Que se passe-t-il dans les universités françaises ? Le mouvement revendicatif agite encore de nombreuses facultés. Au départ, il y a eu une indiscutable maladresse de Valérie Pécresse, avec un projet de décret sur le statut des universitaires.

 Celui-ci a paru remettre en cause l'indépendance des universitaires, pourtant reconnue constitutionnellement, et envisager des sanctions contre ceux qui ne faisaient pas assez de recherche : en l'occurrence des services plus lourds d'enseignement. C'est une double maladresse : présenter l‘enseignement comme une punition et mettre les moins bons chercheurs dans les amphis, alors que la logique est de confier l'enseignement aux meilleurs chercheurs. Ici, le ministre a fini par céder et les plus raisonnables sont revenus au calme.
Les plus contestataires ont trouvé d'autres motifs de mécontentements. Il y a la masterisation : il faudra désormais un master et non plus une licence pour passer les concours de l'enseignement secondaire. Compte tenu du niveau des étudiants, c'est logique ; mais un calendrier précipité, obligeant à renvoyer de suite les nouvelles maquettes de master à Paris (en France l'autonomie ne change rien aux diplômes nationaux), et une mauvaise prise en compte des stages et de la rémunération a permis de maintenir l'agitation. Le ministre vient de céder en retardant la mise en œuvre de la réforme ; les négociations reprennent sur ce point, mais les plus extrémistes veulent que le gouvernement annule purement son projet.
Fantasmes
Le reste relève du fantasme. Il y a la casse du CNRS . En réalité, le CNRS est toujours là et les chercheurs veulent maintenir cette exception française. La logique voudrait pourtant que, comme partout, la recherche ait lieu dans les universités et soit le fait d'enseignants chercheurs et non de chercheurs n'ayant jamais vu un étudiant.
Il y a la diminution du nombre de postes. Il est clair qu'il faut à tout prix réduire les dépenses publiques, compte tenu de leur explosion. L'enseignement supérieur doit y prendre sa part. Les grévistes ne voulaient pas en entendre parler et le gouvernement a cédé : pas de destruction de postes en 2010 et 2011 et compensation financière des disparitions en 2009 : le gouvernement ayant cédé ici doit s'attendre à ce que tous les secteurs demandent la même chose, les finances publiques continueront leur dérive et les déficits iront croissants.
Autre revendication : non à la privatisation , non à l'autonomie, non à la loi LRU. Malheureusement, il n'y a ni privatisation, ni véritable autonomie. La loi Pécresse ne donne qu'une autonomie très limitée et elle est déjà en application depuis plus d'un an. Les conseils et présidents ont été élus selon la nouvelle loi. Comment revenir en arrière ? Pourquoi ne pas demander aussi l'abrogation de la constitution de 1958 ou de toutes les lois en vigueur ? Une véritable autonomie passerait par la liberté de choix des étudiants (sélection), la liberté de recrutement des enseignants, la liberté des droits d'inscription et des financements, la concurrence, qui existe en fait déjà car les universités sont en concurrence sur le plan mondial, mais les universités françaises n'ont pas la possibilité de s'adapter aux demandes. L'autonomie nécessite la fin des diplômes nationaux et du monopole de la collation des grades. Alors on pourrait envisager une privatisation éventuelle. Pour l'instant, c'est du pur fantasme.
L'enseignement catholique bridé

