L'exhortation apostolique Sacramentum caritatis rendue publique mardi 13 mars a retenu l'attention des médias par ses implications à caractère politique. Mais ce n'est pas un texte politique. Elle n'est pas non plus un document qui appartient au corpus de la doctrine sociale de l'Église.

Sa première partie est une vaste présentation du Mystère de l'Eucharistie et de sa place dans l'économie du salut. En présentant le document, le cardinal Scola a montré l'originalité de certains de ses développements théologiques. En particulier dans le chapitre Eucharistie et Église, Benoît XVI fait, dit-il, un important choix magistériel en faveur du primat eucharistique sur la dimension ecclésiale. Pour le pape, l'Eucharistie est le principe causal de l'Église.

Cette exhortation est aussi le rappel d'un ensemble de normes pastorales qui entourent la célébration, la qualité de ses ministres, la manière dont elle doit être reçue et vécue.

Mais l'originalité du document vient encore de ce que Benoît XVI appelle la cohérence eucharistique. Le Pape lie en effet la célébration du Mystère de la Vie, avec toutes les circonstances de celle-ci, y compris économique, sociale et politique. Pour Benoît XVI, en effet, il n'y a rien d'authentiquement humain – pensées et sentiments, paroles et actes – qui ne trouve dans le sacrement de l'Eucharistie la forme appropriée pour être vécu en plénitude. Ici apparaît toute la valeur anthropologique de la nouveauté radicale apportée par le Christ dans l'Eucharistie: le culte rendu à Dieu dans l'existence humaine ne peut pas être cantonné à un moment particulier et privé, mais il tend de par sa nature à envahir chaque aspect de la réalité de la personne. Sous cet aspect l'exhortation Sacramentum caritatis est loin d'être un document purement liturgique. Elle affirme avec force la relation entre mystère eucharistique et engagement social. La "mystique" du Sacrement a un caractère social, écrit Benoît XVI. En effet, l'union au Christ est en même temps union avec tous ceux auxquels il se donne. Je ne peux avoir le Christ pour moi seul; je ne peux lui appartenir qu'en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens.

Communion et responsabilité sociale

Le Pape rappelle, ainsi, fortement que l'Eucharistie est le sacrement de communion entre frères et sœurs qui acceptent de se réconcilier dans le Christ. Elle abat le mur d'inimité qui sépare juifs et païens et les réunît en un seul peuple (cf. Ep 2, 14). La communion est source de réconciliation. Elle pousse ceux qui sont en conflit à hâter leur réconciliation en s'ouvrant au dialogue et à l'engagement pour la justice. La justice, la réconciliation et le pardon étant des conditions pour bâtir une paix véritable, il est hors de doute, continue le Pape, que de cette conscience naît la volonté de transformer aussi les structures injustes pour restaurer le respect de la dignité de l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. C'est au moyen du développement concret de cette responsabilité que l'Eucharistie devient dans la vie ce qu'elle signifie dans la célébration (n. 89).Sous le titre La doctrine sociale, le n. 91 de l'exhortation est tout entier consacré à la relation entre le mystère de l'Eucharistie et l'engagement des chrétiens pour un monde plus juste et plus pacifique. La prière que nous reprenons à chaque messe, "Donne-nous notre pain de ce jour",écrit le Saint-Père, nous oblige à faire tout notre possible, en collaboration avec les institutions internationales, publiques et privées, pour que cesse ou au moins pour que diminue dans le monde le scandale de la faim et de la sous-alimentation dont souffrent des millions de personnes, surtout dans les pays en voie de développement.

