Mistral : Hollande joue ce qui lui reste de légitimité

Le président François Hollande devait décider fin novembre s'il livrera les Mistral à la Russie, la décision peut-être la plus importante de son mandat. Il ne l'a pas fait. Ouf ! Au gré de ceux qui l'ont vu à l'œuvre en Corrèze, décider est qu'il il déteste le plus !

Les données du problème sont connues. La France a déjà reporté la livraison de ce bâtiment prévue en août. La Russie pourrait, en cas de retard, tenir le contrat pour caduc : il faudrait alors rembourser le prix des deux porte-hélicoptères, plus d'un milliard d'euros, et verser les lourdes pénalités que prévoit le droit international en cas de défaillance.

Mais de l'autre côté, la France est soumise à une très forte pression des États-Unis et de certains de ses partenaires (Royaume-Uni et Allemagne en particulier) pour ne pas les livrer en raison de la tension qui règne entre l'OTAN et la Russie et en cohérence avec la politique de sanctions.

Le 51e État américain

S'il exécute le contrat, François Hollande, dont l'alignement atlantiste a été jusqu'ici sans faille (plus encore plus que celui de Sarkozy qui avait signé le contrat), se trouvera livré à la vindicte d'alliés particulièrement remontés. Ce fort en thème perdrait son rang de meilleur élève de la classe atlantique qu'on lui reconnait aujourd'hui à Washington.

S'il renonce à l'exécuter, et il suffirait sans doute du moindre regain de tension en Ukraine pour lui offrir un alibi, non seulement la France, dont l'économie est déjà affaiblie, aura à en payer le prix, mais elle apparaîtra comme un partenaire peu fiable, ce qui ruinerait toute perspective de vendre des armes ailleurs et mettrait en particulier en péril le marché en négociation de 126 Rafale à l'Inde.

L'énorme marché d'Alstom sur le transsibérien serait également plombé. Pire : son inféodation aux États-Unis apparaitrait de la manière la plus fragrante à la face du monde. Qui serait alors intéressé à traiter avec un pays qui, encore plus que la Grande-Bretagne, apparaîtrait comme le 51e État des États-Unis ? La France subirait une dégradation de sa note diplomatique aux conséquences au moins aussi lourdes à terme que celle de sa note économique par les agences de notation.

Cet alignement apparaîtrait d'autant plus humiliant que, n'en doutons pas, il irait dans le sens des vrais desseins des États-Unis et de nos partenaires, qui ne sont pas d'abord en l'espèce d'affaiblir la Russie (le marché en cause n'est pas si stratégique qu'on le prétend !) mais la France. Le Royaume-Uni cache à peine sa jalousie de ne pas avoir bénéficié d'un tel marché. L'Allemagne trouve amer, au moment où on l’oblige à prendre malgré elle des sanctions lourdes à l'égard de la Russie, partenaire commercial essentiel, qu'au même moment la France livre à ce pays du matériel militaire.

D'autres pays européens, contraints eux aussi aux sanctions, ne pensent pas différemment. Les États-Unis n'ont jamais accepté que la France demeure, malgré le rabotage continu de ses crédits de défense, une puissance militaire capable de lui faire de temps à autre concurrence sur le marché de l'armement. Tous triompheraient sans nul doute de voir notre pays rentrer dans le rang. Les Américains auraient en sus le bénéfice d'enfoncer un coin définitif entre la Russie et la France au moment où les Français se rappellent de plus en plus qu'elle est notre partenaire historique. C'est parce qu'il est très conscient de cette donnée que Poutine est patient. La rumeur a couru qu'il avait fixé un ultime délai au 30 novembre ; cela a été démenti.

La légitimité se gagne à l'international

Mais le sentiment d'inféodation que donnerait la renonciation aurait aussi des conséquences très lourdes pour François Hollande sur le plan intérieur.

Il s'attirerait ainsi la rancune et le mépris des centaines d'ouvriers des chantiers navals de Saint-Nazaire à l'œuvre depuis plusieurs années pour exécuter ce marché, dont ils sont fiers. Mais, par effet de proximité, c'est sans doute tout l’Ouest, la plus récente des conquêtes du Parti socialiste qui se détourerait définitivement de ce parti.

Même si les sondages ne le disent pas, car ces phénomènes ne sont pas toujours conscients, le ressort le plus profond de la légitimité se trouve dans la sphère internationale. De Gaulle le savait le 18 juin 1940 : il était libre, le maréchal ne l'était pas ; lui seul pouvait dès lors parler au nom de la France. Même pour ceux qui trouvaient bonnes les réformes du régime de Vichy (il y en avait !), Pétain restait, comme le dit Gaston Fessard, le « prince esclave ».

Le prince esclave

Le contraire de ce qu'était alors l'alignement sur l'Allemagne, ce n'est pas l'alignement sur les Anglo-Saxons, c'est l'indépendance !

De nombreux exemples montrent le lien entre politique internationale et légitimité. En France, la Commune a suivi la défaite de 1870 ; en Russie, les révolutions de 1905 et celle de 1917, voire celle de 1990, suivirent de graves revers militaires.

Il y a sans nul doute un rapport profond entre le discrédit général de la classe politique en Europe occidentale et la soumission de la plupart des gouvernements aux États-Unis.

Si malgré les difficultés économiques de son pays, Poutine jouit aujourd'hui d'un taux de popularité de 85 % (à comparer aux 15 % de Hollande), c'est parce que les Russes ont le sentiment qu'il défend la Russie.

Ces 15% ne sont pas un socle incompressible : s'il ne livrait pas les Mistral, Hollande tomberait encore plus bas. La véhémence d'un Mélenchon, très remonté par cette affaire, trouverait beaucoup d'échos à gauche.

Et tout pourrait alors arriver. Si Hollande décidait de ne pas honorer la commande russe, on peut penser qu'il aurait accepté le risque de ne pas terminer son mandat.

R. H.

 

 

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