"On est en finale !" Derrière les coups de klaxons et les hurlements triomphalistes qui ont marqué la qualification de l'équipe de France de football pour l'ultime match de Zinedine Zidane, quel sens donner au succès populaire de la Coupe du monde ? Faut-il faire la fine-bouche ou ressortir le drapeau national : je plaide pour la seconde solution, osant pousser un cocorico cocardier sans craindre le ridicule.

Car, sans fermer les yeux sur des dérives à dénoncer (violence dans les stades, tricheries, scandale de la prostitution collatérale...), sans occulter non-plus les tristes accidents et débordements que provoquent les grands mouvements de foule, n'y a-t-il pas quelque chose à redécouvrir ?

Un match de l'équipe de France a marqué en ce sens les esprits : le France-Brésil en quart de finale. Il planait sur cette confrontation une atmosphère propre à réconcilier avec le sport planétaire — ses stars gavées d'euros et ses affaires à rebondissement — nombre de détracteurs. Partenaires dans plusieurs clubs d'Europe, les footballeurs des deux camps sont restés détendus, malgré l'enjeu, à l'image d'un Zidane tout sourire, manifestant de multiples signes d'amitié en direction des Brésiliens. Ces derniers eurent eux-mêmes la défaite noble et digne, alors qu'au pays des rois du football, on sait qu'elle constitue un drame national. Dès le coup de sifflet final, le "roi" Pelé en personne gratifiait le meneur de jeu français du titre de "magicien du match".

Tout avait mal commencé

En France tout avait mal pourtant commencé : résultats en demi-teinte, sélectionneur vilipendé par la presse, supporters désenchantés. Un dirigeant politique eut même le mauvais goût de critiquer la couleur dominante de l'équipe hexagonale en pleine déconfiture. Thuram, le courageux guadeloupéen, dut sortir le grand jeu, rétorquant par un tacle en forme de cours d'histoire de France : nos Antilles furent françaises avant Nice. On n'ose imaginer jusqu'où seraient descendus certains règlements de compte si la campagne des Bleus en Allemagne s'était soldée par un cuisant échec, tant le "malheur aux vaincus !" peut être cruel.

Mais comme en 1998, le revirement a été sans complexe. Tout à la joie de la victoire, de nombreux commentateurs ont reconnu leur erreur et font publiquement leur mea culpa pour avoir mal jugé Raymond Domenech. Belle et rare leçon d'humilité. Hommage au président de la Fédération française de football, Jean-Pierre Escalette, qui, lui, avait su garder sa confiance au sélectionneur lorsqu'une élimination prématurée était dans toutes les têtes. Il contestait alors que ce qui demeure un jeu puisse prendre dans le débat national "une place exagérée".

Que faut-il alors penser des manifestations d'enthousiasme collectif qui ont fait place à celles de dépit ?

Une joie authentique

En 1998, on avait loué la France "black-blanc-beur" d'une façon incantatoire, comme si la victoire était celle de notre politique d'intégration. Les émeutes de l'hiver dernier nous ont ramené à la réalité. Et les fêtes concluant les derniers matchs, ternies par de graves répliques de ces violences urbaines, n'ont fait que confirmer le constat. Mais faudrait-il pour autant négliger le sens de ces moments de "communion" — le mot est osé — qui donnent à des personnes différentes la chance d'échanger avec la même spontanéité sur un sujet qui les relie ? Les rues des villes changent d'atmosphère : on se regarde, on se parle, on fraternise enfin.

Que signifie le fait de reprendre en chœur la Marseillaise ou d'agiter le drapeau bleu, blanc, rouge, si ce n'est pour manifester son attachement à la France ? Certes, il faut remettre à sa place l'enjeu d'un match, au regard de réalités beaucoup plus graves de la vie. Mais pourquoi bouder ce plaisir d'une fierté nationale se nourrissant d'un esprit d'enfance inoffensif, voire bienfaisant ? Faudrait-il ne fêter son pays qu'à l'occasion de victoires militaires ? Pourquoi ne pas reconnaitre qu'une joie authentique peut naître de réalités insignifiantes, à partir du moment où elles sont humaines et partagées ?

Repères partagés

Sur le plan français, la coupe du monde a provoqué une soudaine trêve dans le ratiocinage pleurnicheur et même la bagarre politique. L'union sacrée autour d'un sport devient soudain plus impérieuse que la lutte pour le pouvoir : saine détente. Derrière le retour en jambe des vieux grognards, c'est aussi une leçon de persévérance et d'optimisme qui est donnée à la nation. Et un pied de nez au jeunisme.

Sur le plan international, le football — sport le plus "mondialisé" — est source de fraternisation. Dans les tribunes des stades allemands, les drapeaux se côtoient joyeusement sans s'affronter. Notons que chaque équipe joue encore avec les talents propres à sa culture : "folie" brésilienne, "discipline" allemande, "fighting-spirit" anglais... Pour une fois — ou pour le moment — les États-Unis ne dominent pas, et à chaque grande compétition on découvre de nouveaux pays, parfois microscopiques, avec leurs spécificités. L'explosion de l'URSS puis des Balkans a même fait naître de multiples équipes nationales... En ce qui concerne l'Europe, ni sa construction, ni l'internationalisation de ses clubs, n'ont porté atteinte au patriotisme sportif. Il sert peut-être d'exutoire à une agressivité qui trouve ainsi à s'exprimer innocemment. Pourquoi ne témoignerait-il pas d'un légitime amour de sa nation, cette "communauté de destin" qui nous structure ?

Quant à la famille, cellule de base de la société, le football peut être une belle occasion d'échanges ludiques quoique passionnés entre parents et enfants (pères et fils principalement). De cet évènement peut naître de salutaires complicités dont ils se souviendront en des temps moins consensuels. Il faut entendre les témoins d'anciennes épopées sportives (Ah ! ce France - Brésil 1986...) pour mesurer la valeur des souvenirs communs. Débattre en famille d'un jeu, avec ses règles (et ses sanctions), ses valeurs (et son honneur), ses exigences de préparation, de loyauté et d'engagement, son histoire et ses héros, n'est-ce pas une façon de montrer qu'il n'y a pas de vie sociale sans repères partagés ?

Pour ceux qui trouveraient toutes ces réflexions bien peu catholiques, ajoutons que le tout nouveau secrétaire d'État du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone, a avoué sa passion... pour le football. Allez les Bleus ! Et que la meilleure équipe — la nôtre — gagne...

*Tugdual Derville est délégué général ,de l'Alliance pour les droits de la vie.

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