La pop-louange va-t-elle mourir ? La question fait grand bruit dans certains cercles de la communauté catholique (il n'est qu'à voir le courrier qu'ont suscité les articles d'Alex Lauriot-Prévost sur ce site et de Benjamin Coste dans Famille chrétienne) — c'est d'ailleurs par ce genre de débats empreints d'inquiétude que, paradoxalement, la communauté catholique prend forme et se construit : voilà un premier fruit dont on ne peut que se réjouir.

J'aimerais apporter ma contribution à la discussion. Non seulement parce que j'ai longtemps été engagé dans l'évangélisation active, mais surtout parce que je suis à l'origine de cette formule qui a, depuis longtemps, pris son envol : pop-louange.

Petit historique. Nous sommes en 2002. Le site ChristiCity, créé en partenariat avec la Fondation de Service politique et aujourd'hui animé par le Forum pour la Nouvelle Evangélisation, fête ses deux ans et déménage dans le diocèse de Toulon, à l'invitation de l'évêque du lieu. Dans le même temps, un des fondateurs du site, Aurélien Pouzin, décide de monter avec ses frères un groupe de musique chrétienne professionnel, inspiré de la CCM (Christian Contemporary Music) américaine. En tant que responsable de ChristiCity, j'accompagne leurs premiers pas, notamment en matière de communication : la CCM fait partie de mes centres d'intérêt depuis 1997, date de la sortie du deuxième album de la star incontestée de ce genre de musique, Rebecca St James (photo). Dès septembre 2000, à Washington, lors de la convention nationale de la Christian Coalition of America, j'ai rencontré plusieurs groupes de CCM. Un peu plus tard, j'ai également publié une grande enquête sur le sujet dans Famille chrétienne. Bref, la question m'est familière.

À l'approche de l'été 2002, la communauté de l'Emmanuel décide de "donner sa chance" au jeune groupe qui a pris le nom de Glorious, un nom trouvé dans une pizzeria de Versailles (!) par mon vieux camarade de lycée Vincent Chiron, l'un des administrateurs de ChristiCity. Les frères Pouzin vont jouer au Forum international des jeunes, devant plusieurs millier de personnes. Dès le départ, Aurélien, Benjamin et Thomas Pouzin veulent marquer un grand coup en inventant un style, une touch. Avant de partir pour Paray-le-Monial où se tient chaque année ce forum, nous décidons d'annoncer le concert aux internautes de ChristiCity. C'est à ce moment-là, en quatrième vitesse, sur un coin de table, au son des cigales de Provence (c'est ainsi que se créent les légendes...) que j'écris, sans trop réfléchir, dans la rubrique objet de l'e-mail que je m'apprête à envoyer à nos huit mille abonnés : Connaissez-vous la pop-louange ? La formule m'est venue comme ça, elle n'est pas une motion du Saint-Esprit mais simplement le fruit de mon intérêt pour le marketing. Bref, la voilà lancée.

 

Quelques jours plus tard, le concert de Glorious à Paray-le-Monial est un véritable coup de tonnerre... à l'heure du déjeuner ! Les programmateurs, sceptiques, avaient attribué aux trois frères ce trou qu'il fallait bien boucher. Ce fut un triomphe. Desservis par une logistique approximative, les trois frères pallient les carences techniques par une présence scénique d'autant plus éblouissante que tout — allure, sons, paroles, gestes — est nouveau aux yeux des trois mille jeunes catholiques présents. Narguant les grincheux à cheval sur les horaires, ils jouent leur rappel depuis les coulisses, invisibles mais bien audibles. Culot, ambition, amour du public : une dynamique est née que les précédents chanteurs et groupes chrétiens n'avaient pas su créée.

