Présidé par le député Hervé Mariton, un groupe de travail de trente-deux parlementaires UMP a publié cet été un rapport original sur les perspectives de reprise en main de la droite politique sur les questions de société . Famille et transmission, bioéthique, place des femmes, individualisme, identité... les questions qui fâchent sont abordées de front.

Pas de conversion spectaculaire dans cette démarche, mais une liberté de ton honnête et courageuse qui mérite d'être saluée. L'avortement figure dans le panorama des sujets sensibles qui méritent une vigilance particulière du politique . Notre contribution au débat.

INTITULÉ Reprendre la main sur les questions de société, le rapport Mariton a donné lieu à l'audition d'une vingtaine de consultations d'universitaires, scientifiques, juristes, philosophes ou de religieux entre décembre 2008 et juin 2009 [1]. Signe qui ne trompe pas, le député de la Drôme évoque franchement la réalité de l'avortement comme l'un des plus grands non-dits français : La philosophe Monique Canto-Sperber nous a rappelé que la loi anglo-saxonne en matière d'avortement était beaucoup plus libérale que la loi française. Pourtant, il y a plus d'avortements en France qu'en Grande-Bretagne. Là-bas, on en parle, alors qu'ici, le sujet est exclu du débat public (Le Figaro, 16 juillet 2009).
Oser en parler
Nous voudrions ici saluer ce début de prise de conscience et appuyer l'idée qu'il y a urgence à briser la chape de plomb qui recouvre encore trop souvent une problématique loin d'être close. Incontestablement, un faisceau d'éléments concourt aujourd'hui à poser le débat à frais nouveaux et milite en faveur de l'organisation d'une large discussion dans les mois à venir dont il appartiendrait au politique de définir les modalités.
Premier constat. Rien n'y fait, les chiffres sont accablants pour les pouvoirs publics. Le nombre annuel d'IVG reste stable, à un niveau relativement élevé, alors que le taux d'utilisation des contraceptifs y est parmi les plus élevés d'Europe (moins de 5 % des femmes de 15 à 45 ans sexuellement actives et ne souhaitant pas avoir d'enfant déclarent ne pas utiliser, ou ne pas utiliser systématiquement, un moyen de contraception) et malgré le développement de la contraception d'urgence [2].
Avec un taux moyen de recours à l'IVG de 14, 5 pour 1000 en 2006 (nombre d'IVG pour mille femmes) qui ne fléchit pas malgré la multiplication des campagnes contraceptives lancées sans relâche par les autorités, on peut sans exagérer parler désormais d'un fléau de santé publique. Songeons que le pourcentage de pratique de l'avortement n'excède pas les 6,5 pour 1000 en Allemagne, malgré la réunification après la chute du mur de Berlin, l'Allemagne de l'Est étant pourtant à l'époque l'un des pays où le nombre d'IVG battait tous les records. Certains se satisfont en France d'un taux relativement stable à hauteur de 210 000 avortements par an. Ils oublient un peu vite que cela signifie concrètement que une grossesse sur cinq est interrompue par un avortement et que, selon l'Ined, près de 40 % des Françaises sont déjà passées par cette épreuve. Peu ou prou, nous sommes tous concernés ou le serons un jour, ne serait-ce qu'au travers de nos parents, proches ou amis.
Le satisfecit est d'autant plus malvenu qu'on note depuis quelque temps une augmentation régulière très inquiétante chez les jeunes femmes de moins de 20 ans, notamment chez les mineures de 15 à 17 ans : près de 9 % de croissance en un an entre 2005 et 2006. Trois grossesses sur cinq se terminent par une IVG chez les jeunes filles de moins de 18 ans. Tout se passe comme si l'utilisation massive des moyens anti-conceptionnels quels qu'ils soient (préservatif, pilule classique, du lendemain,...) débouchait sur un recours accru à l'avortement en cas d'échec, l'IVG apparaissant en définitive comme le meilleur moyen de finaliser son projet contraceptif. De quoi remettre en question le triomphalisme qui a prévalu ces dernières années martelant l'idée qu'une bonne information sur la contraception constituait le meilleur rempart contre l'emballement du recours à l'IVG.
Ces statistiques qui commencent heureusement à être connues en haut lieu ne sauraient laisser indifférents les responsables politiques. Dès lors, il devient urgent d'expliquer correctement ce phénomène d'essor de l'avortement dans une société où la couverture et l'information contraceptives ont atteint des sommets.
Le syndrome post-abortif
Second fait qui montre que le débat doit être relancé : la reconnaissance de ce qu'il est convenu d'appeler le syndrome post-avortement. Un thème qui parvient depuis peu à faire effraction dans l'espace public et médiatique en interpellant là encore toujours plus nos autorités politiques, morales et médicales. Apparenté à une symptomatologie de type post-traumatique, il est rigoureusement observé sur toute la planète quels que soient les pays, les cultures, l'âge, les milieux sociaux ou les confessions religieuses. Pouvant se déclarer quelques mois ou plusieurs années après le geste, l'ensemble des signes décrits est à présent parfaitement codifié et fait l'objet d'études randomisées et de publications médicales poussées, essentiellement dans le monde anglo-saxon.
Cette réalité commence timidement à poindre en France, un nombre croissant de femmes recherchant une prise en charge psychologique après une IVG. Une enquête d'un grand quotidien national révélait ainsi que certaines associations qui accompagnent ces femmes ont vu leur fréquentation augmenter de plus de 20% entre 2006 et 2007 (Le Figaro, 4 mars 2008). Plusieurs spécialistes parlent des traumatismes à retardement de l'avortement pour désigner cette symptomatologie où domine une souffrance chronique à tonalité dépressive, parfois sévère.
