Le président de la République prépare-t-il lentement mais sûrement sa réélection ? A rebours de sondages et commentaires qui le certifient perdant depuis plus d'un an, des attitudes nouvelles et des analyses décalées signalent que Nicolas Sarkozy pourrait parfaitement se maintenir au pouvoir en 2012, et prétendre à son tour au titre de  come-back kid  à la française.

 Moi, la situation, je la sens bien  : devant les députés UMP, à la mi-avril, Nicolas Sarkozy affichait sa confiance en prévision de sa future campagne de 2012. Un sentiment qui n'était alors pas le mieux partagé. Au sortir de la tempête médiatique qui avait vu la démission forcée de Michèle Alliot-Marie après le fiasco tunisien, c'est le spectre terrifiant de la défaite de Giscard en 1981 qui agitait surtout les rangs du parti majoritaire, où l'on commençait à transpirer à grosses gouttes, et à s'interroger sur l'opportunité d'un autre candidat pour les présidentielles.

En dépit du credo répété à l'envi que  les sondages un an avant  les élections, ça ne veut rien dire , il semblait que ça voulait tout de même dire que l'avenir se présentait mal. Et parmi les spécialistes des études d'opinion, l'un jugeait même qu'une réélection du président avec une si mauvaise cote de popularité à douze mois du terme de son mandat serait même  un cas d'école  sous la Vème République. Irrésistiblement, Marine Le Pen s'affichait comme une candidate probable de second tour. Inévitablement, Dominique Strauss-Khan allait déclarer sa candidature, rafler la primaire socialiste, triompher face à la  peste blonde , et ramener le PS aux affaires.

Rota fortuna

Il a suffi de quelques mois pour que, de l'eau coulant sous les ponts, la donne soit renouvelée. Imprévisible – mais pas totalement non plus – la chute de DSK a considérablement perturbé le PS, plongé dans un cauchemar de révélations scabreuses qui s'éternise, et qui masque fortement les primaires en cours, dont le principal intérêt médiatique semble en outre être la bataille des personnalités, bien plus que l'affrontement des idées.

Nicolas Sarkozy, lui, connaissait au même moment un printemps béni. Quoi que faite en toute discrétion, l'annonce de la grossesse de sa femme donnait au couple présidentiel l'allure glamour et touchante d'une famille régnante, dont il ne faut pas sous-estimer la force de fascination (et attendons de voir ce que sera la naissance, prévue pour octobre). L'ascension du président vers le pouvoir en 2007, portée à l'écran dans La Conquête, était même présentée au Festival de Cannes, comme une consécration précoce d'une place déjà acquise dans le roman national.  Film sarkozyste , écrivait Marianne, film dont  les sarkoboys rêvaient , déplorait Rue 89. La débâcle présidentielle annoncée commençait à avoir du plomb dans l'aile.

Une stature nouvelle

Mais tout n'est pas qu'affaire de coups du sort extérieurs à la politique. Comme le soulignait Le Monde début juillet, depuis plusieurs mois, Nicolas Sarkozy a aussi choisi de prendre du recul, et applique une nouvelle communication, qui le rend  moins médiatique, [et] plus présidentiel .

 L'"hyper-président" a disparu  et a choisi de  raréfier sa parole publique , laissant ses ministres défendre l'action du gouvernement. Une nouveauté pour lui, mais  une répartition des rôles plus habituelle sous la Ve République , souligne Frédéric Dabi, directeur du département opinion à l'IFOP. De même, un retour à une pratique féconde pour ses prédécesseurs : théorisée en effet  par Jacques Pilhan – l'ex-conseiller en communication de François Mitterrand et Jacques Chirac , la rareté permet de  prendre de la hauteur , et peu à peu, de  changer d'image  et de se  représidentialiser .

Au début de l'été, cette nouvelle stratégie de communication ne semblait pas encore avoir eu   d'effet radical  sur l'opinion, gagnée par  une certaine saturation de la parole présidentielle . L'image du président, analysait Jean-Daniel Lévy, directeur de l'institut Harris Interactive  est déjà construite dans la perception des Français, et relativement figée . De fait, le 20 juillet, Ipsos dévoilait que 66% des Français ne voulaient pas voir Sarkozy reconduit. Mais l'Ifop, le 23 juillet, créditait néanmoins le président d'un bond de 6% de popularité supplémentaire, avec 36% des Français se disant satisfaits de son action . Le début peut-être d'un retournement de tendance, consécutif qui sait à l'hommage national rendu le 19 juillet aux soldats tombés en Afghanistan ?