 

Pourquoi raconter tout cela ? Pour dire que j'interviens dans cette discussion es qualités. Oui, je suis attaché à cette dynamique symbolisée par la notoriété de la formule pop-louange qui, je le rappelle pour désamorcer d'emblée tout fidéisme, est un produit, comme il s'en crée des centaines chaque jour dans toutes les agences de pub du monde. Celui-là a connu son petit succès. Très bien.

 

Une musique commerciale

Pour autant, j'estime qu'il ne faut pas perdre de vue certaines données, du reste connectées entre elles et que le flash-back ci-dessus met en exergue. Tout d'abord, la pop-louange, qu'on aime ou qu'on n'aime pas (elle rassemble d'ailleurs des styles très variés : quoi de commun entre Glorious et Spear Hit - photo ci-contre -, par exemple ?), est l'équivalent francophone de la CCM américaine. Ce n'est pas une musique liturgique. C'est une musique commerciale. Aux États-Unis, elle traduit le phénomène suivant : la communautarisation (certains diront le communautarisme) des chrétiens y est telle que même la dimension marchande de leur vie est marquée du sceau de la foi. En d'autres termes, en musique de variété – celle qu'on écoute dans son bain, dans sa voiture et dans sa cuisine – comme en politique ou en télévision, on consomme chrétien. La CCM américaine existe d'abord parce qu'il y a un marché chrétien, des consommateurs chrétiens qui achètent la musique chrétienne parce qu'ils font le choix de donner à tout leur environnement une couleur chrétienne.

 

Quelle leçon en tirer ? Appeler les évêques et les cadres de la communauté catholique, laïcs et clercs, à soutenir la pop-louange parce qu'elle participe de la nouvelle évangélisation, d'accord. Mais la pop-louange, musique de variété chrétienne, ne peut et ne doit vivre que par la loi du marché. S'il existe un marché de consommateurs de pop-louange et que les producteurs de pop-louange leur proposent des produits adaptés portés par des plans commerciaux adaptés (ni trop pusillanimes, ni trop ambitieux), il n'y a économiquement aucune raison pour que la pop-louange ne constitue pas un segment commercial aux côtés, par exemple, de la musique sacrée. En revanche, si ce marché n'existe pas, ou n'existe qu'à l'état embryonnaire, la pop-louange n'est rien d'autre qu'un univers musical confidentiel, ou un secteur dont les ressorts de croissance sont encore à déterminer – mais toujours selon la loi économique de base : il existe une demande antécédente à une offre qui vient y répondre, même si on peut envisager de créer une demande (c'est même souvent souhaitable, le risque rémunéré étant l'essence même du capitalisme).

 

Dans le domaine de la pop-louange qui ne relève pas, comme je l'ai dit, de l'espace de gratuité propre à certaines dimensions de la vie chrétienne, notamment la liturgie au sens strict, l'Eglise ne peut suppléer le marché. En dehors des oeuvres de commande qui entrent dans la dimension liturgique, catéchétique voire apologétique de sa mission, l'Eglise n'a pas à subventionner quoi que ce soit : à ce compte-là, un tailleur de pierre qui grave des sacré-coeur sur des cendriers pourrait aussi en appeler aux circuits de trésorerie ecclésiastique. Dans une lettre publiée par Famille chrétienne il y a quelques semaines, Roger Martineau expliquait très bien la situation : le relatif échec de la pop-louange reflète un état de l'Église qu'on se refuse peut-être à voir.

En somme, les artistes chrétiens, qui sont d'abord des chrétiens artistes, même s'ils se consacrent à l'évangélisation — quel chrétien cohérent, pour parler comme le Père Garrigues, ne s'y consacre pas, d'une manière ou d'une autre ? — ne doivent pas devenir des apôtres subventionnés.

Pour en savoir plus :

■ Alex Lauriot-Prévost,

La pop-louange catholique, un levier missionnaire qui mord la poussière, Décryptage, 10 octobre 2007.

■ Ecouter Rebecca Saint-James

■ Ecouter Glorious

■ Ecouter Spear Hit

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