Première leçon de l'expérience grecque : l’accélération du changement politique

L’expérience grecque est instructive pour la France, au moment où beaucoup de Français, jusqu’alors sans action politique, commencent à s’engager ou songent à le faire. La nouveauté, c’est la volatilité du marché politique.

On estimait à juste titre qu’il fallait vingt ans pour qu’un parti politique puisse accéder à la maturité électorale dans une démocratie. L’expérience grecque montre qu’en certaines circonstances, il est vrai exceptionnelles, les choses peuvent aller prodigieusement plus vite. Les faits nous forcent à mesurer cette accélération étonnante de l’histoire politique en Grèce.

Première leçon : la vitesse accrue du changement politique

Rappelons que le pouvoir n’est pas du tout exercé aujourd’hui en Grèce par la seule « gauche radicale » dont nous parlent nos médias, comme si un Jean-Luc Mélenchon était arrivé tout seul au pouvoir, mais par une coalition de gens en marge à la fois de ce qu’on appelait la « gauche de gouvernement » et de ce qu’on appelait la « droite de gouvernement ».

Les Grecs ont considéré que face aux enjeux dramatiques et systémiques auxquels était confronté leur pays, les deux partis dominants étaient interchangeables, comme cela peut paraître le cas aussi chez nous. Écuries de personnalités rivales et représentants de clans opposés, ils soutiennent tous à peu près la même politique et le même ordre existant — à cette différence près que la « gauche » (de gouvernement) s'adresse par pur réflexe plutôt aux classes populaires, la droite essaie d'attirer par réflexe les conservateurs. Les deux, ensemble, empêchent l’alliance des classes populaires et des conservateurs.

L’alliance improbable

Eh bien ! en Grèce, l’alliance improbable s’est produite. Les deux associés de la coalition n’existaient pas encore il y a seulement trois ans :

1/ Syryza, dirigé par Tsipras, issu de l’antique nébuleuse gauchisante, longtemps groupusculaire, amorphe et impuissante, s’est soudain structuré, et n’est devenu formellement un parti politique qu’en 2013. Certes, on se demande si ce parti est composé de suffisamment de bon techniciens, capables de faire face aux dramatiques enjeux économiques et administratifs du pays. Cela dit, ils pourront difficilement être plus mauvais techniquement que les partis de gauche et de droite traditionnelles qui ont ruiné le pays au cours de leurs alternances.

2/ Le parti des Grecs indépendants (AN-EL), dirigé par Kamménos, formé d’exclus de la droite de gouvernement, a été fondé en 2012. Même remarque sur leurs compétences.

Inversement, et dans le même temps, la Nouvelle Démocratie (analogue grec de l’UMP/Républicains) qui tournait toujours autour des 45% a perdu la moitié de ses voix.

Quant au Pasok, analogue au PS français, il est tombé à moins de 5% des voix, après avoir dominé la vie politique grecque pendant presque quatre décennies.

Des faits qui donnent infiniment à penser

La France n’est pas la Grèce, mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, tous ceux qui en Europe ne deviendront pas des Allemands sont sur une dynamique qui les amène à devenir des Grecs. Et donc je demande : Est-il vraiment intelligent d’acheter encore très cher des parts très minoritaires dans des partis politiques certes en position de pouvoir aujourd'hui, mais qui, face aux difficultés qui attendent notre pays, risquent d'être dépassés par des partis innovants et plus modernes ?

Pensons que le monde politique est comme un marché tenu par un oligopole de partis fatigués et vieillissants, et que de nouveaux acteurs portant des innovations politiques majeures viendront bientôt bouleverser ce marché.

Ne pas se tromper de train

Est-il urgent de se placer dans telle écurie, ou de s’épuiser à constituer tel sous-parti-charnière, à l’intérieur de formations politiques qui pourraient bien se voir vouées à l’effacement, voire à la disparition dans un délai bref ?

Une entreprise politique aussi artificielle que le libéralisme-libertaire mondialisé ne vit que s’il garde constamment l’initiative. Ce qui s’est passé en Grèce est très grave pour lui, car il vient de perdre l’initiative. Dieu sait s’il pourra jamais la reprendre.

Je pense que tous ceux qui veulent s’engager utilement doivent intégrer le fait de cette accélération et de cette volatilité dans leurs calculs et y adapter leur action, sous peine de manquer les trains qui ne sont pas encore affichés, mais qui seront les seuls, demain, à parvenir en gare d’arrivée. 

 

 Henri Hude est philosophe, ancien élève de l’ENS, directeur du Pôle Éthique des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Sur ce sujet, lire l'Ethique des décideurs (Économica, 2004).

Pour aller plus loin :
http://www.henrihude.fr/

 

 

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