Nous sortons d'une année d'intense compétition électorale pour entrer dans une année d'intense action politique. Dans les urnes, les jeux sont faits. Mais pour la France, tout reste à jouer.

Quelles leçons tirer de cette année de campagne ? Et pour nous, chrétiens, quelles sont les perspectives qui s'ouvrent ? Plus que jamais, avançons avec le cœur de la colombe et la prudence du serpent.

LA MORT de la droite molle titrait Valeurs actuelles au soir du premier tour des législatives. Quoi qu'on en dise, le résultat du second n'a pas démenti François d'Orcival ; il se pourrait même que le séisme politique causé par Nicolas Sarkozy soit encore plus profond.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France n'a jamais été véritablement à gauche. Mais l'expression politique de la droite s'est systématiquement marginalisée. Piégée par la guerre et l'Occupation, préemptée par la nébuleuse gaulliste, sur la défensive dans les combats perdus des guerres coloniales, elle a fini par se replier sur l'économie où elle pensait trouver une légitimité de gestionnaire mais où elle a été efficacement concurrencée par le pragmatisme, sinon le cynisme, de la gauche et où elle perdu son âme dans le culte de l'argent.

Naissance de la droite molle

Les erreurs de la droite n'ont pas été seulement tactiques ou politiciennes. La faute la plus lourde a été commise par de Gaulle lui même dès 1945, par calcul tactique (neutraliser la gauche) ou par naïveté, et elle a été perpétuée par tous ses successeurs. Celui-ci a consciemment abandonné l'école à ses adversaires, c'est-à-dire la formation des jeunes générations, et la culture en général, autrement dit la nourriture des esprits. Les trois temps de cet abandon furent : dès la Libération, la remise de l'enseignement public à un ministre communiste, avec le plan Langevin-Wallon et tout ce qui s'ensuivit jusqu'à aujourd'hui ;puis la nomination d'André Malraux, homme qui n'était pas de droite, loin s'en faut, comme ministre de la Culture avec l'émergence d'une politique symbolisée par les maisons de la culture où le même Parti communiste a pu déployer les effets de son emprise intellectuelle ;enfin l'abandon de l'Université aux groupuscules gauchistes dès l'été 1968 sous la houlette de Edgar Faure (photo).Le Général de Gaulle était sans doute confronté à la présence massive d'un Parti communiste auquel il fallait donner des gages intérieurs pour avoir les mains libres à l'extérieur dans un climat d'affrontement Est-Ouest. Mais en partie à cause d'un anti-américanisme assez profond qui imprègne encore la diplomatie française, il n'a pas non plus su, ou pas voulu voir la différence qu'il y avait entre la Russie à laquelle il se référait et l'URSS dont le PC demeurait l'instrument. Ceci peut sans doute expliquer cela, mais non l'excuser.

Parallèlement, après le Concile et mai 68, une large part de l'Église de France, savamment recyclée sur le thème de l'ouverture au monde , est entrée, à son tour dans une des plus graves compromissions idéologiques de son histoire. Beaucoup de prêtres n'avaient plus alors que le mot de justice sociale à la bouche. Dans les homélies du dimanche, l'injustice à pris la place réservé depuis le XIXe siècle au péché de chair . Les malheureux patrons qui se hasardaient à l'église étaient, pour beaucoup de clercs, les pharisiens des temps modernes. Les patros et l'action catholique ont ainsi formé pendant plus de trente ans des bataillons entiers de militants socialistes ou communistes.

Ce matraquage idéologique a eu un double effet. Dans les régions les plus traditionnellement catholiques comme la Bretagne et le Nord, la foi se dégradait en espérance temporelle, et favorisait un net glissement électoral vers la gauche. Les résultats des dernières élections le montrent à nouveau.

De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux élections de Reagan et de Jean Paul II, les communistes, sous leurs divers avatars, ont déployé avec succès un immense effort de propagande pour prendre pied dans tous les domaines de la pensée sans rencontrer de véritable opposition, à l'exception de Raymond Aron (photo) et de quelques intellectuels peu soutenus par les médias et le pouvoir. Il y a peu, ceux qui soutenaient les valeurs dites de droite, (liberté, nation, ordre, sécurité, autorité), étaient encore immédiatement taxés de fascisme. Ils étaient accusés de ne pas comprendre le sens de l'histoire ou simplement d'être de vilains capitalistes à la solde de l'oncle Sam. Imbibés des méthodes de pensée, des images et des concepts idéologiques de la gauche, aucun homme politique n'osait plus se dire de droite. En dehors de Le Pen, ils se contentaient d'être de la majorité .

