Philippe de Villiers : « Je suis plein d’espérance »

Philippe de Villiers a quitté la vie politique avec dégoût. Il dévoile dans son nouveau livre, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin Michel), le fonctionnement du système qu’il a combattu pendant vingt ans, formidable machine à effacer la France. Mais les temps ont changé et le mur de Maastricht se désintègre sous nos yeux. Villiers, porté par le souvenir de son ami Alexandre Soljenitsyne, appelle les Français à reprendre leur destin en mains : « Les dissidents étaient à l’Est, prévient-il, ils vont passer à l’Ouest. »

Liberté politique. — Vos trois précédents livres étaient consacrés à de grandes figures du roman national. Quelle a été votre démarche dans ce qu’on pourrait appeler vos mémoires politiques ?

Philippe de Villiers. — J’ai écrit une trilogie sur les grandeurs d’âme de la France : l’esprit de résistance avec Charette, l’esprit de tempérance avec saint Louis et l’esprit de sacrifice avec Jeanne d’Arc. Mon nouveau livre dessine le pont entre l’histoire d’hier et l’histoire de demain.

Celui qui a tissé le lien dans mon esprit entre les deux histoires est le grand dissident Alexandre Soljenitsyne. « Vous êtes dans un gouffre profond, vous les Européens, m’a-t-il dit un jour comme s’il me lançait un appel. Vous vivez une éclipse de l’intelligence. Vous avez la maladie du vide. Vous êtes au dernier état d’épuisement spirituel. Mais un jour, de petites lucioles sortiront de la grande catacombe, portées par des dissidents. »

Je lui ai alors demandé quelle est la définition du dissident. Il m’a répondu que le dissident porte sous le manteau un samizdat, c’est-à-dire une analyse critique du totalitarisme. Il le porte sous une pèlerine parce qu’il est traqué. Mon livre, à travers le prisme très personnel de mes souvenirs, de mes rencontres, de mes combats, est un samizdat à l’adresse de la génération montante des dissidents.

« Les dissidents étaient à l’Est, ils vont passer à l’Ouest » a ajouté Soljenitsyne.

« Entre la médiacaste et l’argent des firmes anationales, les conscrits de Maastricht n’avaient aucune chance. »

Les combats de ceux qu’on a surnommés les mousquetaires de Maastricht ont tous été perdus. Vous avez, plus exactement, remporté la bataille culturelle mais sans traduction politique. Avez-vous sous-estimé vos adversaires ?

Nous avons sous-estimé l’obstacle qui était en face de nous, c’est-à-dire un mur invisible composé des firmes anationales qui, par intérêt, voulaient un marché du désir planétaire, et donc souhaitaient abattre les États, les frontières, les souverainetés, et les gauchistes post-soixante-huitards qui, par idéologie, voulaient fabriquer un homme nomade, sans sexe ni patrie. Les premiers commandaient la publicité dans les journaux, ou étaient capables de la couper, et les seconds occupaient les médias.

C’est cette conjonction formidable et inouïe, celle du libéral-libertaire, que nous avons mis trop de temps à comprendre : le No limit et le No frontier. Entre la médiacaste et l’argent des firmes anationales, nous n’avions aucune chance. Nous ne pouvions même pas compter sur les autorités spirituelles et morales. Considérant les étoiles de la Madone sur le drapeau européen, elles encourageaient la construction de ce mur invisible et bénissaient ainsi cette alliance entre le gauchisme post-soixante-huitard et le mondialisme : la mondialisation heureuse dont parlait Alain Minc.

Ce que vous n’aviez-pas vu, est-ce le phénomène que l’historien et sociologue américain Christopher Lasch a qualifié de sécession mondiale des élites ?

C’est une autre manière de dire la même chose.

Nous sommes dominés par une double classe gigogne.

La première est une classe dirigeante composée des élites mondialisées et qui profite à la fois de l’invasion migratoire et du système des délocalisations pour s’enrichir en installant partout un marché du travail low cost.

