Morts pour la France, le 13 novembre 2015

Hommage rendu aux victimes des attentats du 13 novembre, lors du rassemblement des Veilleurs, Paris, place de la République, 24 novembre. Les morts de Paris ont été tués parce qu'ils étaient français. « Ils sont morts pour la France, soyons leurs fidèles à la hauteur de la France. »

RENDONS HOMMAGE aux cent trente morts des attentats du 13 novembre.

Quelle est la nature exacte de notre hommage ? S’agit-il de saluer des innocents qui ont eu la malchance d’être au mauvais endroit au mauvais moment ? Ou de commémorer les victimes d’une organisation politico-religieuse qui nous fait horreur ? L’un et l’autre sont justifiés mais ils sont insuffisants. Ces morts méritent un hommage de nature plus élevée encore. Si l’on y réfléchit bien, ils sont morts pour la France.

Ce n’est pas une interprétation personnelle que je vous présente. C’est Daech lui-même qui le proclame : dans son communiqué de revendication, il affirme qu’il a visé Paris parce que notre ville est le cœur de « la terre des croisés » et « la capitale de la perversion », c’est-à-dire de la liberté. Les croisades et la Révolution : c’est pour ces deux raisons que, sans le savoir, cent trente hommes et femmes ont été fauchés.

À la hauteur de la France

En lisant le communiqué de Daech, une phrase de l’historien Marc Bloch m’est revenue à l’esprit. Je vous la cite : « Celui qui ne vibre pas également au récit des Croisades et au souvenir de la Révolution ne peut pas comprendre la France. » Il ne s’agit pas d’une formule d’intellectuel. Marc Bloch, engagé volontaire en 1939 malgré ses 53 ans et une santé faible, puis combattant de la Résistance, a donné sa vie pour la France dont il parle : les Allemands l’ont capturé puis fusillé en 1944. Il a le droit d’être pris au sérieux.

Le véritable hommage que nous devons rendre aux morts du 13 novembre, c’est donc de nous hausser jusqu’à cette France idéale que Daech a visée et de répondre à l’épreuve comme elle nous commande de le faire.

Qu’est-ce que cette exigence signifie en pratique ? Avec le prétendu « État islamique », nous sommes face aux problèmes complexes que nous posent la Syrie, l’Irak, la Turquie, l’Arabie saoudite et d’autres États encore avec leurs fractures ethniques, leurs passions religieuses et leurs rivalités politiques. Quelle conduite devons-nous suivre ?

L’histoire est pour nous un guide précieux. Depuis près de mille ans, la France a beaucoup donné aux affaires d’Orient. De saint Louis à Charles de Gaulle en passant par Lyautey, et du Père Joseph aux moines de Tibérine en passant par Charles de Foucault, les meilleurs de ses fils ont forgé une doctrine à la fois politique et spirituelle qui a frappé les esprits et gagné les cœurs de tous les Orientaux et qui lui a acquis un prestige qu’aucune autre puissance occidentale n’a jamais atteint.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de ce trésor pour traiter les problèmes concrets et brûlants d’aujourd’hui ? Je me limiterai aux deux plus importantes.

Défendre les droits des chrétiens d’Orient

La première, c’est que la France doit continuer à défendre les droits des chrétiens d’Orient. Elle l’a fait de façon efficace depuis le XVIIe siècle sans interruption jusqu’à nos jours. Elle n’a cessé d’envoyer ses diplomates, ses religieux, ses enseignants et même dans des cas extrêmes, ses soldats pour rendre vie et espoir à des communautés chrétiennes isolées, démoralisées et écrasées sous le poids de l’islam. Elle les a remis en contact avec l’universalité du christianisme et avec le vent vivifiant du progrès humain.

Ce n’est pas un hasard si la quasi-totalité du clergé d’Orient, évêques en tête, réfléchit, lit et s’exprime dans notre langue. Ce n’est pas un hasard non plus si deux cent mille jeunes Arabes font aujourd’hui leurs études en français dans les établissements que nos ancêtres ont fondés. Ce n’est pas un hasard enfin si les appels de détresse que lancent en ce moment les chrétiens d’Irak et de Syrie sont rédigés en français et adressés d’abord à notre pays. Nous serions infidèles à la France si nous nous dérobions à notre action historique, étant entendu qu’elle doit être adaptée aux circonstances présentes.

Respecter les musulmans avec indépendance

Défendre les droits des chrétiens en Orient n’a jamais été compris par la France comme une opposition aux musulmans. Bien au contraire. Ses représentants véridiques ont tenu à montrer l’estime qu’ils portaient à l’islam. Ils ont veillé à ce que la dignité des musulmans ne soit blessée ni par notre action ni par celle d’autres puissances. Ce fut le cas pour la dernière fois en 2003 lorsque notre gouvernement refusa d’associer la France à l’attaque de l’Irak par les Anglo-saxons.

Nous devons continuer d’observer cette doctrine faite de prudence, de courage et d’esprit chevaleresque. Elle a pour corollaire un refus absolu de nous mêler des querelles qui opposent les factions de l’islam entre elles. Quand il était en Orient, saint Louis avait été sollicité par des chefs musulmans pour s’allier avec eux contre d’autres chefs musulmans et en recevoir des avantages substantiels. Il n’avait pas cédé à cette dangereuse tentation.

Comme l’histoire se répète volontiers, il avait aussi été menacé d’assassinats ciblés sur son entourage par une secte violente qui essayait d’établir un nouveau califat. Sa droiture ferme et tranquille avait tant impressionné les émissaires du prétendu calife qu’ils étaient repartis en lui offrant des cadeaux en guise d’excuses. Puissent nos dirigeants s’inspirer de son exemple ! Ils ont eu l’imprudence de s’ingérer dans les conflits politico-religieux qui ravagent en ce moment la Syrie et l’Irak. Les voici maintenant attirés par une escalade de violence et de contrainte dont notre pays ne peut tirer ni profit ni gloire. Il est urgent qu’ils se ressaisissent.

Puisque c’est pour la France que des innocents ont été tués, le plus bel hommage que nous puissions leur rendre, c’est de lui être fidèle.

 

Michel Pinton  

 

 

***