Nicolas Sarkozy en est certain, il doit jouer sur le  temps long , et non sur l'écume de l'actualité. C'est l'une de ses convictions de politicien expérimenté, déjà répétée aux députés UMP en mai 2011 :  quand le paysan sème, l'imbécile au bord de la route ne voit pas qu'il sème et qu'il a labouré profond depuis longtemps . C'est pourquoi il réclame invariablement à son camp du  sang-froid . Il s'investit désormais prioritairement sur des enjeux d'ampleur internationale, censés lui donner une étoffe inégalable d'ici quelques mois : chef de guerre d'un pays engagé sur plusieurs théâtres extérieurs, Président du G20 en un moment-clé pour l'économie mondiale, il compte bien, selon un de ses conseillers,  mettre en avant sa stature, et son expérience  au cours de la présidentielle,  et  le fait d'avoir tenu la barre pendant la crise économique .

Impopularité n'est pas incapacité

L'impopularité dont il est la cible peut-elle pour autant être rattrapée ? L'écrivain Stéphane Denis, habitué à commenter la politique avec le sens de l'histoire immédiate, jugeait même dans Valeurs Actuelles qu'en comparaison de ce qu'a connu la France par le passé, ou de ce qui s'observe à l'étranger, rien ne saurait en faire un argument solide contre le président.

 Je me demande si même mère Teresa pourrait être populaire dans les circonstances actuelles, écrit-il. Lisez la presse étrangère, regardez les émissions politiques ou satiriques, allez assister à un débat parlementaire à Londres, à Rome ou à Berlin, vous verrez qu'aucun dirigeant européen n'est épargné, même ceux des pays qui vont mieux que les autres. Même Angela Merkel avec ses excédents records et ses mœurs de pasteur. 

 On dit aussi que cette impopularité est sans précédent en France. J'en doute. Elle me paraît plus spectaculaire par ses moyens d'expression qu'elle n'atteint un niveau inégalé sous la Ve République. En fait, je la trouve médiatique. Cela ne veut pas dire que les médias la fabriquent, qu'ils complotent contre Sarkozy, même si la plupart d'entre eux ne cachent pas leur parti pris ; d'autres sont à son service avec autant d'outrance que ceux qui le dénigrent. Cela veut simplement dire que ces moyens se sont multipliés, qu'ils sont à la portée de tout le monde. N'importe qui aujourd'hui peut dire du mal du président, du gouvernement, du temps qu'il fait ou de sa sœur, n'importe où, n'importe quand, sur n'importe quel ton. Et qui s'en prive ? 

Sous le règne de la dérision systématique, l'opinion semble s'acclimater à un scepticisme affiché et obligatoire vis-à-vis du chef qu'elle s'est donnée. Il reste pour autant qu'il faudra bien en choisir un : alors pourquoi ne pas reconduire celui qu'elle a déjà désigné une fois, histoire de ne pas se déjuger ?

 Quand on y réfléchit et qu'on débranche le haut-parleur, poursuit Stéphane Denis, ce président n'est pas plus haï que ses prédécesseurs, je pense à De Gaulle et à Giscard, l'un pour des raisons historiques, l'autre pour des raisons sociales ; pas plus discrédité que Mitterrand par les scandales, plus déconsidéré que Chirac par ses bévues. Il me semble qu'il y a autre chose. Ce qui excite, qui encourage, qui fait que la critique tourne à l'antisarkozysme, c'est la certitude, chez de nombreux commentateurs ou acteurs du jeu politique, qu'il a déjà perdu. Que cette conviction contribue à son impopularité, c'est certain. La gauche espère et la droite lui en veut. Que cette impopularité soit fatale et l'empêche d'être réélu, je ne le pense pas. J'ai même l'intuition du contraire. 

Une alchimie avec le peuple

Le sociologue Michel Maffesoli, lui, serait bien du même avis, sur la base d'analyses décoiffantes, et pourtant étayées. Il est l'auteur de l'essai Sarkologies - Pourquoi tant de haine(s) (Albin Michel), publié en mai, dans lequel il soutient non seulement que Nicolas Sarkozy est bien en phase avec le peuple, mais aussi qu'il sera réélu.

Interviewé par Nice-Matin, Maffesoli distingue deux notions, celle d'  opinion publique , et celle d'  opinion publiée  : la première désigne le peuple,  assez étranger aux valeurs des élites  ; la seconde recouvre justement  l'intelligentsia, c'est-à-dire les journalistes, les universitaires, les politiques . Or dit-il, entre  opinion publique  et  opinion publiée , il y a un profond décalage, qui le conduit totalement  à relativiser les sondages : aujourd'hui, la personne sondée est plurielle. Elle a des sincérités successives. C'est pour cela que la plupart du temps les sondages se trompent dans leurs pronostics. 