Cela pose la question, non vraiment réglée depuis la loi de 1875, et les réformes de 1880, des établissements d'enseignement supérieur privés, notamment catholiques. Il y a eu d'abord les cinq cathos (Paris, Lille, Angers, Toulouse, Lyon). Il y a surtout depuis quelques années la belle réussite de nouveaux établissements, comme l'Ircom et Albert-le-Grand (Angers), l'ICES (La-Roche-sur-Yon), l'IPC, l'Institut Léon-Harmel, et bien d'autres. Leur succès vient d'une pédagogie adaptée, d'un véritable caractère propre, de l'importance donnée à la conception chrétienne de l'homme et à la doctrine sociale de l'Église, de la fidélité au magistère.
Mais la conception française, napoléonienne, centralisée de l'enseignement supérieur bride leur développement : ils ne peuvent s'appeler universités, ils ne bénéficient pas des mêmes ressources publiques que les établissements d'État (ce qui entraîne une pénalisation financière pour les familles), ils ne peuvent eux-mêmes délivrer les diplômes d'État (licence, master, doctorat) et doivent pour cela recourir à des jurys rectoraux (si le recteur ou le ministère le veut bien) ou à des conventions avec les universités d'État (si celles-ci le veulent bien, et parfois au détriment d'une certaine liberté).
Il est incroyable qu'au moment de la construction d'un espace universitaire européen, alors que les masters des universités étrangères sont reconnus en France, l'État garde jalousement son monopole de la collation des grades et refuse une saine concurrence entre établissements. Depuis le moment où Mgr Freppel et ses amis se battaient en 1875 pour la liberté de l'enseignement supérieur, celle-ci n'a pas beaucoup progressé en France. À l'heure de l'Europe sans frontières, c'est un archaïsme français, qui ne devrait pas résister au temps. Déjà, un accord avec le Saint-Siège, aussitôt contesté par la gauche et mis sous le boisseau, entrouvre une porte dans le sens de la liberté des établissements catholiques. Encore faudrait-il que la France applique l'accord signé.
En outre, la rigidité sur ce point de tous les gouvernements, parfois au nom d'une laïcité sectaire ou mal comprise, s'explique aussi par la logique de la centralisation des universités d'État : l'État refusant la sélection à l'entrée, la liberté des droits d'inscription, la liberté des diplômes, pour les universités publiques, a du mal à accepter des universités privées plus libres ; il compense donc cette liberté relative en conservant jalousement son monopole de collation des grades (diplômes). Aller plus loin dans l'autonomie des universités publiques, c'est ouvrir la porte à des universités privées de plein exercice : voilà ce que refusent les syndicats politisés et des anticléricaux acharnés et sectaires.
La chienlit ou la liberté
En attendant l'autonomie promise, mais toujours embryonnaire, ce qui est réel, c'est la poursuite de l'agitation. Or, tandis que les syndicats annoncent 50% de grévistes (sur 57 000 personnes), voilà qu'au maximum 300 d'entre eux se sont déclarés grévistes. Les autres continuent à être payés, tout en ne travaillant pas.. Or la grève, c'est une cessation concertée du travail entraînant la non-rémunération. Luc Ferry fait remarquer à juste titre que la grève, ce n'est pas les congés payés ! . Le ministre vient de rappeler les universités à l'ordre sur ce point. Certes, il est difficile de savoir qui est gréviste, ou de savoir ce qu'il faut faire quand les cours sont rattrapés plus tard, mais c'est une question d'honnêteté : si on fait grève, on n'est pas payé. Quant à la grève des étudiants, elle n'a aucun sens, puisque ce ne sont pas des salariés. Au mieux, cela fait partie du folklore étudiant, au pire c'est de l'agitation pseudo-révolutionnaire ; mais ce n'est pas de la grève.
C'est là que l'on retrouve le grand retour de la chienlit soixante-huitarde : les blocages par la force, qui sont une entrave à la liberté, une conception totalitaire de la société; les destructions accompagnant les occupations des locaux : on cite ici ou là des chiffres faramineux ; le contribuable paiera ; la chasse aux anti-grévistes désignés sur les graffitis (comme à Nantes) ; le refus des votes à bulletin secret, ce qui autorise toutes les pressions ; le refus des décisions lorsqu'elles se traduisent par le vote de la reprise ; les banderoles délirantes ( Enfants du capitalisme, c'est à nous de le détruire ). Puisque le gouvernement a cédé sur certains points, pourquoi ne pas réclamer n'importe quoi ? On demande donc l'impossible.
Les chrétiens ont une position infiniment plus sage et responsable : ils demandent la liberté, pour eux-mêmes et pour les autres. Il est temps de comprendre que le monde à changé. Il est surtout temps de comprendre ce que disaient déjà les Montalembert, Lacordaire ou Mgr Freppel du XIXe siècle : de véritables universités privées, catholiques, ce serait une émulation féconde , car l'Université officielle s'est renforcée à mesure que naissaient des institutions poursuivant un but parallèle . En outre il y va des droits les plus sacrés, des droits de la conscience, de ces droits auxquels on ne saurait renoncer sans trahir sa foi et son devoir . Or la loi actuelle, c'est la négation de toute liberté sérieuse en matière d'enseignement supérieur (Mgr Freppel à la chambre des députés en 1879, lors de la loi restreignant la liberté de l'enseignement supérieur, pourtant accordée en 1875).
C'est cette liberté, tant revendiquée par ailleurs, qui fait peur aujourd'hui à tous ceux qui défilent en criant non à la privatisation. . Cette liberté, à l'heure actuelle, est pourtant bien chichement comptée en matière d'enseignement supérieur.
*Jean-Yves Naudet est professeur à l'université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III), président de l'Association des économistes catholiques.

 

 

 

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