Enchâssée dans cette classe dirigeante française, il y a, qui la surplombe, une superclasse invisible mondiale dont les éléments les plus puissants composent la Trilatérale avec un projet idéologique bien précis. Il est exclusivement économique Il répond au souci des grandes firmes anationales de créer un marché planétaire du désir.

Pour ce faire il leur faut transformer les nations en espaces de consommation sans frontières et les citoyens en consommateurs compulsifs, désinhibés, post-névrotiques. Ce que je dis là est la transposition d’études de marketing au service des grandes firmes. Apple part du principe que les couples homosexuels ont un double revenu et pas d’enfants, ainsi résumé : Double income, no kid. Il faut donc les favoriser au détriment des couples hétérosexuels où sont encore trop présents le pater familias et le matriarcat, obstacles à la consommation. Ces mêmes grandes firmes anationales, Google, Microsoft, Goldman Sachs, défilent à la tête de la Gay pride à San Francisco et financent les grandes campagnes, y compris en France, en faveur du mariage homosexuel, en liaison avec la Commission de Bruxelles !

Les « managers » des fraternités cosmiques ont réussi à imposer leur vision du monde, avec les conséquences morales qu’on peut imaginer : après l’avortement et le mariage homosexuel, ce sera bientôt l’euthanasie et le transhumanisme. C’est un mouvement planétaire, planifié par les grandes firmes mondialistes, au service d’une logique purement matérialiste.

« Marie-France Garaud avait tout compris avant tout le monde »

Pendant les débats sur le traité de Maastricht, qui marque une date importante dans la concrétisation du projet que vous décrivez, une femme a tenu un rôle de premier ordre. C’est Marie-France Garaud, l’ancienne conseillère de Georges Pompidou. Vous la qualifiez d’« homme fort de Maastricht ». Quel a été son rôle en 1992 et par la suite ?

Marie-France Garaud a été l’âme de la campagne du référendum de Maastricht. C’est elle qui donnait les feuilles de routes aux conscrits, dont j’étais. Surtout, elle est une femme visionnaire. Elle avait compris, avant tout le monde, le projet que je viens de décrire.

Les maastrichtiens parlaient du « super-État » et les Français, en les écoutant, se disaient : « Un super État c’est un État super, une France démultipliée avec une superindustrie, une superagrioculture, une superdiplomatie, une superfrontière. La France va être remplacée par une supernation qui sera une grande France. » C’est le piège de Maastricht. On nous disait : « Vous préférez à notre grande France votre petite France rance et moisie. »

La réalité du projet de Maastricht était bien différente. Ce qu’ils veulent faire, me disait Marie-France Garaud, c’est détruire les veilles nations mais pas pour en créer une nouvelle à la place. Ils suivent, ajoutait-elle, la feuille de route de Jean Monnet qui a toujours voulu, en tant que salarié de la banque Lazard, un espace sans frontière, sans gouvernement, sans démocratie. Cet espace serait un jour, pensaient les Américains qui concoctaient ce projet, une annexe des États-Unis : la 51e étoile du drapeau américain, un protectorat des États-Unis constitué d’espaces de consommation. Intercontinentaux.

Le traité transatlantique négocié en ce moment s’inscrit dans cette logique. Il vise à établir un seul marché entre les États-Unis et l’Europe avec la fin des appellations protégées et un tribunal arbitral qui permettra de soustraire les grandes entreprises à la tutelle des puissances publiques.

Après Maastricht, Marie-France Garaud a continué à jouer un rôle important. Elle m’a présenté Jimmy Goldsmith, un grand esprit qui m’a beaucoup influencé. C’est lui qui disait : « Le mondialisme, c’est un système dans lequel les pauvres des pays riches subventionnent les riches des pays pauvres. » Marie-France Garaud m’a également soutenu lors de la présidentielle de 1995. Nous nous sommes retrouvés, enfin, quand nous avons composé avec Charles Pasqua notre liste commune aux élections européennes de 1999.