Si les femmes ont caché ces signes dans le passé de peur de paraître déviantes et inadaptées à une procédure courante entérinée par la loi et validée par les moeurs, le déni d'avortement ne semble plus de mise aujourd'hui. Rares sont ceux qui s'obstinent à considérer envers et contre tout l'IVG comme une pratique anodine. Il est loin le temps où certains groupes de pression pouvaient impunément banaliser l'avortement pour mieux minimiser dans l'opinion publique la dimension réelle de l'acte abortif et satisfaire les revendications outrancières d'un féminisme ultra-radical. Qui a fini par se retourner contre les femmes.
D'où un troisième élément qui pose aujourd'hui en nouveaux termes la question de l'IVG : le refus de plus en plus perceptible à l'encontre de la banalisation de ce geste, que ce refus soit le fait des femmes qui témoignent ouvertement de leur souffrance, ou des soignants qui s'en désinvestissent de plus en plus comme nous le verrons plus loin.
Un régime dérogatoire
De nombreuses voix s'élèvent ainsi pour que soit rappelée la portée d'un acte qui demeure grave et pour demander par voie de conséquence qu'une véritable alternative soit offerte à toute femme qui serait tentée d'y recourir. Sur le plan juridique, il n'est pas inutile de se remémorer que la loi du 17 janvier 1975, même aggravée par celle du 4 juillet 2001, n'est que la mise en œuvre d'exceptions à l'interdit de l'avortement qui reste la règle. L'intention du législateur était originellement de diminuer quantitativement le recours à un geste qui devait rester exceptionnel. Présentée aujourd'hui à tort par certains lobbies comme un droit, la législation en vigueur ne constitue jamais que la dépénalisation d'un acte qui demeure théoriquement criminalisé : le premier article de la loi Veil stipule que la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité... .
Nous sommes bien dans un régime dérogatoire, qui même si nous ne l'approuvons pas, ne saurait être confondu avec un régime d'autorisation. Notre législation n'a qu'un caractère d'exception et devrait être d'application stricte. C'est le minimum éthique que nous serions en droit d'attendre. Si le législateur a fait preuve initialement de cette prudence, c'est qu'il a toujours considéré que la question du statut de l'enfant à naître ne pouvait être balayée d'un revers de main.
Or dans ce domaine également, les lignes se sont déplacées. Les progrès de l'imagerie échographique, s'ils contribuent à traquer la moindre anomalie fœtale, ont paradoxalement permis de réinscrire l'enfant in utero dans la communauté des êtres humains. Un exemple concret prouve la relation de cause à effet entre la visualisation de plus en plus performante de l'enfant dans le sein de sa mère et le changement d'avis de celle-ci alors même qu'elle avait envisagé le pire. Dans le plus gros hôpital milanais, le centre d'IVG a vu passer en 2007 plus de 1400 femmes dont 90% ont finalement renoncé à leur décision initiale. Le président de la région Lombardie, Roberto Formigoni, a en effet imposé réglementairement – la santé publique italienne est régie en grande partie par les autorités régionales – une échographie et un délai de réflexion de sept jours avec l'intention explicite de dissuader les femmes de passer à l'acte.
En France, la reconnaissance par décret de la possibilité d'inscrire sur les registres d'état-civil et le livret de famille les fœtus nés sans vie participe sans conteste d'un renouvellement du regard porté par notre société sur l'enfant à naître [3]. De nombreux commentateurs ont souligné à ce titre la haute portée symbolique de la réponse des pouvoirs publics au douloureux problème des familles confrontées à la perte in utero d'un enfant. Avec raison, le CCNE avait anticipé cette reconnaissance dans un avis daté de septembre 2005 : La mort d'un fœtus est le plus souvent vécue par ses parents comme la mort d'un enfant. Et d'ailleurs, si l'embryon ou le fœtus ne faisaient point partie de notre humanité, aurait-on eu besoin d'une loi pour décriminaliser l'avortement ?
Les résistances du corps médical
Autant de considérations qui nous amènent à insister sur un cinquième point qui est loin d'être mineur. Il existe aujourd'hui en France un phénomène de résistance morale du corps médical dont tout porte à croire qu'il est loin d'être superficiel et dont les responsables politiques ne doivent pas sous-estimer l'ampleur. Même si aucune étude sérieuse ne s'est penchée sur cette nouvelle donne, il n'est un secret pour personne que les jeunes générations de professionnels de santé font de plus en plus valoir leur clause de conscience, soit par conviction morale, soit par indifférence vis-à-vis d'un acte qui leur semble peu gratifiant après tant d'années d'études. De nombreux services refusent d'appliquer la loi du 4 juillet 2001 qui a fait passer le délai légal de l'IVG de 10 à 12 semaines de grossesse. La profession n'a toujours pas admis cette disposition de la législation actuelle qui a été votée contre son avis [4].
Nos responsables politiques ne peuvent plus ignorer que l'IVG a prospéré à la faveur d'une mentalité qui a fortement imprégné la société, et donc aussi la profession médicale. L'idéologie sous-jacente sur laquelle nous ne nous étendrons pas ici semble marquer le pas. Le mot d'ordre aujourd'hui serait donc de remplacer coûte que coûte cette génération militante qui part à la retraite, tâche qui apparaît beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît à ceux qui se bornent à raisonner uniquement en terme d'offre et de demande et font l'économie du plus petit début de réflexion éthique.
La fronde plus ou moins larvée d'une partie des médecins est bien plus complexe et mérite d'être correctement expliquée. Certains d'entre eux dénoncent les dérives actuelles de la consommation de l'IVG . Le docteur Grégoire Moutel, responsable du laboratoire d'éthique médicale de l'Université Paris-Descartes dénonce sans ambages le recours à des avortements de confort :

