L'article de Jacques Bichot du 12 juin, "Les retraites par répartition sont nécessaires... et réformables", était une réaction au plaidoyer de Jacques Garello dans le Figaro du 5 juin, en faveur d'une réforme des retraites par remplacement total de la répartition par la capitalisation.

Pris à partie dans nos colonnes, J. Garello a souhaité lui répondre. Voici sa réfutation aux objections de notre chroniqueur, et comme c'est l'usage, le commentaire de J. Bichot pour clore la discussion.

JE TROUVE mon très cher collègue et ami Jacques Bichot, que je rencontre volontiers au sein de l'Association des économiques catholiques de France, assez sévère et injuste à l'égard des analyses que je propose – et que proposent des économistes de tous pays, de toutes conditions.

Dans l'ouvrage que j'ai écrit avec Georges Lane, j'ai rendu l'hommage qui convenait à trois idées qui dominent la solution des retraites par points prônée par Jacques Bichot : les droits à la retraite peuvent être liés au nombre d'enfants que l'on élève, et il s'agit d'un "investissement en capital humain" de nature à rééquilibrer la répartition, puisqu'il est rendu justice à ceux qui offrent à la communauté les actifs de demain. Ils travaillent pour la France disait-on naguère ;

liberté est laissée à l'assuré d'acheter des points, et on substitue une démarche de gestion personnelle et familiale à un calcul purement mécanique et administratif ;

les points sont transmissibles à la famille, alors qu'aujourd'hui les droits acquis en répartition ne le sont pas. Pour séduisante que soit la solution, elle paraît triplement limitée : la dénatalité est hélas inscrite dans les mœurs, elle est en effet le résultat dramatique de l'explosion de la famille, provoquée par l'immoralité ambiante encouragée elle-même par les erreurs de la législation sur le mariage et l'enfance ; je souhaiterais une révolution des comportements, mais je ne crois pas que l'on puisse compter sur ce miracle pour sauver les retraites ;

la marge de manœuvre de l'assuré est étroite, et les points ne se capitalisent pas, ils s'accumulent simplement, ce qui veut dire que l'argent versé sur un compte par points ne constitue en rien un patrimoine puisqu'il sert à régler immédiatement les pensions des actuels retraités ;

enfin, si les droits acquis avec les points sont transmissibles à la famille ils ne sont pas négociables, ils ne peuvent par exemple garantir un emprunt.

Mais l'essentiel n'est pas là. Je voudrais que les tenants de la répartition m'expliquent mon problème de robinet. Les caisses de répartition fonctionnent en effet suivant le principe de la baignoire, on la remplit pour la vider : les cotisations sont immédiatement utilisées à payer les pensions. Je voudrais donc que Jacques Bichot me dise comment évolue le niveau de la baignoire si le débit du robinet qui l'alimente est inférieur au débit de la bonde qui l'évacue. Il y avait 4 actifs (robinet) pour 1 retraité (bonde) en 1960, nous en sommes à 2 et demi aujourd'hui et à un actif pour un retraité en 2030. Sauf évidemment révolution démographique provoquée par le système par points – mais le miracle se produira-t-il ?

Quant à la capitalisation, Jacques Bichot semble dire qu'elle est au-dessus de nos moyens et aspirerait toute l'épargne française pour la confier aux fonds de pension. Il ne m'a certainement pas compris. D'une part les cotisations versées en capitalisation se substituent à celles qui sont versées en répartition, et ne s'y ajoutent pas. On va essayer de sauver ce que l'on peur de l'argent aujourd'hui évaporé. D'autre part les fonds de pension gèrent l'épargne au mieux des intérêts des futurs retraités, alors qu'aujourd'hui l'argent de la Sécurité sociale s'en va en fumée.

Se projeter dans le futur

Dire que faire une promesse de pension à quarante ans relève de l'inconscience, ou de la propagande, c'est ignorer qu'il y a des compagnies d'assurance qui ont géré et gèrent des portefeuilles pour des durées bien plus longues encore. C'est surtout nier le principe même du capitalisme, dont le progrès décisif a consisté à permettre aux hommes de se projeter dans le futur. La répartition, par contraste, c'est la gestion au jour le jour, c'est l'horizon borné, c'est finalement l'imprévoyance et le recours à la charité publique – qui n'a de charité que le nom.

