Vladimir Poutine

La victoire du parti Russie unie aux élections législatives du 4 décembre est, en réalité, une défaite. Une défaite de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev. Malgré un bourrage très probable des urnes, le « parti du pouvoir » n’a même pas pu atteindre les 50% symboliques. Cela montre, primo, qu’un pays aussi vaste et aussi désorganisé que la Russie n’est pas facile à manipuler. Et, secundo, que la démocratie y progresse à grands pas.

Catalogué depuis des mois comme « parti des escrocs et des voleurs », Russie unie était condamné à la défaite. Ne nous y trompons pas : ce n’est pour autant ni un parti marginal, ni une structure artificielle qui ne représente personne. On ne saura jamais vraiment quel a été son score réel aux dernières élections. D’après ce qu’on peut conclure, en recoupant les analyses des politologues et des instituts russes indépendants, on arriverait à un score réel de quelque 30%. La formation demeure ainsi le premier parti de Russie. Alors, pourquoi ce bourrage des urnes ? Pourquoi cette prise de risque insensée qui ne peut qu’affaiblir le pouvoir ? Pourquoi cette faute politique ?

Plusieurs explications sont possibles

Jusqu’ici, la mauvaise image de Russie unie ne déteignait pas sur Vladimir Poutine, qui n’en est pas membre, souvenons-nous en. Les sondages, terriblement défavorables au parti, laissaient intacte la côte de popularité très élevée du Premier-ministre et futur président. Popularité qui s’explique, certes, par l’amélioration générale de la situation dans le pays, mais pas seulement. Poutine profite aussi, et très largement, de l’absence d’une personnalité crédible, capable de représenter l’opposition. Rien n’illustre mieux cette situation que la popularité soudaine du blogueur célèbre, Alekseï Navalny. Vedette de la vie politique russe, cet homme encore jeune, incarne aujourd’hui bien des espoirs. L’immaturité de la classe politique russe y est pour beaucoup, son affairisme aussi. Mais, ce qui est en cause, avant tout, c’est la « fausse démocratie », basée sur de « faux partis », lancée en 1991 par Boris Eltsine. Pour ce dernier, apparatchik soviétique jusqu’à la moelle des os, la démocratie n’était qu’un jeu, et un jeu de dupes. Ainsi, nous l’avons oublié, le parti Russie unie, aujourd’hui discrédité,, n’est pas la création de Vladimir Poutine et de ses amis, mais du milliardaire Boris Berëzovski, éminence grise d’Eltsine. Structure immorale, dépourvue de postulat idéologique, la formation s’est adaptée à Poutine, comme elle se serait adaptée à un autre. Son échec actuel sonne sans doute le glas d’une époque. Surtout si les sondages à venir montrent que le dégoût manifeste d’une bonne partie de la population se reporte sur Vladimir Poutine.

Ce dernier ne pouvait ignorer ce que chacun savait. Il ne pouvait imaginer que Russie unie allait obtenir les 65% d’il y a cinq ans. N’est-ce pas pour lui faire porter le chapeau d’un échec annoncé qu’il a fait désigner Dmitri Medvedev comme chef de file de Russie unie dans cette campagne peu glorieuse ? Est-il concevable qu’après cette défaite et surtout cette honte, Dmitri Medvedev devienne néanmoins Premier ministre après les élections présidentielles du mois de mars 2012 ? Et puis, n’est-il pas étrange qu’un président en exercice s’abaisse jusqu’à diriger une campagne législative forcément partisane ? Bien des experts russes pensent que c’est Medvedev qui va payer. Tant il semble impossible que Vladimir Poutine assume et encore moins revendique ces élections si entachées de soupçons. Alors que Dmitri Medvedev les a non seulement assumées, mais a affirmé immédiatement après la fermeture des bureaux de vote qu’elles furent « propres, loyales et démocratiques ». Quelle meilleure manière de rendre antipathique l’ancien champion des médias occidentaux ? Le « jeune président moderne et pro-occidental », ce visage avenant d’une Russie nouvelle, cet adepte du Twitter qui était une alternative à « l’affreux Poutine », s’est transformée en un clin d’œil en « chef des fraudeurs » comme le désigne déjà la blogosphère russe.

La leçon paradoxale de cette élection législative semble être la suivante : la fraude a eu lieu, mais les vainqueurs ont perdu. Ce qui signifie que la démocratie a fait un bond en avant. Comme souvent, le mensonge de trop fait éclater la vérité. Aveuglés par l’illusion de leur toute puissance, les apparatchiks encartés de Russie unie, ont à la fois obéi aux ordres et « foiré leur mission ». Car, non seulement, le score de leur parti devait être bien plus élevé que 49%, mais les « choses » devaient être faites plus « proprement », de manière moins ostentatoire et moins brouillonne. Même le leader des communistes Guennadi Ziouganov, un habitué pourtant des fraudes systématiques de l’époque Eltsine dont il était la principale victime, a déclaré que ces élections furent « les plus sales de toute l’histoire de la Russie postsoviétique ».

Soudain, l’élection de Vladimir Poutine à la magistrature suprême ne paraît plus si évidente. Non pas qu’il puisse être battu, mais le pays qu’il aura à diriger a brusquement changé. Car la Douma, si docile jusqu’ici, va sûrement manifester une vigueur inhabituelle. Et on ne sait vraiment plus comment peuvent réagir les gens pendant les déplacements et les meetings préélectoraux du futur président.

Par-delà le tort immense que ces élections controversées ont fait à l’image de la Russie, elles ont montré que la population, perçue généralement comme apathique, a manifesté avec beaucoup de vigueur un mécontentement que ni le contrôle de la télévision, ni les moyens considérables mis en jeu par le pouvoir, n’ont pu empêcher. Ce fait est nouveau et important. Même si l’équipe de Vladimir Poutine sait, par ailleurs, qu’au-delà de leurs divergences et de leurs frustrations, les citoyens russes craignent avant tout le désordre. Le chaos de l’époque qui a précédé l’arrivée de Poutine au pouvoir est encore dans toutes les mémoires. Ainsi, si « l’ancien et futur président » peut revendiquer quelque chose, c’est bien la stabilité sans laquelle il ne peut y avoir ni prospérité, ni projet qui tienne. Cet atout, il va le brandir, n’en doutons pas.

La Russie qu’on pensait entrée dans une nouvelle ère de glaciation a soudain signifié à ses dirigeants qu’ils sont entrés, eux, dans une zone de turbulences.

 

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