Les premières décisions sécuritaires du gouvernement s'abritent derrière de redoutables ambiguïtés, dont l'opinion publique n'a pas encore pris la mesure. Peut-être s'agit-il seulement de réglages. Mais la manière d'organiser la lutte contre la drogue soulève de légitimes inquiétudes.

La proposition de loi du député UMP Richard Dell'Agnola, réprimant la conduite sous l'emprise de stupéfiants, a été votée par l'Assemblée nationale le 8 octobre. Cette proposition de loi se fonde notamment sur une étude française menée entre 2000 et 2001, révélant que la fréquence des accidents était multipliée par 2,5 pour les conducteurs de moins de 27 ans ayant consommé du cannabis. Plusieurs personnalités de l'opposition ont fait valoir l'absurdité de pénaliser la consommation de cannabis au volant, quand, officiellement, c'est la consommation de cannabis en toute circonstance qui est interdite. Puisque le cannabis est censé être interdit, cette mesure ne peut-elle pas être comprise comme le prélude à une légalisation du cannabis ?

En effet, le fond du problème n'a pas été abordé. Qu'en est-il du simple usage, en dehors de la conduite ? Faut-il le sanctionner comme le veut la loi ou bien faut-il continuer à le tolérer comme on le fait ? Ne sommes-nous pas en train d'aligner le statut du cannabis sur celui de l'alcool ?

Interrogé sur la lutte contre la toxicomanie, sur France 2 le mardi 22 octobre, le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, a affirmé son opposition à la dépénalisation du cannabis. " Je pense qu'il ne peut y avoir de société sans interdit ", a affirmé M. Mattéi pour expliquer son refus. Le ministre a souligné les insuffisances du rapport Roques : " Celui-ci- a démontré que l'on pouvait confondre l'alcool, le tabac, le cannabis, les drogues dures [...] parce que le mécanisme était le même au niveau des neurones. Mais ce qui est valable au plan scientifique ne l'est pas du tout dans la pratique. Et on a vu d'ailleurs que les résultats n'ont pas été exceptionnels. "

Selon un sondage Ipsos-France 2-Le Figaro publié mardi 23 octobre : les trois quarts des Français restent fermement opposés à la légalisation des drogues douces (cannabis, haschich, marijuana...).

Jeudi 24 octobre, le garde des Sceaux Dominique Perben, lors d'un colloque sur les " réalités du cannabis " organisé à l'Assemblée nationale, a souligné la " dangerosité sociale " du cannabis.

Le ministre de la Justice, a rappelé qu'il " est nécessaire d'éviter que l'usage du cannabis soit banalisé et vécu par les consommateurs avec un sentiment d'impunité ". Il a précisé que " le maintien d'une réponse pénale systématique à l'usage de cannabis est indispensable ". Il a évoqué l'idée d'une alternative aux poursuites qui permet d'infliger une amende au simple consommateur sans le faire comparaître devant un tribunal. " Cette mesure présente l'intérêt pédagogique d'un retour à la sanction pénale et du refus de toute permissivité ", a t-il expliqué.

Au delà des déclarations d'intention, destinées à rassurer l'électorat, il faut hélas craindre le pire. En effet, le lendemain de son intervention télévisée, le ministre de la Santé faisait nommer à la tête de la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) le Dr Didier Jayle, président-fondateur du Crips (Centre régional d'information et de prévention sur le sida).

Sur les drogues, D. Jayle s'est toujours affiché comme un militant de la réduction des risques. C'est la même logique que pour le Sida : droguons-nous, mais faisons-le proprement, apprenons à gérer les drogues, à vivre avec, au moindre risque. En 1999, dans Libération, il se plaignait que " la France se retrouve à la traîne " : " La Mildt, sortie depuis peu de sa léthargie grâce à Nicole Maestracci, pourrait devenir, demain, un véritable outil de coordination nationale et de proposition, sous réserve de l'engagement des politiques."

Sans préjuger de l'action future du président de la Mildt, on peut avoir des raisons d'être particulièrement vigilant. Jean-Luc Roméro, vice-président du groupe UMP à la région Ile-de-France et vice-président du Crips Île-de-France a déclaré récemment dans la revue Alter Ego n° 37, qu'il se félicitait de l'existence des salles de shoot et qu'il ne fallait pas avoir peur de la délivrance d'héroïne sous contrôle médical.

La politique de réduction des risques semble donc satisfaire autant la droite que la gauche. Elle ne coûte pas cher à l'État, elle se donne des airs de pragmatisme naïf, elle fait preuve d'une apparente efficacité.

En réalité, comme l'affirment très bien Serge Lebigot (Entraide 18e) et François Nicolas (Collectif anti-crack), la réduction des risques ne fait que déplacer les problèmes sans les résoudre : elle substitue deux drogues (la méthadone et le subutex) à une autre (l'héroïne), elle neutralise la dangerosité sociale des toxicomanes par la camisole chimique, sans réduire leur nombre, elle ne traite plus que des conséquences (les méfaits latéraux de la drogue : infections, etc.) en déclarant qu'il ne sert plus à rien de combattre la drogue elle-même, elle enferme les héroïnomanes dans leur servitude volontaire au lieu de les aider à s'en libérer (création de salles de shoot).

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