La Lettre d'information du CIRAD, organisme français de recherche sur le monde tropical, annonce la tenue, au mois de septembre prochain d'une journée d'étude consacrée aux processus d'appropriation foncière des terres agricoles au Sud . Ce n'est pas un phénomène nouveau , explique le chercheur Jean-Philippe Tonneau.

Depuis la colonisation, les concessions à des groupes ou des particuliers de terres, l'achat ou la prise en location de terres agricoles en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie sont courants. Ce qui change aujourd'hui, c'est l'ampleur du phénomène, l'apparition de nouveaux acteurs et la médiatisation plus grande de ces processus.

Le mouvement est rapide, accéléré par les inquiétudes provoquées par la crise des prix alimentaires de l'an passé. Les principaux acquéreurs (il s'agit le plus souvent de locations ou de concessions) sont la Chine et la Corée du Sud, suivies de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes-unis.

La Chine est vaste mais ses disponibilités en terres agricoles lui semblent insuffisantes. Les autres pays ont de très faibles ressources en foncier agricole et veulent se procurer ainsi des garanties d'approvisionnement. Les terres convoitées se situent principalement en Afrique mais aussi en Asie. Ainsi, la Chine exploiterait 1,2 million d'hectares aux Philippines et aurait acquis récemment 2,8 millions d'hectares en République démocratique du Congo. Au total, ces transactions concerneraient 15 à 20 millions d'hectares, principalement en Afrique.
L'insuffisance en terre n'est pas le seul moteur de ce mouvement : les contraintes environnementales de plus en plus sévères poussent certains producteurs à expatrier une partie de leur activité à l'étranger. Des éleveurs bretons développent leur production de porcs ou de poulets au Maroc ou au Brésil...
Que deviennent alors les populations locales ? Les opérations de grande envergure sont négociées avec les États selon des modèles semblables à ceux qui régissent les exploitations pétrolières ou minières sans que les dirigeants s'inquiètent beaucoup du sort de leurs compatriotes. Bien sûr, il y aura des créations d'emplois mais il est fort probable que l'installation des nouveaux occupants se fera sans grande considération pour les traditions locales d'utilisation du sol et la production des nouvelles exploitations sera d'abord destinée aux pays investisseurs.
La légitimité de ces occupations est-elle contestable ?
La question n'est pas nouvelle. Elle s'est posée en Espagne au XVIe siècle à propos de l'Amérique. Elle a été sujet de débat pendant la période coloniale, au siècle dernier. Dans son histoire de l'idée coloniale en France [1], Raoul Girardet  a rappelé l'argumentation du père Délos aux Semaines sociales de Marseille en 1931 :

Nul peuple ne peut, sous prétexte qu'il est le premier occupant et qu'il s'est approprié une portion des biens de la terre, se fermer aux concours extérieurs qui s'offrent pour activer l'exploitation des ressources naturelles, mettre en valeur les terres incultes, accroître par les progrès techniques la productivité générale. Apporter ce concours est un droit humain, fondé sur la destination universelle des droits humains.

Un peu plus loin, l'historien citait Albert Sarrault, vieux radical du Sud-Ouest : La colonisation doit prendre en charge la mise en valeur, la mise en circulation des ressources que des possesseurs débiles détenaient sans profit pour eux-mêmes et pour tous. Mais ce devoir de colonisation entraîne une contrepartie : Agir en premier lieu pour le bien du colonisé .
C'est sur ce point que l'on jugera de la légitimité de cette néo-colonisation .
[1] Raoul Girardet, L'Idée coloniale en France de 1871 à 1962, Pluriel, Paris, 1978.
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