Un nationaliste à la tête du Québec, espoir ou mirage ?

Source [Pierre-Marie Sève pour Liberté Politique] « Le Québec élit un gouvernement nationaliste et anti-immigration », titrait Le Parisien le 2 octobre 2018, alors que la Coalition Avenir Québec remportait 74 des 150 sièges de l’Assemblée nationale de la province. À la lecture de ce titre, la droite européenne et notamment française, se frottait les mains, se préparant déjà à inclure la Belle Province dans sa liste rhétorique des « avancées » du conservatisme dans le monde, après le Brexit, l’élection de Trump ou la coalition des droites en Autriche.

Cet article fait partie du dossier "Un vent de conservatisme" figurant dans le dernier numéro de la revue Liberté politique

Le Québec l’est une des principales provinces canadiennes. À bien des égards, le Québec est un peu comme la France. En effet, à Montréal, Trois-Rivières ou dans la ville de Québec, on parle français, on suit un code civil, on prend le temps de vivre (et de manger) et naturellement, on maudit les Anglais. À bien des égards, le Québec est aussi l’inverse de la France. Des surplus budgétaires à ne plus savoir quoi en faire, un état d’esprit bon enfant et pacifique même en politique, et un mode de vie simple, le tout sous le sceptre doux d’une reine, Elizabeth II, souverain du Canada.

C’est pour cette raison qu’en lisant le titre du Parisien, on ne peut qu’être sceptique. Sceptique quand à ce que recouvrent ces mots dans la bouche d’un Français et dans la bouche d’un Québécois. Est-ce la même chose ? Oui, certes, la CAQ se revendique clairement nationaliste. Certes, la CAQ a fait de la réduction de l’immigration l’une de ses promesses phares de campagne. Mais pour les observateurs européens, y-aurait-il erreur sur la marchandise ? François Legault est-il vraiment le Matteo Salvini, le Viktor Orbán du Québec ? Pour vraiment le savoir, il faut comprendre profondément ce qu’est le Québec.

Le Québec, d’un extrême à l’autre

Le Québec est une province de la fédération canadienne, peuplée de huit millions et demi d’habitants. 80% d’entre eux sont issus directement des colons français des XVIIe et XVIIIe siècles. Un taux de fécondité battant tous les records, une société civile fermement encadrée entre travail et foi avaient permis à ce grand bout de terre de conserver et même de générer une culture originale, franco-nordique et profondément catholique, pendant plusieurs siècles. Pendant longtemps, un sentiment de fraternité et même d’union avec la France y survivait. Alexis de Tocqueville, lors de son voyage en Amérique, ne s’enflammait-il pas sur ces habitants de Montréal « restés absolument semblables à leurs anciens compatriotes de France » ? Les manifestants anti-conscription de 1918 n’avaient-ils pas trouvé rien de mieux que La Marseillaise à chanter face à la police anglophone ?

Pendant presque deux siècles, les politiques québécois avaient conclu un accord avec les Canadiens anglais pour laisser à ces derniers le pouvoir économique en échange de la préservation d’une culture populaire majoritaire au Québec. Chaque jour, en écoutant la radio, les ménagères récitaient le rosaire avec leurs 7, 8, ou 9 enfants. En ces temps-là, le Québec était connu pour être une terre rurale, très conservatrice, moralement rigide, travailleuse et silencieuse. Mais l’industrialisation de la province va entraîner une profonde mutation de la société québécoise. Le mode de vie consumériste creuse un fossé entre une pratique d’une foi quasi-ascétique et une population de plus en plus tentée par le confort et le divertissement modernes. La morale gêne, c’est une entrave au développement des théories soixante-huitardes. Le rejet de l’autorité se fait lui aussi violent. L’autorité, ce sont tout à la fois l’Église catholique et les Anglais. De deux cent cinquante séminaristes à Montréal en 1960, on est passé aujourd’hui à huit. La masse laborieuse québécoise adhère à des idéaux progressistes, égalitaires, matérialistes et surtout, nationalistes. L’indépendance du Québec est alors une idée qui trotte de plus en plus dans la tête des Québécois. Le Parti québécois organise deux référendums sur l’indépendance, en 1980 et en 1995. Chacun de ceux-ci se solde par une défaite des indépendantistes, dont le dernier à 0,6 % près. Le Québec élit des gouvernements indépendantistes avec quasiment 50 % dès le premier tour. Dans le même temps, la sécularisation et une évolution vers un mode de vie démocrate, libéral et basé sur la raison amènent la plupart des Québécois à avoir des opinions modérées sur la plupart des sujets socio-économiques. Le mode de vie moderne n’est jamais remis en question et avec lui ses valeurs.