Ajoutons-y les divisions constantes de la droite et ses multiples erreurs tactiques : voilà pourquoi, une fois le Général parti, la gauche a pu gouverner aussi longtemps, y compris sous l'égide d'un Président élu avec les voix de la droite. Il ne faut pas oublier que c'est Jacques Chirac qui a fait battre Valéry Giscard d'Estaing en 1981. François Mitterrand a surfé sur cette peur. Il est parvenu, sans que personne n'y trouve à redire, à placer des ministres communistes au gouvernement ; et ce, alors que des SS20 soviétiques menaçaient l'Europe, que Soljenitsyne avait déjà publié l'Archipel du Goulag, et que le drame du génocide cambodgien et des boat-people d'Asie du Sud-Est avaient commencé.

La chute du mur de Berlin en ouvrant les frontières de l'Europe de l'Est et en tarissant les flux financiers destinés à se concilier un bon nombre des membres de l'intelligentsia parisienne a ouvert une nouvelle époque. La droite a repris peu à peu confiance en elle, mais elle est demeurée handicapée par l'épouvantail du Front national qui a su récupérer une partie de ceux qui, bien que marginalisé, n'hésitaient pas, eux, à se positionner à droite. Il ne faut pas oublier qu'en 2002 Jacques Chirac – encore lui – a été élu avec près de 80 % des voix, non contre les socialistes mais contre Le Pen.

La rupture Sarkozy

L'élection de Nicolas Sarkozy met fin à cette époque. Certes, la France est toujours divisée entre 53 % de Français de droite et 47 % de Français de gauche. L'analyse de Roland Hureaux le montre bien : de la différence entre vote local et vote national, de l'effet multiplicateur du scrutin, les résultats du second tour sont néanmoins sans équivoque. Nicolas Sarkozy est parvenu à faire au Front National ce que Mitterrand avait fait au Parti communiste : le réduire à néant. Avec cependant une différence notable : il n'a pas eu besoin de s'allier à lui pour y parvenir.

Surtout, il a cassé le clivage droite/gauche, en place depuis plus de 50 ans. Lorsque Rama Yade dit que la droite a changé son logiciel et pas la gauche , elle ne fait qu'exprimer la stricte réalité dans des mots que n'importe quel jeune peut comprendre. Nicolas Sarkozy est le premier Président français à se faire élire en combinant, de manière nouvelle, les valeurs traditionnelles de la droite, celles du libéralisme économique et celles de la nation. Ce n'est pas un hasard si, des trois grands candidats à la présidentielle, il est celui qui fait le moins de références implicites ou explicites à l'Évangile, mais celui qui a cité le plus souvent, et avec la sincérité d'un fils d'immigré, le passé chrétien de la France. Il a donc logiquement rassemblé son camp et marginalisé tous ses concurrents.

Face à Nicolas Sarkozy pour qui Tout devient possible , la gauche est demeurée égale à elle même : pessimiste et craintive. Incapable d'intégrer les transformations du monde dans un cadre idéologique devenu obsolète, elle n'a pas su se remettre en cause ni proposer un chemin nouveau. Les querelles pitoyables de l'ex-couple Ségolène Royal/François Hollande sont à l'image de toute la gauche. La défaite du PS, malgré les cocoricos du second tour, est donc plus profonde qu'en 2002 car elle touche au cœur de son être. Les socialistes, comme Dominique Strauss-Kahn, qui appellent à une refondation, en sont conscients. Mais cette refondation sera-t-elle possible sans une remise en cause de la tutelle intellectuelle et politique que le PC exerce sur lui et sans risquer un éclatement du PS ?

La politique du chrétien : faire le bien ou défendre des idées ?

Quant aux chrétiens que nous sommes, quel que soit le parti ou la sensibilité politique dans lesquels nous pouvons nous retrouver, s'ouvre pour nous un espace politique dont il serait absurde de ne pas profiter. Le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy — Tout devient possible — doit être aussi vrai pour nous, à condition d'éviter quelques écueils.

Ce qui nous réunit, comme chrétiens, est un certain sens de l'homme, de sa liberté, de sa place dans l'univers, de son rôle dans la société. Notre seule règle en politique, notre principe commun, devrait être la règle d'or de l'humanité : le Décalogue et le commandement de l'amour ; tout le reste relève de l'ordre des moyens, et de la contingence des actions humaines. C'est là notre témoignage spécifique. Nous ne défendons pas les intérêts d'une communauté particulière. Le pouvoir ne nous intéresse pas pour lui-même. Notre combat est d'abord culturel, y compris dans l'engagement politique.

