Le communautarisme gay radical voit dans chaque hétéro un ennemi, comme le déclare l'un des héros du feuilleton britannique – très réussi, du reste – Queer as folk. La réalité des garçons qui aiment les garçons et des filles qui aiment les filles est un mystère qui s'accommode aussi mal de la haine que de l'impudeur.

Entre la prison d'Oscar Wilde et les back-rooms du Marais, les gays doivent-ils forcément choisir leur camp ? Un peu, on dirait. D'où cela vient-il ? L'esprit de Mai 68 n'a-t-il pas facilité cette conversion de la mystique en politique, ce passage de la liberté sexuelle à la sexualité obligatoire ? Posons la question à Pierre Guénin, pionnier de la presse gay en France .

LIBERTE POLITIQUE — Que ne supportez-vous pas de l'héritage de Mai 68 ?

PIERRE GUENIN — Le sectarisme. Les homos d'un côté, les héréros de l'autre , je n'en ai jamais voulu, pas plus que les patrons d'un côté, les ouvriers de l'autre ou les intellos de gauche d'un côté, les bistrotiers de droite de l'autre . À la lutte des classes, je préfère le travail et la fête !

Vous avez plus de quatre-vingts ans et vous n'hésitez toujours pas à vous dire homosexuel. Quel regard portez-vous sur la société d'aujourd'hui ?

Je suis d'accord avec Nicolas Sarkozy quand il dénonce l'effondrement éducatif des trois ou quatre dernières décennies, et la disparition des figures d'autorité comme l'instituteur, par exemple. J'ai beau avoir voté pour François Mitterrand en 1981, parce qu'il avait annoncé qu'il mettrait fin à la pénalisation de l'homosexualité, je n'en ai pas moins, progressivement, rejoint les rangs de la droite.

On dit souvent que Mai 68 a débridé le zèle du lobby homosexuel...

En réalité, la plupart des gays, aujourd'hui comme hier, sont moins en quête de reconnaissance que de tranquillité. De liberté, en fait. Il me reste de ma carrière de journaliste des cartons entiers de courrier des lecteurs. Que constate-t-on ? Un désarroi immense existe chez les gays. Je suis définitivement vacciné contre toute idéalisation de la vie homosexuelle. J'en reste frappé : la plupart des gays préfèrent passer inaperçus. Ils désirent seulement qu'on les laisse en paix et qu'on ne s'immisce pas dans leur vie privée. Les confidences des gays qui habitent à la campagne sont les plus touchantes : la solitude y est épouvantable.

N'a-t-on pas perdu, dans les années 60 et 70, justement, le sens de la mesure... et de la pudeur ?

En effet, la libération sexuelle a permis plus aisément le coup de canif dans le contrat de mariage , multipliant – on le voit maintenant – les divorces et les familles recomposées. Interdit d'interdire , disaient-ils ! Les ados au pouvoir ! À bas l'autorité, le civisme, la moralité, le respect, la galanterie, ces vieilles contraintes qu'on avait dû subir pendant des siècles...Le résultat : bien des débordements nuisibles à la société.

Finalement, être libéré sexuellement signifie-t-il être libéré tout court?

Non, c'est évident. Qu'est-ce que ça veut dire ? La sexualité n'est qu'un aspect de la personnalité et de l'identité. Un aspect important, certes, mais pas exclusif. Avant d'être homosexuel, un homosexuel est un être humain. On m'a souvent reproché de ne pas avoir fait assez de politique, de ne pas avoir assez milité en faveur de la cause gay. Mais que veulent les gays ? Je reviens à ce que me disaient mes lecteurs : La sexualité n'a rien à voir avec la vie sociale , Demande-t-on aux hétéros ce qu'ils font dans leur lit ? Quant à la Gay Pride : Fier de quoi ? Peut-on être fier d'une particularité sexuelle ? Moi, je ne veux pas d'une société du coming-out.

* Pierre Guénin est peintre, éditeur, journaliste. Il a fondé les éditions SAN (Sport, Art, Nature) en 1967 ; il a créé le magazine Olympe, les revues d'art Hommes, Nous, In, Jean-Paul et Off.

Entretien réalisé par Matthieu Grimpret.

Liquider mai 68 ?

Par Chantal Delsol et Matthieu Grimpret (dir)

Presses de la renaissance, avril 2008, 292 p., 19,95 €.

■ Avec Patrice de Plunkett, Denis Tillinac, Christophe Durand, Jean Sévillia, Jean-Marie Petitclerc, Paul-Marie Coûteaux, Sarah Vajda, Antoine-Joseph Assaf, Jacques Garello, Ludovic Laloux, Elsa Godart, François Grimpret, Jean-Louis Caccomo, Pierre Guénin, Steve Frankel, Michelle d'Astier de La Vigerie, Ioanna Novicki, Dominique Folscheid, Ilios Yannakakis.

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