Régionales : la faillite de la vieille ligne centriste

Beaucoup de commentateurs s'accordent pour dire que le grand perdant des élections régionales a été le parti des Républicains et, dans la foulée, d'en faire porter la responsabilité à leur chef, Nicolas Sarkozy. C’est pourtant la ligne centriste, dont l’ancien chef de l’État cherche à se démarquer, qui est responsable de l’échec relatif de la droite classique.

Bien qu'elle gagne six régions sur 13 (sept avec la Réunion), dont cinq prises à la gauche, l'ex-UMP paraît en deçà de ce qu'elle pouvait espérer. Le Parti socialiste, grâce notamment à ses victoires inespérées dans le Centre et la Bourgogne-Franche-Comté est au contraire au-delà. Sa défaite cuisante peut donc passer pour une victoire.

Certains ajoutent que les succès de la droite classique dans le Nord et PACA sont dus au désistement des socialistes dans le cadre d'un Front républicain décidé unilatéralement par François Hollande pour barrer la route aux dames Le Pen, fille et petite-fille, et ne seraient donc pas à porter au crédit de la droite. Pourtant, en se désistant, le PS n'a-t-il pas reconnu à l'UMP un rôle de leader dans son entreprise de « barrer la route au FN » ?

Le PS a certes le bénéfice symbolique d'avoir paru seul à la manœuvre, mais à quel prix ? En disparaissant de plusieurs de ses fiefs historiques !

N'oublions pas non plus les résultats en voix du second tour : 40,24 % pour LR, 28,66 % pour le PS (il est vrai absent de deux régions), 27,10 % pour le FN. On peut aussi mettre à l'actif de l'ex-UMP la belle victoire de Valérie Pécresse obtenue à l'arraché en Île-de-France.

Quant au FN, donné vainqueur au premier tour de manière excessive, et donné battu au second, de manière tout aussi excessive, parce qu'il n'a pu conquérir aucune région, on invoque le « plafond de verre » qui désormais, le barrerait définitivement de la route du pouvoir. C'est oublier que seule a été testée au second tour des régionales l'hypothèse Républicains/FN et non PS/FN, qu'il faut envisager aussi.

La ligne centriste, vieille de plus de trente ans, remise en cause

En admettant qu'il y ait un échec relatif de l'ex-UMP, thèse qu'accréditent d'ailleurs les changements décidés dans sa direction, doit-on en faire porter la responsabilité au seul Nicolas Sarkozy ?

Il est difficile d'aller jusque-là car ce qui est en cause, plus que la gestion d'un homme, c'est une ligne politique vieille de plus de trente ans.

La ligne suivie aux régionales : large ouverture au centre pour éviter qu'il ne fasse ses propres listes et pour montrer l'exemple d'un grand rassemblement de la droite dite « républicaine », allant jusqu'au MoDem, n'était pas spécialement la ligne Sarkozy. Elle était celle de tout le mouvement depuis Chirac, lequel, à tort ou à raison, avait pensé qu'il n'y avait pas de majorité possible au second tour d'une élection présidentielle sans l'appui du centre et donc sans de larges concessions à ce dernier sur différents sujets, notamment l'Europe. Des concessions qui vont jusqu'au souci de ne pas prendre systématiquement le contrepied de la gauche. Le parrain de cette ligne fut longtemps Jean-Pierre Raffarin, gardien vigilant de l'orthodoxie centriste de l'UMP, dont la mise à l'écart à soi seul est significative.

On peut se demander a posteriori si cette ligne, qui conditionne la politique française depuis trente ans — et qui a notamment eu pour effet l'incapacité de la droite classique de répondre aux préoccupations de Français dans tout une série de domaines (école, justice, immigration) où leurs problèmes n'ont de solution qu'à droite, et même dans les autres, était bien légitime.

Quoi qu'il en soit, la ligne suivie à ces régionales était davantage celle de Juppé ou de Nathalie Kosciusko-Morizet que celle de Sarkozy, dont le seul tort fut de s'y rallier.

Était-on pour autant obligé d'aller jusqu'à investir en Midi-Pyrénées, un Dominique Reynié dont les positions sur certains sujets critiques (entée de la Turquie dans l'Union européenne, GPA) tenaient de la provocation à l'égard des électeurs de droite et qui a été sanctionné en recueillant pour son camp le moins de voix des 13 régions ? Ou encore de laisser tant des têtes de listes à des centristes ? Comme nous le disait il y a peu un élu LR, « le centre n'est qu'un parti d'élus : ceux que nous leur concédons ».

Il aurait pu ajouter que la plupart des militants, car il en existe tout de même quelques-uns, sont d'anciens du RPR ou de l'UMP en bisbille avec les caciques de ce parti dans leurs départements respectifs. Investis UDI ou MoDem, beaucoup se croient obligés, pour se trouver une particularité, de se rapprocher de la gauche dans ce qui est plus un jeu de rôles que l'expression d'une véritable conviction. Ce rapprochement est particulièrement facile sur les questions sociétales, y compris aux héritiers déchristianisés (Todd dit « zombies ») de la démocratie chrétienne.

Une droite illisible

L'autre handicap des Républicains, qui n'est pas propre à Nicolas Sarkozy, est l'absence de lisibilité de sa ligne politique. Disons-le : quant au fond — et notamment sur les questions européennes —, la France est divisée en deux et non en trois.

Tout d’abord, le PS, qui a marginalisé son extrême-gauche et représente l'option de soumission aux contraintes de la monnaie unique et plus largement de toutes les directives venues de Bruxelles, voire de Washington. Ce qui explique l'absence de marge de manœuvre de Hollande. Il est rejoint dans cette posture par le centre et par l'essentiel de la direction des Républicains.

En face, la position euro-critique est celle de la majorité des électeurs de la droite classique et d'une pléiade de mouvements qui tout en se méfiant de l'héritage sulfureux de la famille Le Pen tiennent des positions analogues sur l'Europe (DLF, UPR, gaullistes divers, etc.). Cette position est, de fait, interdite d'expression au sein des Républicains et de l’UDI : le seul candidat à l'investiture des Républicains qui l'assume est Jean-Frédéric Poisson. C'est ainsi qu'elle a fini par trouver son principal porte-voix dans le Front national.

Entre ces deux tendances fondamentales qui se sont exprimées pleinement lors du référendum du 29 mai 2005, les "oui" et les "non", le RPR de Jacques Chirac puis l' UMP de Nicolas Sarkozy s'en étaient sortis en vendant un discours musclé à leur base militante et à leurs électeurs et en menant, une fois élus, une politique proche du centre, voire de la gauche, avec pour effet de ne résoudre aucun des grands problèmes du pays, faute d'oser braver les tabous du politiquement correct dont la gauche fixe seule les normes. Cette méthode passant de plus en plus mal, le mouvement se trouve aujourd'hui écartelé.

Pour passer de l'écartèlement à la synthèse, pour trouver et oser poser une doctrine transversale aux deux camps qui se partagent la France, il ne suffit plus d'acrobatie, il faut une forme de génie. Les Républicains, et pas seulement Nicolas Sarkozy, sont voués à la disparition s'ils ne trouvent pas cette synthèse.

 

Roland Hureaux

 

 

 

 

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