Or la droite que rassemble Nicolas Sarkozy de Roselyne Bachelot à Christine Boutin est plurielle. Une partie d'entre elle a certes une vision de l'homme et de sa liberté extrêmement réductrice. Mais nous n'avons pas vocation à nous coaliser particulièrement avec les uns contre les autres. Les chrétiens qui s'engagent en politique ne devraient pas combattre pour leurs idées, aussi belles et généreuses soient-elles, mais dans le service du bien, partout où il peut se faire, et aussi petit soit il, avec les moyens du bord. La nuance n'est pas mince. Ceux qui ont voulu imposer aux autres un modèle de société jugé meilleur sont devenus des idéologues. Cette erreur leur a été néfaste depuis la Révolution française. Nous n'avons pas de modèle de société à défendre et nous n'avons pas de solution toute faite. Notre mission est d'être tout à tous , dans le respect de quelques vérités fondamentales et universelles pour lesquelles beaucoup de nos pères dans la foi se sont engagés et parfois sont morts martyrs.

Le piège que les débats sur la Note Ratzinger et l'objection de conscience ont révélé, serait de faire de nos choix contingents des absolus au nom des vérités universelles auxquelles nous adhérons. Au contraire, le choix des moyens relève du compromis entre des avantages et des inconvénients. Toute la difficulté porte sur la nature de ce compromis. Il ne s'agit pas de dire comme certains : Je suis à titre personnel contre l'euthanasie mais si la majorité le souhaite, je voterai pour par respect de la conscience des autres. Ce relativisme est impossible pour nous chrétiens. Mais il ne s'agit pas non plus de dire, comme d'autres, puisque la société ou le gouvernement est favorable à l'euthanasie ou à l'avortement, je me retire de la vie politique et je me replie sur un groupuscule de purs aussi purs que moi . Ce n'est pas à ce communautarisme que nous appelle le Christ et ce n'est pas une bonne stratégie politique.

Distinguer relativisme et pluralisme

En revanche nous avons constamment à nous demander quel est l'acte politique, le vote ou l'alliance tactique, qui donnera le plus de chance et d'opportunité de faire le bien dans notre combat pour le respect de la dignité de la personne. Il est évident que les réponses peuvent être diverses. Les uns estimeront qu'il faut soutenir un parti de gouvernement, d'autres penseront qu'il faut être dans l'opposition. Ces différences sont légitimes et c'est en ce sens que l'Église respecte le pluralisme des choix politiques de ses membres.

En revanche, il serait contraire à la nature même de la politique, telle que l'Église nous l'enseigne, que des personnes ou des mouvements chrétiens communiant dans une même foi et, par conséquent dans une même vision de l'homme et dans un même refus du relativisme éthique, se condamnent mutuellement au prétexte qu'ils ne font pas les mêmes choix contingents ou ne soutiennent pas les mêmes candidats. Or chez les plus radicaux d'entre nous, cette tentation de confondre relativisme et pluralisme existe. Nous devons à tout prix l'éviter si nous voulons faire entendre notre voix sur l'essentiel.

Sur les questions qui concernent la vie, le mariage, l'école et l'éducation, les chrétiens doivent, plus que d'autres, être unis, de quelque parti qu'ils soient, et quel que soit le niveau de leurs engagements. Les clivages idéologiques d'hier s'estompent, la situation politique évolue, des difficultés nouvelles surgissent, mais la nécessité de respecter la dignité de la personne humaine demeure. C'est cette vérité sur l'homme qui doit nous guider. Nous devons être capable de dire cette vérité sans peur et dans le même temps, être capables de travailler au service de tous avec ceux qui ne la partagent pas, ou qui ne la partagent qu'en partie, ou qui ne sont pas conséquents dans leur choix.

Nous devons savoir lutter avec Roselyne Bachelot ou Fadela Amara, fondatrice et présidente de l'association Ni putes ni soumises contre la traite des femmes et la prostitution — trente millions d'entre elles ont été vendues dans le monde depuis dix ans —, et nous battre avec Christine Boutin sur l'euthanasie ou la bioéthique. Seule une attitude de fermeté sur nos principes et d'ouverture aux autres peut permettre ce travail colossal de sensibilisation et de témoignage que nous avons à réaliser.

Au temps des barbares, les chrétiens, à la suite de Grégoire le Grand (photo), ont témoigné de leur foi jusqu'au martyre ; mais ils ont aussi collaboré avec les pouvoirs païens pour civiliser et christianiser le monde germanique. Le monde n'attend pas que nous lui fassions la leçon ni que nous bâtissions un enclos où nous serions bien entre nous, mais que nous travaillions par amour de nos frères à l'édifice commun en étant nous-mêmes fidèles à la vérité que le Christ nous a révélée.

*Thierry Boutet est porte-parole de la Fondation de service politique. A publié L'Engagement des chrétiens en politique, (Privat ,2007).

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