Pour autant, le passé n’a pas été effacé rageusement et la Révolution française avec sa violence physique et intellectuelle n’est pas passée par là. En résulte par exemple l’écart entre le vide abyssal des églises le dimanche, et une identification encore très forte à l’héritage catholique, 82 % des Québécois se disant encore catholiques en 2011.

La victoire d’un parti nationaliste

Mais le Québec aurait-il changé ? Avec maintenant un million d’étrangers ou de descendants d’étrangers, après deux décennies de progressisme sociétal, les Québécois auraient-ils subitement pris peur ?

C’est ce que l’on pourrait penser. La Coalition Avenir Québec a remporté les élections en novembre 2018 de façon écrasante. Le schéma là encore est typique des mouvements conservateurs ou dits populistes récents. Les grandes villes et métropoles ont voté au centre ou à gauche, tandis que les régions rurales et les banlieues ont à peu près toutes donné une majorité à la CAQ. Menée par François Legault, homme d’affaire multimillionnaire, la CAQ a fait une campagne face aux libéraux proches de Justin Trudeau, en asseyant sa différence sur sa coloration francophone, fière de la culture québécoise. Avec une stratégie nationaliste mais non souverainiste, la CAQ a dépassé le bipartisme québécois qui durait depuis les années 1970. Ainsi, au lieu de demander un référendum pour l’indépendance de la province, François Legault demande simplement une plus grande autonomie au sein de la fédération canadienne. Il trouve une voie intermédiaire entre les habituels souverainistes et les fédéralistes, voie intermédiaire qui manquait clairement au paysage politique québécois.

La première mesure phare du programme de la CAQ et adoptée dès le début de la législature est la loi sur l’immigration. Dans un esprit de valorisation de la culture québécoise francophone, François Legault a proposé une réforme qui modifierait tant le nombre d’immigrés que les conditions de leur accueil. Le Québec accueillait jusqu’en 2018 environ cinquante mille immigrants par an, ce qui, pris en proportion de la population, est 2 fois plus élevé que la France. François Legault voudrait faire passer ce chiffre à 40 000. Il était, en effet, le seul candidat des dernières élections à proposer une baisse de l’immigration – jusqu’à maintenant, les élites québécoises prenaient pour acquis que le peuple québécois serait accueillant donc soluble à l’infini. Un test de valeurs québécoises et de langue française serait obligatoire pour tous les nouveaux arrivants. C’est un premier pas vers un recul sur les chiffres de l’immigration.

C’est ensuite une loi « à la française » qui fit polémique et qui était proposée par la CAQ. Dans la société multiculturelle canadienne, il n’est pas rare de croiser des policiers en hijab ou en turban sikh. Dans tout le Canada, ces mesures n’ont jamais vraiment posé problème, en harmonie avec le modèle communautariste anglo-saxon. Mais au Québec, la polémique couve depuis près de quinze ans. Dans une société qui était il y a encore trente ans particulièrement homogène, on grince un peu des dents face à un professeur en turban. C’est pour cette raison que lorsque la Coalition Avenir Québec a proposé une loi sur la laïcité, la majorité silencieuse a sauté sur l’occasion et voté en conséquence (selon les sondages, entre 67 et 74% des Québécois seraient en faveur de l’interdiction des signes religieux pour les fonctionnaires). La loi est adoptée, non sans encombres, après un an. Alors même qu’une majorité de Canadiens toutes provinces confondues appuierait potentiellement un tel projet de loi, le Premier Ministre Legault n’a pas échappé aux leçons de morale et aux invectives d’observateurs politiques. C’est ainsi que l’ancien Premier Ministre de l’Alberta, Rachel Notley, a traité François Legault de « raciste », ce qui peut presque être considéré comme bon signe quand on sait à quel point ce qualificatif a été dévoyé dans le monde occidental.

Un autre sujet sur lequel la CAQ a pris le contre-pied du progressisme ambiant concerne la consommation de cannabis. En effet, le gouvernement canadien possède une compétence à ce niveau et en a profité pour légaliser et encadrer dans tout le pays la consommation de cannabis par les adultes. Cette mesure, loin de faire l’unanimité dans le pays et encore moins au Québec, a été retoquée, dans la mesure des compétences provinciales, par la CAQ. Elle figurait encore parmi les promesses de campagne, une loi a rehaussé l’âge minimal de la consommation à 21 ans et a restreint les lieux de consommation possible. François Legault a pour sa part encouragé les jeunes à ne pas consommer de cannabis du tout.

A bien des égards, la Coalition Avenir Québec est donc à droite de l’échiquier politique québécois, et canadien.

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