Beaucoup de professionnels, qui ne sont pas du tout des militants pro-vie, changent aujourd'hui de regard après avoir vu trop de glissement sur la pratique. À l'origine, les indications de l'avortement impliquaient une détresse [...] de la femme, elles sont aujourd'hui plus de l'ordre du confort, ce qui n'est pas dans l'esprit de la loi , assène-t-il (Le Figaro, 25 février 2009).

Signe révélateur de cette opposition de fond : l'accès à l'IVG dite médicamenteuse en médecine de ville prévu par le décret d'application du 1er juillet 2004 a piétiné, comme en témoigne le trop faible nombre de médecins ayant passé une convention avec un établissement de santé, condition indispensable pour pouvoir effectuer ces IVG selon les termes du rapport Poletti [5].

Là encore, ces quelques faits montrent la réticence croissante des médecins sur le terrain. D'où le passage en force de quelques politiques pour faire des sages-femmes les nouvelles exécutrices de l'IVG par RU-486 via la loi Hôpital, patients, santé, territoires . La levée de boucliers rapide et organisée de la corporation ainsi que l'annulation du Conseil constitutionnel pour vice de forme à l'encontre de cette disposition constituent un sérieux camouflet envers ceux qui ont tout fait pour censurer et étouffer les implications morales d'un tel bouleversement.

