Dépendance ! Ce serait le mot de la fin... du quinquennat. Le président de la République veut peut-être exorciser le tumulte de la réforme des retraites par un sujet incontestable, qui préoccupe tous les Français... Ce sujet n'en constitue pas moins un casse-tête organisationnel, et surtout financier.

Devant le vertige des chiffres, la création d'une  cinquième branche  d'assurance sociale est évoquée. Le thème pourrait être au cœur de la prochaine élection présidentielle. La dépendance est devenue un véritable sujet de société. Nicolas Sarkozy le confirme en indiquant vouloir fonder son approche sur le  respect de l'être humain  . La formule est consensuelle, tant qu'on n'aborde pas le détail des défis : basculement démographique d'une société vieillissante, éclatement des familles, délitement des solidarités intergénérationnelles, déficits publics...
Il faudra suivre dans leur durée les débats sur la dépendance, dont on commence à mesurer qu'ils s'étaleront sur plusieurs années. Quatre constats peuvent les éclairer.
Tout être humain connaît des phases de grande dépendance
Le thème politique en débat vise les adultes – et surtout les personnes âgées – qui ont besoin d'une aide quotidienne pour vivre (se mouvoir, se nourrir, se vêtir, se laver, se soigner). Or, l'embryon et le fœtus, puis le nouveau-né et le nourrisson sont des êtres ultra-dépendants. Chacun naît incontinent, avec un besoin de soins et d'amour gratuits sans lesquels il dépérirait. Nous avons tous commencé en couches ! De quoi éveiller la solidarité de tous vis-à-vis des personnes redevenues dépendantes. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les aménagements urbains destinés aux personnes à mobilité réduite bénéficient tout autant aux familles avec landaus et poussettes...
Une brève hospitalisation ou un accident font expérimenter en un instant aux adultes les plus sportifs cet état de dépendance, provisoire ou définitif. Faut-il rapprocher le traitement réservé par la société aux êtres humains non encore nés à celui qu'endurent à leur tour certaines personnes âgées qui redeviennent dépendantes comme des nourrissons  ? La question de la dépendance est finalement  bioéthique  . Du début à la fin de la vie, c'est notre approche du statut des êtres les plus vulnérables qui mesure notre degré d'humanité.
Tout être humain reste dépendant d'autrui
À y regarder de près, le mot dépendance a quelque chose de contestable s'il prétend définir – voire stigmatiser – des personnes qui dépendraient d'autrui, au contraire d'autres qui seraient autonomes. Non seulement, personne ne peut prétendre s'être fait tout seul, mais encore personne n'aurait la garantie de survivre seul.
Se passer de la communauté humaine, c'est s'exposer à mourir de faim, de froid ou de maladie. La technique progresse, les savoirs se spécialisent et les hommes sont de plus en plus interdépendants. Les sociétés aussi... De quoi faire réfléchir quand la nôtre, individualiste et hédoniste, assimile la dépendance à une déchéance.
L'autonomie est une mortelle illusion
Comment se manifeste la culture de l'autonomie ? Culte de l'apparence, jeunisme, primauté de l'avoir et du faire sur l'être et la relation... C'est un mélange d'individualisme et de narcissisme, qui fait de l'autre un instrument. C'est au début de la vie la revendication du droit à l'enfant, du bébé zéro défaut et l'exclusion anténatale des êtres humains porteurs de handicap. C'est aussi le boom de la chirurgie esthétique, la mise au rencart des femmes au milieu de leur vie, la mise à l'écart des salariés sénior , ou la grande déprime au moment de la retraite. C'est aussi l'idolâtrie d'une sexualité dénaturée, privée de sens, de responsabilité, de projection dans l'avenir.
Le débat qui arrive aujourd'hui en France sur les aidants sexuels est emblématique de cette dérive : l'instauration de fonctionnaires de la prostitution prétendraient compenser la difficulté des personnes handicapées d'accéder au prétendu droit à une vie sexuelle active . Stigmatiser ce qu'on croira devoir nommer leur misère sexuelle , c'est une façon plus certaine de les exclure de la gratuité des relations affectives. Véritable confusion des genres.
La culture de l'autonomie entretient l'illusion qu'on peut s'affranchir, de l'espace, du temps, du corps et... de la mort, ces dures limites où nos vies s'inscrivent si naturellement. Une expression aussi absurde que refaire sa vie manifeste ce syndrome de toute-puissance. L'idéologie du gender est également fondée sur l'idée d'autonomie : ce serait à chacun de se créer tel qu'il se souhaite, jusqu'à choisir son sexe. Pour un temps donné.
C'est encore le principe d'autonomie qui définit la bioéthique libérale, à l'anglo-saxonne, fondée sur le relativisme des repères, au point de nier en pratique l'universalité de la dignité humaine et jusqu'à l'existence de certains...
La culture de l'autonomie se nourrit de l'éclatement des familles qu'elle accélère ; elle produit la solitude puis la peur, peur du jour où, devenu un poids pour la société, inutile à ses propres yeux, on craint de ne plus avoir personne qui puisse nous aimer et prendre soin de nous. Cette peur est l'une des causes du suicide au grand-âge.
La dépendance est aussi une valeur
Contrairement à celles qui ont l'illusion de l'autonomie, les personnes dépendantes révèlent la vulnérabilité humaine, le besoin universel de solidarité, de soins, de relations de confiance et de respect. De gratuité. Autant de précieuses valeurs dont chacun, au plus profond de lui-même, a besoin pour vivre.
Le sujet autonome est souvent prisonnier, à son insu, des contraintes que lui impose le désir d'être fort, quand ce n'est de compulsions coûteuses et désespérées. Pour se maintenir à flot, il porte le masque dérisoire de l'invulnérabilité.
Souvent la vie intérieure des personnes entravées dans leurs mouvements ou souffrant de difficultés psychiques, mises à l'écart de l'agitation et des compétitions du monde, se révèle d'une paradoxale intensité, jusqu'à manifester l'éclat de l'humanité. Une étrange liberté de conscience et de pensée qui transparait au-delà de souffrances indéniables dont, la première, reste de se sentir rejetées.
Sans angélisme, il nous faut donc relever le défi 2011 de la dépendance en se demandant aussi ce que les personnes dépendantes apportent à la société. Comment ne pas pressentir le supplément d'âme qu'offre la dépendance en nous révélant notre besoin d'entraide et de communion ?

 

*Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie.

 

 

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