Pour remporter un prix, parler des nazis

source[Boulevard Voltaire]La reductio ad hilterum règne en maître sur Politiquementcorrectland.

Les prix Goncourt et Renaudot ont été respectivement décernés, lundi, à Éric Vuillard pour L’Ordre du jour, et Olivier Guez pour La Disparition de Josef Mengele. Passons sur le fait que cette « manne pour les maisons d’édition » – comme l’appellent Les Échos – a fait la part belle aux Éditions Actes Sud, fondées par le ministre de la Culture Françoise Nyssen : un début de polémique est né, s’apparentant à celle d’Agnès Buzyn avec ses onze vaccins… mais qui ne tient pas l’examen critique. Un auteur ne doit pas être puni parce qu’il a publié dans telle ou telle maison d’édition – encore que si toutes les maisons d’édition, petites et grandes, étaient à égalité sur la ligne de départ des sélections, cela se saurait, mais enfin… -, et il est indéniable qu’Actes Sud, par le passé, a su dénicher de vraies perles. Il n’est pas improbable, donc, qu’elle en soit encore capable.

La vraie question soulevée par l’ensemble de la presse est ailleurs : « Les nazis [sont-ils] les sujets préférés des prix littéraires ? » (Huffington Post).

Depuis vingt ans, a relevé le site, un quart des ouvrages primés par les quatre principaux prix littéraires (Goncourt, Goncourt des lycéens, Renaudot, Fémina) ont trait à la Deuxième Guerre mondiale. Et cette année, c’est belote et rebelote, fromage et dessert, Goncourt et Renaudot.

Certes, c’est dans ce contexte historique que Zweig, Mann, Vercors, Buzzati, Némirovsky, et d’autres encore, ont planté leur décor pour leurs plus beaux romans. Il n’y a pas de mauvais sujet, il n’y a que de mauvais écrivains. Mais quand la source d’inspiration ne se renouvelle pas, quand le thème devient aussi attendu dans un Goncourt que les roucoulements dans un Barbara Cartland, on a des raisons d’être inquiet pour la littérature française, comme un prof de lycée se soucierait de voir tous ses élèves, un jour de dissertation libre, s’engouffrer en rang d’oignons dans la même tarte à la crème.

Car le premier écueil est là : à trop rabâcher un sujet, il devient galvaudé, remâché, cuit et recuit dans la soupe comme un vieil os à moelle sans goût. Si l’idée est de banaliser le nazisme, pas de problème, les gars, faut continuer.

L’autre, évidemment, est de voir les candidats intérioriser l’idée : pour gagner, il faut dire que le nazisme, c’est méchant, comme Miss France trouve que le cancer, c’est mal. Enfoncer les portes ouvertes, ce n’est pas grave en soi, nous sommes d’accord, mais ce n’est pas forcément ce que l’on attend d’un chef-d’œuvre de la littérature.

Évoquant le docteur Mengele, personnage central de son bouquin primé par le Renaudot, Olivier Guez, écrivain et scénariste de 43 ans (plus tout à fait un ado, donc), parle d’un « sale type », d’un « personnage abject et médiocre ». Qui lui donnerait tort, en effet ? Mais même pour une rédaction de 3e, c’est un peu court, jeune homme.

La reductio ad hilterum – au sens propre – règne en maître sur Politiquementcorrectland. Elle est comme une housse sur le siège de la pensée, qui la fige dans le temps. Jusque dans la littérature où, par paresse autant que par opportunisme, on rapporte tout (c’est tellement reposant) à une magnitude sur l’échelle de Hitler.

Gageons que même le concours d’éloquence d’un modeste lycée de province aurait prévu, dans son barème, une case « originalité du sujet » et une autre « imagination ». Mais le Goncourt et le Renaudot sont tellement au-dessus de tout cela.