La vie, depuis, nous a éloignés. Mais je conserve une profonde estime envers Marie-France Garaud. Cette femme a le sens des patries charnelles et elle a une vision du monde qui ne la trompe jamais.

« Les Français doutent d’eux même ; ce doute est une corrosion permanente. »

Dans votre livre, vous rapprochez la situation actuelle de celle qu’a connue l’Europe de l’Est sous le joug communiste. Quelles sont les limites de cette comparaison ?

Le drame de notre pays a été très bien décrit dans la conversation que je relate avec Alexandre Soljenitsyne. La Pologne et la Hongrie, me dit-il, ont perdu leur souveraineté ; en revanche, les deux peuples ont préservé leur identité, leur âme. Quand le rideau de fer est tombé, ayant préservé leur identité, ils ont pu se reconstruire.

« Pour vous les Français, ajoutait-il, les choses sont différentes. Vous avez en même temps transféré votre souveraineté à Bruxelles, Genève, Francfort et affaibli votre identité avec l’infusion du multiculturalisme. » Ceci engendre deux conséquences. Premièrement, la France est aujourd’hui submergée à l’extérieur et elle n’a plus les manettes pour faire face à cette submersion. Deuxièmement, elle est effondrée à l’intérieur. Les coups de boutoirs de Bernard-Henri Lévy, d’Alain Minc, de Jacques Attali et de tous ceux qui détestaient la France ont atteint leur but. Ils nous ont tellement ressassé : « Ayez honte de vous-même, ayez honte de vos ancêtres » que la France a fini par s’ignorer elle-même, et par se considérer, à leur invitation, comme une tache ignominieuse sur la carte métaphysique des points précieux de la planète.

Quand on écoute SOS-Racisme, la France d’avant la Révolution française relève d’un passé abject et doit être rejetée. Mais la France d’après la Révolution n’est guère mieux lotie. Elle a manqué, nous dit-on, au droit-de-l’hommisme élémentaire avec la colonisation, avec ceux que l’on appelle les terroristes en Indochine, c’est-à-dire nos soldats morts à Diên Biên Phu, et bien sûr avec les collabos dans une France considérée comme crypto-nazie.

La France a perdu sa fierté. Et les Français doutent d’eux-mêmes. Ce doute est une corrosion mortifère.

« La France n’a pas vocation à devenir la fille aînée de l’islam »

Comme la France a perdu sa fierté, l’islam en tire avantage. Quel est le rapport de la classe politique à cette religion dont vous n’avez pas peur de dire qu’elle est conquérante par définition ?

C’est un rapport de triple soumission.

Au projet de l’islam, d’abord. La France fait partie du dar el-Harb c’est-à-dire de la maison de la guerre. Celle-ci a vocation à rentrer dans le dar el-Islam : la demeure de l’islam.

Deuxièmement, Boumédiène nous avait prévenus, l’enfantement est le djihad des femmes. C’est la guerre des ventres. Elle est commencée et presque gagnée par les islamistes. Une naissance sur deux en Île-de-France est une naissance musulmane.

Enfin, j’observe cette soumission à l’esprit de dhimmitude de notre classe politique. Elle se sent battue avant d’avoir combattu. Elle est fascinée par le vainqueur, comme si elle était atteinte du syndrome de Stockholm.  Quand je vois Nicolas Sarkozy courir à la Mosquée de Paris pour rompre le jeûne, je me dis qu’il ignore la condition des Chrétiens d’Orient et qu’il ne sait pas ce qu’est le statut de la dhimmitude !