Enfin, l'étude même succincte du droit comparé et l'observation de ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières montre aux Français que de grands pays occidentaux n'apportent pas une réponse univoque à cette problématique. On découvre avec surprise que des nations très proches culturellement sont opposées à toute modification de la législation. Que ce soit l'Irlande ou Malte par exemple, les gouvernements, aussi bien de droite que de gauche, en parfaite syntonie avec leurs opinions publiques, refusent catégoriquement depuis plus de trente ans toute modification de leur corpus législatif.

Quant aux États-Unis, la situation ne laisse pas d'étonner. Alors même que l'avortement est un droit constitutionnel légalisé après le fameux arrêt Roe v. Wade de 1973, les derniers sondages montrent que moins d'un Américain sur 10 se déclare encore en sa faveur. La dernière enquête en date montre que 86 % des Américains souhaiteraient limiter de manière significative l'avortement, les citoyens pro-life étant pour la première fois plus nombreux que les pro-choice (49% contre 48% alors que le rapport était inverse il y a deux ans avec 44% contre 50%) (Zenit, 15 juillet 2009). On tient peut-être ici une explication à la récente entrevue diplomatique entre Benoît XVI et le président Obama, pourtant pro-choice, qui s'est engagé au Vatican à faire baisser le nombre d'avortements outre-Atlantique.

Force est donc de constater qu'il est possible aujourd'hui en France de donner corps à un débat qui ne demande qu'à s'exprimer. En matière d'avortement, on ne saurait en aucun cas se satisfaire d'un statu quo, ou pire d'une fuite en avant, en brandissant un hypothétique sens de l'histoire, un quelconque progrès moral ou un acquis sociétal irréversible, autant d'expressions qui ne signifient rien sauf à donner bonne conscience à ceux qui manipulent les termes de l'équation. S'empêcher de penser par crainte d'un retour en arrière ne peut que faire le jeu des idéologues pour lesquels seul compte la pétition de principe au mépris de toutes les réalités que nous venons de rappeler.

Les questions de société sont le signe d'une société en questions, d'une société qui s'interroge elle-même et son avenir. Ce débat n'est pas une mauvaise chose. Au contraire, il manifeste une certaine vitalité de notre société. Sur ces sujets, rien ne serait pire que l'indifférence résume fort justement Hervé Mariton. La société française en général et les femmes en particulier ont tout à gagner à ce que cette question de l'IVG soit repensée avec intelligence et sans faux-semblant.

* Cécile Edel est présidente de Choisir la Vie.
* Pierre-Olivier Arduin est directeur de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

CONFERENCE-DEBAT le 16 septembre

Le député Hervé Mariton présentera le rapport Reprendre la main sur les questions de société le 16 septembre à l'Assemblée nationale, avec le vice-président du Parti chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson.
La conférence aura lieu dans la salle Colbert du Palais Bourbon, mercredi 16 septembre 2009 à 19h00.
L'entrée est gratuite mais pour pouvoir accéder à la salle, une inscription préalable est obligatoire. On peut s'inscrire d'urgence auprès de la délégation parisienne du PCD : debat.bioethique@gmail.com

[1] Groupe de travail parlementaire UMP présidé par Hervé Mariton à la demande de Jean-François Copé, Reprendre la main sur les questions de société. Quelle méthode pour quels choix ?, juillet 2009.
[2] C'est sur ce constat très lourd que s'ouvre le rapport de Berengère Poletti (UMP), Rapport d'information sur l'application de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception, Assemblée nationale, 22 octobre 2008, p. 7.
[3] Décrets n. 2008-798 et 2008-800 du 20 août 2008.
[4] Le professeur Israël Nisand avait insisté dans le rapport commandé par la ministre de la santé d'alors, Martine Aubry, sur l'hostilité de la majorité du corps médical qui réalise les IVG à voir allonger le délai légal de 10 à 12 semaines de grossesse. Rapport sur L'IVG en France , février 1999.
[5] Berengère Poletti (UMP), Rapport d'information sur l'application de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception, Assemblée nationale, 22 octobre 2008, p. 19.

***