Le chrétien laïc en particulier, formé à l'école de l'Eucharistie, est appelé à assumer directement sa responsabilité politique et sociale. Pour qu'il puisse accomplir ses tâches d'une manière appropriée, il convient de le préparer par une éducation concrète à la charité et à la justice. C'est pourquoi, comme le Synode l'a demandé, il est nécessaire que, dans les diocèses et dans les communautés chrétiennes, on fasse connaître et on promeuve la doctrine sociale de l'Église.À de nombreuses reprises dans le document, la dimension à la fois verticale et horizontale du mystère de l'eucharistie est manifestée :Le mariage : L'eucharistie sacrement de la charité, fait apparaître un rapport particulier avec l'amour entre l'homme et la femme, unis par le mariage écrit Benoît XVI. Elle fortifie d'une manière inépuisable l'unité et l'amour indissoluble de tout mariage chrétien. Ce qui explique que l'Église manifeste une proximité spirituelle particulière à tous ceux qui ont fondé leur famille sur le sacrement de mariage (n. 27). Une proximité qui exige de faire reconnaître la mission particulière de la femme dans la famille et dans la société, une mission qui doit être défendue, sauvegardée et promue.

La famille : Le bien que l'Église et la société tout entière attendent du mariage et de la famille fondée sur lui est trop grand pour qu'on ne s'engage pas totalement dans ce domaine pastoral spécifique. Mariage et famille sont des institutions qui doivent être promues et garanties de toute équivoque possible quant à leur vérité, parce que tout dommage qui leur est causé constitue de fait une blessure pour la convivialité humaine comme telle (n. 29).

Les blessés de la vie, les personnes malades ou handicapées auxquels, nous dit l'exhortation, il faut apporter une attention particulière.

Les prisonniers : Je demande aux diocèses de faire en sorte que, dans les limites du possible, il y ait un investissement approprié de forces dans l'activité pastorale concernant l'assistance spirituelle des détenus (n. 59).

Les migrants, en particulier ceux qui viennent d'Église orientale, afin qu'ils puissent célébrer l'eucharistie dans leur rite, ainsi que les réfugiés (n. 90). La rencontre entre fidèles de rites différents peut aussi devenir une occasion d'enrichissement mutuel (n. 60).

Le repos dominical n'est pas la simple suspension des activités habituelles, mais doit conserver sa valeur paradigmatique. L'exhortation comprend un long passage à propos du sens du repos et du travail :Il est particulièrement urgent, à notre époque, de rappeler que le Jour du Seigneur est aussi le jour du repos par rapport au travail. Nous souhaitons vivement que cela soit aussi reconnu comme tel par la société civile, de sorte qu'il soit possible d'être libre des activités du travail sans être pour autant pénalisé. En effet, les chrétiens, en relation avec la signification du sabbat dans la tradition juive, ont toujours vu également dans le Jour du Seigneur le jour du repos du labeur quotidien. Cela a un sens précis, constituant une relativisation du travail, qui est ordonné à l'homme: le travail est pour l'homme et non l'homme pour le travail. Il est facile de saisir la protection qui en découle pour l'homme lui- même, qui est ainsi émancipé d'une possible forme d'esclavage.[...] C'est dans le jour consacré à Dieu que l'homme comprend le sens de son existence ainsi que de son travail (n. 74). La culture : le mystère eucharistique n'est pas seulement participation à la Messe et dévotion au Saint-Sacrement, mais englobe la vie entière... [Il] nous met en dialogue avec les différentes cultures, mais aussi en un sens il les défie. Il faut reconnaître le caractère interculturel de ce nouveau culte, de cette logiké latreía. La présence de Jésus-Christ et l'effusion de l'Esprit-Saint sont des événements qui peuvent constamment se confronter à toute réalité culturelle, pour y mettre le ferment évangélique. Cela comporte en conséquence l'engagement de promouvoir avec conviction l'évangélisation des cultures, dans la conscience que le Christ lui-même est la vérité de tout homme et de toute l'histoire humaine (n. 78). La liberté religieuse. Là où manque la liberté religieuse, nous le savons, manque en définitive la liberté la plus significative, puisque dans la foi l'homme exprime son intime décision quant au sens ultime de son existence. Prions donc pour que s'élargissent les espaces de la liberté religieuse dans tous les États, afin que les chrétiens, de même que les membres des autres religions, puissent vivre librement leurs convictions, individuellement et en communauté. La course aux armements (n. 90).

