Voici le texte de l'intervention de S.E. Mgr Jean-Louis Tauran, secrétaire pour les Relations du Saint-Siège avec les États, lors de la rencontre organisée par le Centre international de Communion et Libération, à Rome, le lundi 13 mai 2002.

Traduction Décryptage.

 

[Rome] En Europe, l'Église se sent chez elle ! Je crois qu'il y a des raisons et des motifs valables pour affirmer cela.

Historiques, d'abord. À l'époque moderne, le terme " Europe " a été employé la première fois par le pape Nicolas V (1447-1455), l'année de la chute de Constantinople. Auparavant, l'expression courante était " la chrétienté ", mais devant la menace ottomane et l'expansion de l'islam, l'union des forces s'imposait et devenait urgente. Ainsi, la papauté eut recours à l'expression unificatrice d'" Europe ", terme alors tombé en désuétude depuis des siècles, pour désigner de manière unitaire la partie occidentale de l'Hellespont (ancien nom des Dardanelles, Ndlr).

Puisque nous nous trouvons à Rome, je voudrais rappeler que le premier auteur de ce que nous appelons aujourd'hui le " plan européen " ne fut autre que Dante Alighieri. Il a 46 ans et il vient de terminer la rédaction de l'Enfer de sa Divine Comédie lorsqu'il affirme que la cause de nos mésaventures, c'est que nous sommes un " monstre " à sept têtes, bien loin de la pax romana, regret d'un passé révolu. Le poète en arrive ainsi à souhaiter un souverain unique pour tous les peuples du continent : un souverain puissant et supérieur, arbitre des litiges, et qui devra respecter la nécessaire diversité des peuples et des coutumes.

L'Église se sent chez elle en Europe aussi pour une autre raison plus objective : elle a inspiré et modélisé les institutions de l'Europe. Jean-Paul II, citant son prédécesseur Paul VI, rappela que l'Europe est née de la Croix, du livre et de la charrue. Il ne sera pas difficile de reconnaître la grande contribution offerte par les monastères et par la vie monastique, bénédictine en particulier, sur le plan spirituel, culturel, et économique.

Jean-Paul II se plaît à rappeler que les grandes dates de la fondation des nations européennes coïncident avec celles de leur baptême chrétien. Pour le souverain pontife, il s'agit " d'un processus pluriséculaire, continuel et fécond, qui a imprégné l'Europe de la lymphe chrétienne " (11 octobre 1985).

Ainsi, si l'Église se sent chez elle en Europe, elle attend tout autant que lui soit reconnue – si je puis dire – la citoyenneté européenne. Devant certaines tentatives de " privatiser " les Églises, le Saint-Siège a toujours revendiqué la possibilité de participer, de manière constructive, au dialogue public de la société européenne. De ce fait, dans la perspective de la Convention européenne, il est important que les Églises puissent être entendues, du moment qu'elles peuvent proposer des valeurs sans lesquelles l'homme risquerait de boiter sur son chemin vers l'unité européenne. Les valeurs sur lesquelles une communauté se fonde transcendent les décisions contingentes de la politique et des lois, elles sont en fait la source de laquelle découlent les droits fondamentaux. Nous pensons donc qu'un texte constitutif et impliquant l'ensemble des citoyens de l'Union européenne doit reconnaître les sources desquelles proviennent les valeurs qui les ont inspirés, " de la part de ceux qui croient en Dieu comme source de vérité, de justice et de beauté, comme de ceux qui ne partagent pas une telle foi, mais respectent ces valeurs provenant d'autres sources, comme étant universelles ", comme le dit la constitution de la République de Pologne.

Les Églises s'attendent à être reconnues juridiquement de manière à éviter l'arbitraire des options politiques du moment. Se sentant pris à juste titre en considération, leurs fidèles seront plus enclins à collaborer aux projets de solidarité et d'intégration qui devraient caractériser l'Europe de demain. En ce sens, je voudrais rappeler le travail quotidien réalisé sur le plan diplomatique par la nonciature apostolique auprès des communautés européennes à Bruxelles et, de manière plus directe, par la Commission des épiscopats des communautés européennes (COMECE), en contact avec les responsables politiques locaux.

Devant les grands défis qui attendent l'Europe et dans la mémoire des tragédies d'hier, l'Église cherche, maintenant, un espace religieux au cœur des cultures nouvelles, puisque – comme le disait Jean-Paul II – " le patrimoine chrétien est toujours actif et toujours créateur de culture " (21 avril 1986). Le Pape actuel, né au cœur d'une Europe dévastée par la Première Guerre mondiale, jeune étudiant au cours du second conflit mondial, prêtre puis évêque dans une Europe divisée, voit aujourd'hui son pontificat dans le contexte d'une Europe unie et en expansion. Pour cette raison, il est convaincu que cette nouvelle Europe a besoin d'une âme et pour cela, il défend les droits de l'homme, à commencer par le principal, celui du droit à la vie. Mais de la même manière, il se fait le défenseur de la dimension transcendante de l'homme, qui ne peut jamais être réduit à son seul caractère factuel.

Avant de conclure, je voudrais dire que l'Église se charge de la transcendance de l'esprit à diffuser dans le monde et doit toujours pouvoir parler de Dieu à tous les hommes. Personne ne doit s'étonner de cette prétention ! Il ne peut pas y avoir une " Église du silence " : ce serait un contresens !

En 1941, le ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich, Joachim von Ribbentrop, prophétisait avec certitude qu'" il n'y aurait plus de place pour le pape dans la nouvelle Europe ". L'histoire constate, et nous aussi, l'erreur d'une semblable affirmation ! Mais le pape d'aujourd'hui demande que dans l'Europe de demain il y ait encore une place pour Dieu.

© TRAD. DANIEL JALADE, POUR DECRYPTAGE