De façon classique, mais méthodique, il dénonce  une vraie déconnection entre les élites et le peuple . La haine contre Sarkozy  est faramineusement bien représentée dans le milieu intellectuel. En revanche, quand on discute avec les gens de la rue, c'est beaucoup plus nuancé. Ils se reconnaissent dans ce Président un peu vibrionnant et tout à l'avenant .

Car plus profondément, Maffesoli soutient que  tout ce qu'on reproche [à Nicolas Sarkozy], le bling-bling, les tics, le français approximatif, c'est ce qui le fait entrer en phase avec le peuple , même si cela se produit  inconsciemment . Habitué à analyser la chose politique, le sociologue affirme qu'  un président ne peut continuer a exister et être réélu que s'il est connecté avec l'imaginaire du moment.  Or, selon lui,  Sarkozy est dans l'air du temps avec ce côté ludique, festif et un peu joueur. Traditionnellement, il fallait être un homme de gauche ou de droite. Mais aujourd'hui, Sarkozy est un oxymore sur pattes. Il est une mosaïque. Il se trouve que cette figure contradictoire est ce qui caractérise la mentalité contemporaine. 

Les temps ont changé, explique Michel Maffesoli au Journal du Dimanche :  on est passé de la politique comme domaine de la conviction à la politique comme domaine de la séduction . Mais en France, les élites sont  incapables de voir que l'on est entré dans la postmodernité , déplore le sociologue, et ne savent donc plus interpréter le phénomène Sarkozy, captives d'une  hystérie ambiante qui ne permet pas de juger sans haine, sans colère .

Et le professeur de Sorbonne de ne trouver qu'un seul concurrent possible au Président sortant sur ce terrain, en la personne de ...Ségolène Royal, mais qui se trouve désormais  gênée aux entournures, et ne pourra pas exprimer cette dimension charismatique qu'elle a eue.  A moins que la fameuse  représidentialisation  ne lui joue aussi des tours :  c'est tout le problème ; il est, selon moi, en train de changer sur ce qui fait ses possibilités de réussite. 

L'homme charmant

Dans le registre des analyses décalées, pourquoi ne pas finir par celle qu'en a faite récemment le comédien Denis Podalydès, interrogé par Le Point au festival d'Avignon ? Ici, nulle question de programme ou de bilan, mais la perception d'un grand artiste du spectacle vivant, qui sait reconnaître instinctivement ce qui fait vibrer le public.

Après avoir incarné le président au cinéma, il l'a personnellement rencontré. Confessant sa sensibilité de gauche, et même son souhait d'aller voter aux primaires socialistes, il juge le futur candidat probable de l'UMP tout à fait  crédible .  J'ai été surpris par l'homme plein de charme et d'une très grande intelligence, dit-il en évoquant leur rencontre. C'est un tort de sous-estimer Sarkozy, intellectuellement et culturellement, parce que quelqu'un qui décide de se cultiver avec cette volonté-là, il faut le saluer, ce n'est pas à mettre à son débit. Sarkozy va être très fort, il ne faut pas l'enterrer trop vite. Il est sympathique, il vous fait un numéro de charme auquel il est difficile de résister. Il a plein d'humour, il est brillant, léger et transgressif. 

Et lorsqu'il s'agit de déterminer quel candidat PS serait en meilleure position pour l'affronter, le comédien témoigne de son embarras :  C'est un vrai problème... Martine Aubry, peut-être, si elle arrive à être exigeante tout en faisant preuve d'un pragmatisme aussi fort que celui de Sarkozy... Mais avec une théorie solide ! Il faut quelqu'un qui soit capable d'être vivant à tout instant, réactif, drôle, avec du charme et une théorie de fond hyper solide, mais sans assommer les gens avec ça... Quelqu'un avec un surcroît de passion qui manque aujourd'hui. Il faut passionner le débat, faire tourner les têtes, enivrer la campagne électorale... Ce n'est pas évident. Je dis au candidat : "Bon courage ! " 

On ne dira pas, bien entendu, que Sarkozy a déjà gagné. Mais alors que les positions continuent à se clarifier de mois en mois, il devient difficile de soutenir qu'il n'a aucune chance. Car la politique n'est pas seulement une affaire rationnelle faite de bilans et de programmes, elle est aussi une histoire de passion, dans laquelle il a déjà bien prouvé qu'il savait occuper le devant de la scène. Et rien ne dit que sa séquence soit arrivée à son terme.

 

 

Sources : France Inter, Le Monde, Le Journal du Dimanche, Nice Matin, Le Point

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