Une vague « conservatrice » peut-elle toucher la France ?

Cet article fait partie du dossier "Un vent de conservatisme" figurant dans le dernier numéro de la revue Liberté politique.

Le positionnement actuel des forces politiques françaises répond à un certain nombre de contraintes qui rendent difficile l’émergence d’une offre conservatrice de bon niveau à court comme à moyen terme. Un renouveau est possible, à condition d’être patient, de miser sur le renouvellement des idées et sur l’éducation.

De qui parle-t-on ?

Il faudrait évidemment déjà se mettre d’accord sur ce qu’on appelle conservateur. Comme je l’ai montré dans un livre paru l’an dernier aux éditions du Bien Commun, Pour un grand retournement politique, le conservatisme est un terme ambigu. Sans parler de l’étymologie, qui conduit la presse à qualifier de conservateurs les tenants de régimes menacés par des évolutions, comme en Iran ou en Chine, le terme de conservateur désigne un courant politique, dont l’existence est plus clairement attestée dans le monde anglo-saxon, où se trouvent ses penseurs les plus en vue et les plus caractéristiques, de Burke à Roger Scruton en passant par Disraeli, Kirk et autres. Même ainsi compris, le conservatisme garde une certaine ambiguïté : né d’une réaction à la Révolution française, il mêle un attachement à des valeurs et références traditionnelles avec un grand pragmatisme, ce qui conduit le label à désigner des réalités assez variables. Ainsi dans ses rapports avec le libéralisme : si dans sa logique propre, il s’en distingue assez nettement, l’hybridation est fréquente, au point qu’aux États-Unis on considère qu’en économie un conservateur est un ultralibéral.

 

Cela dit, on constate dans beaucoup de pays un renouveau de ce qu’on peut appeler au sens large conservatisme. Mais là aussi la réalité sous-jacente est variable : le terme s’applique bien à la Hongrie (Orban) et à la Pologne (le PiS). En Grande-Bretagne, le thatchérisme avait été particulièrement ambigu, comme d’ailleurs le reaganisme aux États-Unis.  Le Brexit a été l’occasion d’une poussée impressionnante mais complexe du parti conservateur, dans une nouvelle mouture mêlée de populisme, où le patriotisme joue un rôle central ainsi que l’hostilité à Bruxelles. Trump aux États-Unis mêle de façon intime une dimension indéniablement conservatrice (notamment en matière de lutte pour la vie) avec une ambiguïté en matière économique et des méthodes populistes. Par certains points de vue, la remarquable poussée de Matteo Salvini et de la Lega en Italie présente des traits analogues. En résumé, plus encore que dans le conservatisme antérieur, l’hybridation caractérise ces divers mouvements, variable en outre selon les priorités locales, avec cette nouveauté généralement déterminante qu’est la dimension populiste.

 

 

Cela ne doit cependant pas nous conduire à sous-estimer leur importance et signification.  Non seulement la dimension conservatrice y est réelle, mais elle s’y allie avec une composante populaire nouvelle, et avec des succès électoraux appréciables. Or nous sommes dans un contexte qui paraissait normalement favorable aux idées classées de gauche ou progressistes : c’est ce que Guillaume Bernard appelle le mouvement sinistrogyre, et que je mets pour ma part dans le contexte de ce que j’appelle le paradigme de neutralité, qui tend à dominer les idées et leur expression publique depuis trois siècles, tout en faisant sentir ses effets progressivement. Il culmine dans le relativisme postmoderne actuel, à la base du politiquement correct d’aujourd’hui. Or ce dernier est toujours dominant, voire plus que jamais. Le succès des mouvements dont on a parlé signifie que cette emprise, notamment sur les média, n’a pas empêché le succès de ces formes de révolte contre ses conséquences absurdes et nocives. C’est là où la dimension populiste s’est avérée en général essentielle.

 

Le populisme est fondamentalement une révolte populaire contre les élites du moment. Il signifie donc à la fois l’affaiblissement au moins relatif de l’emprise de ces dernières, et l’absence ou l’insuffisance d’une alternative au niveau précisément de ces élites. D’où le problème de tout populisme : sa faiblesse au niveau tant des idées que de la compétence à gouverner. Quand il parvient au pouvoir, c’est que d’une façon ou d’une autre des idées, ou le choix de dirigeants venant d’un autre horizon, se sont combinés avec lui, mais naturellement de façon variable. Aux États-Unis, l’alchimie s’est faite chez une personne, Donald Trump, qui a amalgamé son rayonnement personnel essentiellement populiste avec son appartenance à la classe dirigeante et surtout à la décision de s’appuyer sur le parti républicain. En Grande Bretagne, une alchimie analogue a permis de combiner le charisme personnel et l’habileté de Boris Johnson avec la machine du parti conservateur piégé par la mise en œuvre du Brexit. Dans les deux cas, le programme reste sommaire, et ne s’appuie que très partiellement sur un mouvement d’idées. En revanche deux autres ingrédients ont été décisifs : d’un côté, le patriotisme ; de l’autre, l’écoute de la souffrance de masses populaires désespérant des politiciens qu’on leur offrait ; les deux se combinant dans une forme ou une autre de patriotisme économique. Mais qui reste assez flou, car les deux dirigeants restent ambigus par rapport au libéralisme : alors que ce dernier est dans l’ensemble contradictoire avec leur base de succès électoral, il les tente par ailleurs. Nous ne savons donc pas la forme exacte que prendra l’après-Brexit, ni ce que Trump fera de précis dans bien des domaines, notamment en économie, s’il obtient un second mandat.

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