L'écologie. Pour développer une spiritualité eucharistique profonde, capable aussi de peser significativement sur le tissu social, il est nécessaire que le peuple chrétien, qui rend grâce par l'Eucharistie, ait conscience de le faire au nom de la création tout entière, aspirant ainsi à la sanctification du monde et travaillant intensément à cette fin... Ainsi, la forme eucharistique de l'existence peut vraiment favoriser un authentique changement de mentalité dans la façon dont nous lisons l'histoire et le monde. La liturgie elle-même nous éduque à tout cela quand, durant la présentation des dons, le prêtre adresse à Dieu une prière de bénédiction et de demande en relation avec le pain et le vin, "fruit de la terre", "de la vigne" et du "travail des hommes"...

Les légitimes préoccupations concernant les conditions écologiques de la création en de nombreuses parties du monde trouvent des points d'appui dans la perspective de l'espérance chrétienne, qui nous engage à œuvrer de manière responsable pour la sauvegarde de la création. Dans la relation entre l'Eucharistie et le cosmos, en effet, nous découvrons l'unité du dessein de Dieu et nous sommes portés à saisir la profonde relation entre la création et la "nouvelle création", inaugurée dans la résurrection du Christ, nouvel Adam (n. 92). Les atteintes à la dignité humaine et la misère sous toutes ses formes : Celui qui participe à l'Eucharistie doit en effet s'engager à construire la paix dans notre monde marqué par beaucoup de violences et de guerres, et aujourd'hui de façon particulière, par le terrorisme, la corruption économique et l'exploitation sexuelle. Ce sont tous des problèmes qui, à leur tour, produisent d'autres phénomènes avilissants qui suscitent une vive préoccupation. Nous savons que ces situations ne peuvent être affrontées de façon superficielle. C'est précisément en vertu du Mystère que nous célébrons qu'il nous faut dénoncer les situations qui sont en opposition avec la dignité de l'homme, pour lequel le Christ a versé son sang, affirmant ainsi la haute valeur de toute personne (n. 89). Et le pape poursuit plus loin : Pour les populations qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, plus en raison de situations qui dépendent des relations internationales politiques, commerciales et culturelles qu'en raison de circonstances incontrôlées, notre engagement commun dans la vérité peut et doit donner de nouvelles espérances (n. 90).Nécessité du témoignage public de la foi

En définitive c'est l'ensemble du champ politique qui se trouve engagé dans le Mystère de l'Eucharistie : En effet, le culte agréable à Dieu n'est jamais un acte purement privé, sans conséquence sur nos relations sociales: il requiert un témoignage public de notre foi. Évidemment, cela vaut pour tous les baptisés, mais s'impose avec une exigence particulière pour ceux qui, par la position sociale ou politique qu'ils occupent, doivent prendre des décisions concernant les valeurs fondamentales, comme le respect et la défense de la vie humaine, de sa conception à sa fin naturelle, comme la famille fondée sur le mariage entre homme et femme, la liberté d'éducation des enfants et la promotion du bien commun sous toutes ses formes. Ces valeurs ne sont pas négociables.

Par conséquent les hommes politiques et les législateurs catholiques, conscients de leur grave responsabilité sociale, doivent se sentir particulièrement interpellés par leur conscience, justement formée, pour présenter et soutenir des lois inspirées par les valeurs fondées sur la nature humaine.) Cela a, entre autres, un lien objectif avec l'Eucharistie (cf. 1 Co 11, 27-29).

Les évêques sont tenus de rappeler constamment ces valeurs; cela fait partie de leur responsabilité à l'égard du troupeau qui leur est confié (n. 83)..

Pour en savoir plus :

■ Le texte original de l'exhortation apostolique : Sacramentum caritatis

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