Tous ces dhimmis, qui sont en fait des collabos puisqu’ils participent à l’islamisation de la France, nous ont vendu un raisonnement redoutable d’efficacité dans ses apparences.  Ils nous ont dit : « Il y a l’islam modéré et il y a l’islam radical. » Ce qui est une aberration totale. Il y a des musulmans modérés mais il n’y a qu’un seul islam. « L’islam modéré est dans les mosquées, poursuivaient ces dhimmis, l’islam radical dans les caves. Il faut sortir l’islam des caves et donc construire des mosquées pour détruire l’islam radical. » Gauche et droite ont multiplié au nom de la laïcité les manœuvres pour construire des mosquées.

Pourtant, les services de renseignement français ne cessent de dire que les musulmans qui ont frappé ou qui vont frapper en France ont trouvé leurs armes psychologiques dans les mosquées en écoutant les prêches de feu des imams. Il y a en France une centaine de mosquées salafistes.

La France n’a pas vocation à devenir la fille aînée de l’islam. Malheureusement, je pense que nous n’éviterons pas la confrontation. Puis il y aura une Reconquista.

« C’est toujours dans les périodes troubles où tout est perdu que la France s’est retrouvée et s’est redressée. »

Malgré l’horizon noir que vous décrivez, la conclusion de votre livre se termine sur un message d’espoir. Quelles sont les raisons d’espérer ?

Mon livre explique comment le fil rouge passe dans la trame et défait la trame. Comment peut-on refaire la trame ? Tout s’est dénoué au cours d’une conversation avec Alexandre Soljenitsyne. Il m’a dit : quand le mur de Berlin est tombé, nous avons eu le droit de fêter nos retrouvailles avec nos grandeurs spirituelles et patriotiques. À partir de cet instant, tout a changé. On pouvait reconstruire. Et il a ajouté : ce sera pareil pour vous.

Je suis plein d’espérance parce que le mur de Maastricht va tomber. Il avait tout pétrifié : l’histoire et mêmes les pensées. On ne pouvait plus penser la nation, la patrie, les racines, les valeurs morales, l’identité. Le rêve de la fusion des nations des élites postnationales s’est évanoui dans le cœur des peuples, il s’est désintégré parce qu’il était tramé dans un tissu de mensonges. Schengen est mort avec Angela Merkel à la suite de l’afflux des réfugiés. L’euro est mort avec Alexis Tsipras. Les Anglais s’apprêtent à sonner le branle-bas pour retrouver leur insularité.

Mais le plus frappant, c’est ce qui se passe du côté de l’Europe orientale. On nous avait dit : « La monnaie unique prépare la convergence culturelle », raisonnement marxiste selon lequel ce sont les infrastructures qui créent les superstructures, comme si c’était la valeur ajoutée qui créait la valeur. Or on a maintenant deux Europe. Une qui ne veut pas fermer la porte à Dieu pour faire entrer Allah. Et une autre qui est déjà toute prosternée dans une posture de dhimmitude. Elle préfère faire venir chez nous des musulmans que des chrétiens à qui on refuse un visa.

Je tire aussi mon espérance du souvenir de La Manif pour tous. Deux millions de Français se sont déplacés pour un combat qui recèle une dimension spirituelle et morale. Ce que les Français ont fait pour la famille, ils le feront pour la famille des familles, c’es-à-dire la nation. Il faudra sans doute pour cela des incidents très graves, voire un début de guerre civile. Je ne la souhaite évidemment pas mais l’éventualité devient aujourd’hui une probabilité.

C’est toujours dans les périodes troubles où tout est perdu que la France s’est retrouvée et s’est redressée. Sous Jeanne d’Arc, tout le monde était bourguignon comme aujourd’hui tout le monde est islamophile.

Les Français ouvriront les yeux et auront à cœur de retrouver l’âme de la France. Gesta dei per Francos.

 

Propos recueillis par Laurent Ottavi.

 

Villiers-Une

Philippe de Villiers
 Le moment est venu de dire ce que j’ai vu
 Albin Michel, 2015
 352 pages, 21,50 €

 

 

Voir aussi :
Laurent Ottavi : Les mémoires d'un mousquetaire de Maastricht

Photo : BFMTV

 

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