ils soient français ou étrangers, résidant en zones libre ou occupée. Laval essaie, selon sa politique constante, de négocier. Il arrive à une « transaction » : les Allemands ne déporteront pas les juifs français de zone occupée ; en échange, la police française recevra de lui l’ordre d’arrêter les juifs étrangers qui s’y trouvent, notamment à Paris.

Marché déshonorant, qui flétrit la mémoire de son auteur et de ses complices actifs, comme le sinistre Darquier de Pellepoix, commissaire aux affaires juives, ou passifs comme Benoît-Méchin, secrétaire d’État chargé des relations franco-allemandes. C’est faire à de tels individus un honneur bien étrange que de proclamer aujourd’hui qu’ils étaient la France. Nos pères les ont condamnés à mort.

Le mépris de Valls pour les résistants historiques

Comment expliquer que la vérité officielle de notre temps ait paru une abomination aux survivants de la guerre ? Manuel Valls n’hésite pas à lever cette objection. Selon lui, « l’époque (de 1945 à 1995) était à l’indifférence ». Il va plus loin : « La France ne voulait ni voir ni savoir » et elle se cachait « sous une chape de plomb ».

Il prête bien peu de liberté d’esprit et d’exigence morale à une génération qui a lutté contre les nazis, à leur chef, Charles de Gaulle, et à tous ceux, entraînés par leur élan, qui ont relevé le pays, émancipé nos colonies et attaqué victorieusement les pires injustices sociales.

On attend que notre chef de gouvernement, fort de sa supériorité proclamée, fasse mieux qu’eux. Il serait bien inspiré de commencer par un acte très simple : qu’il permette de « voir et savoir » les vrais responsables de ce qui s’est passé en juillet 1942 et qu’il lève « la chape de plomb » sous laquelle il enferme l’honneur de la France.

 

Michel Pinton est ancien député au Parlement européen.

 

 

 

 

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