Mali

Au Mali, les choses évoluent très vite. François Martin décrypte les derniers événements.

Comme nous le pensions [1], les diplomates algériens ont, semble-t-il, déjà été libérés [2]. Cette libération permet plusieurs hypothèses. Première hypothèse, tous les « associés » de cette affaire (MNLA, Ansar Dine, AQMI) ont parfaitement compris le danger d’une terrible punition collective infligée par l’Algérie. Seconde possibilité, les associés comme l’écrit Bernard Lugan [3], font en réalité partie commune pour « enfumer » leurs contreparties internationales, afin de faire passer les revendications du MNLA pour plus acceptables. Enfin, dernière probabilité, toute l’opération est montée avec les algériens eux-mêmes, afin de camoufler le fait qu’ils soutiennent la rébellion touarègue si l’on en croit la remarque fort pertinente d’un des lecteurs de l’article d’Al Watan [4].

L’exfiltration sans difficulté, à Gao, de l’humanitaire française par le MNLA [5] tend à confirmer ces thèses.

Quoi qu’il en soit, on se trouve maintenant devant une situation qui, sans être pour l’instant totalement clivée, se clarifie assez sensiblement :

  • Le MNLA « tient » sur sa revendication « modérée » concernant l’Azawad, et semble en mesure de contrôler ses partenaires, soit pour restituer ou exfiltrer les otages, soit pour contrer les velléités maximalistes d’extension du conflit vers le sud et Bamako.
  • Sans l’appui du MNLA, les islamistes d’Ansar Sine et d’AQMI ne semblent être en mesure, ni d’imposer leur volonté ni d’aller prendre le pouvoir malien déliquescent
  • A Bamako aussi, les choses sont maintenant plus simples. La junte au pouvoir à la suite du coup d’Etat a accepté de rendre celui-ci aux civils, contre la démission de l’incapable président ATT [6]
  • La CDEAO [7] accepte cette démission, qui s’accompagne d’une amnistie accordée aux putschistes, et lève les sanctions contre le Mali. La face des chefs d’Etats africains et la légalité sont sauves, à défaut d’un règlement des problèmes.

Et justement, comment le conflit peut-il se régler ? Quelles perspectives sont-elles ouvertes ?

D’abord, il faut compter, et Bernard Lugan ne cesse de le dire, avec le nouveau pouvoir du MNLA. On ne peut en effet feindre d’ignorer cette entité, et vouloir en revenir au statu quo ante, ne serait-ce que parce que l’on multiplierait tous les inconvénients : ce serait une folie de laisser au nord d’un Mali démocratique et corrompu, sans force militaire ni politique, une plaie purulente, alimentant tous les trafics, ceux du MNLA et  de ses alliés. De plus, on ne manquerait pas, ce faisant, d’ouvrir grand la porte à une alliance entre ce parti et l’Algérie [8], qui se précipitera pour remplir ainsi le vide politique laissé par Kadhafi [9]. Elle a probablement déjà commencé.

Par contre, reconnaître les revendications du MNLA et accepter, même après une période transitoire, la création d’un Etat touareg, aurait de nombreux avantages :

  • s’en servir [10] pour contrôler, sinon éradiquer, les groupes islamistes et djihadistes de toutes sortes. En faire ainsi, possiblement, un « gendarme » et une force de stabilité remarquable, en plein cœur de l’instabilité saharienne,
  • négocier, contre cette reconnaissance, une garantie contre le trafic de la drogue [11],
  • couper l’herbe sous les pieds des algériens, et nous positionner comme la force d’influence saharienne, renforçant par la même occasion notre pouvoir d’influence sur tous les régimes sub-sahariens…

Mais les inconvénients ne seraient pas mineurs :

  • si nous acceptons cette « novation », que serait la fin du dogme de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation ? Que va-t-il se passer ? Comment nos partenaires africains le prendront-ils ?
  • par ailleurs, n’ouvrons-nous pas aussi la porte à toutes les revendications ethniques sahariennes et, au-delà, africaines ? Où nous emmènerait l’ouverture de cette boîte de Pandore ?
  • Enfin, comment assurer la viabilité d’un état n’ayant pour toutes ressources que du soleil, du sable et des chameaux ?

Entre la pagaille saharienne, conséquence certaine d’un rêve naïf de retour au statu quo ante, et la pagaille africaine, tout aussi certaine, en cas d’acceptation d’un Etat de l’Azawad, que faut-il choisir ?

Une troisième voie éventuelle pourrait consister à convaincre le Mali d’accepter, un peu à l’instar de la partition tchécoslovaque, la transformation de ce pays en une fédération, dans laquelle l’Azawad aurait une large autonomie. Cumulerait-on ainsi tous les avantages ou, au contraire, tous les inconvénients ? Pas facile de le dire, et ce dilemme est typique des décisions politiques à prendre, aux grandes conséquences.

Au milieu d’une tempête de sable, plusieurs routes s’ouvrent, conduisant à des avenirs très différents, pour un continent tout entier. Dans cette tempête, un choix est à faire, rapidement.

[1] Cf http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Mali-le-pire-n-est-pas-certain

[2] Cf http://www.elwatan.com/actualite/urgent-mali-les-diplomates-algeriens-liberes-08-04-2012-165991_109.php

[3] Cf http://www.bernardlugan.blogspot.fr/2012/04/mali-une-guerre-qui-en-cache-une-autre.html

[4] Cf article d’El Watan (note 2) et la remarque du blogueur « causetjr »

[5] Cf http://www.lefigaro.fr/international/2012/04/08/01003-20120408ARTFIG00163-une-francaise-echappe-a-aqmi-grace-aux-touaregs.php

[6] Cf http://www.francetv.fr/info/mali-le-president-att-demissionne-et-ouvre-la-voie-a-la-transition_81655.html

[7] Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest.Cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_%C3%A9conomique_des_%C3%89tats_de_l'Afrique_de_l'Ouest

[8] L’Algérie compte plus d’un million de touaregs sur son territoire. Cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Touareg

[9] Qui les a soutenus, après les avoir combattus. Cf Bernard Lugan (note 3)

[10] A l’instar de Rome pactisant avec certaines tribus barbares, comme les francs par exemple, et s’en faisant des alliés contre les autres.  C’est ainsi qu’est né notre pays. Cf « Clovis » de Michel Rouche.

[11] Cf http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Mali-le-pire-n-est-pas-certain