Enfin, opposer la capitalisation et le droit de propriété est un paradoxe. La répartition est la négation de la gestion patrimoniale privée pour confier, de façon obligatoire et arbitraire, l'argent des individus et des familles à la collectivité. C'est la collectivisation de l'épargne. Jacques Bichot devrait connaître mon attachement à la propriété privée et à la doctrine sociale de l'Eglise, qui me semble aller dans le sens de la responsabilité personnelle et non dans celui de la socialisation du futur.

Reste, il est vrai, à expliquer les étapes qui permettent (et ont permis dans de nombreux pays) de gérer la transition de la répartition vers la capitalisation. Mais si l'on commence par s'accrocher à la répartition comme à un dogme, on sera sourd évidemment aux explications sur les procédures de la transition. Quand on refuse le changement, on ne s'intéresse pas à la façon de changer. Présenter la capitalisation comme une utopie, c'est prendre non seulement les Chiliens, mais les Suisses, les Anglais, les Espagnols pour des demeurés, et considérer les quelque 27 millions de contrats d'assurance-vie souscrits par des Français pour des promesses de Gascons.

À ce sujet, je constate qu'aujourd'hui seuls les Français qui en ont les moyens peuvent échapper au piège de la répartition, ils peuvent s'assurer contre le risque de faillite de l'assureur Sécurité sociale. Les gens les plus modestes sont et seront condamnés à donner plus pour avoir moins.

Peut-être Jacques Bichot sera-t-il définitivement convaincu à la lecture attentive de mon premier volume, et à la lecture future des deux volumes à venir cette année.

Je le remercie en tous cas pour avoir porté, comme d'autres, le dossier des retraites sur la place publique. Rien n'est plus terrible que le complot du silence, soigneusement organisé depuis des années, autour de la faillite et des injustices du système actuel.

*Jacques Garello est professeur émérite à l'Université Paul-Cézanne, auteur (avec Georges Lane) de Futur des retraites et Retraites du futur, Ed. Iref et Contribuables associés, Librairie de l'Université www.aix-provence.com

La réponse de Jacques Bichot

La réponse apportée par Jacques Garello à mon article du 12 juin laisse de côté certains des points les plus importants qui y étaient abordés : la distinction entre régimes à prestations définies et régimes à cotisations définies ;

la différence de nature entre les cotisations en capitalisation (qui sont une épargne) et les cotisations en répartition (qui constituent la redevance versée par les actifs pour l'usage du capital humain dont ils sont porteurs et dans lequel leurs aînés ont investi) ;

le fait que toute retraite est basée sur la capitalisation, mais qu'il y a deux sortes de facteurs de production, le capital humain et le capital classique, donc deux sortes de retraites par capitalisation, dont l'une a été nommée "répartition" ;

le problème des droits sur le capital humain, particulièrement important à étudier dans une perspective humaniste et chrétienne ;

la question de savoir si les revenus en provenance du capital classique sont suffisants pour servir des pensions du même ordre de grandeur que les retraites par répartition actuelles sans que les fonds de pension aient à posséder la quasi totalité de ce capital classique.Par ailleurs J. Garello m'invite, pour être convaincu de ses analyses, à lire son dernier livre, comme si je l'avais cité sans m'être donné la peine de l'ouvrir. Or je l'avais lu, et en le lisant, sa condamnation sans appel de toute retraite par répartition m'a paru constituer une pétition de principe plus que la conclusion tirée d'une solide analyse. Nous faisons tous deux à la majorité des systèmes de retraites par répartition bien des critiques identiques ou analogues ; mais, à la différence de J. Garello, j'estime que la répartition peut être réformée, à condition de comprendre qu'elle est une capitalisation qui s'ignore ; et qu'il est heureux qu'elle soit réformable, parce que nous ne pouvons pas, globalement, nous passer d'elle.

Je tiens enfin à préciser que, si J. Garello est partisan de la tout-capitalisation , je ne le suis pas de la tout-répartition . Je dis souvent que les hommes ne sont pas des flamants : ils sont mieux sur deux pattes que sur une seule. Et comme la France est fort en retard en matière de fonds de pension, il reste beaucoup à faire pour y développer cette formule et y disposer d'un mix équilibré de répartition (capitalisation humaine) et de capitalisation classique.

J. B.

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