Macron, le progressisme et la «réaction conservatrice».

[Source : Figaro VOX]

FIGAROVOX/TRIBUNE - Emmanuel Macron considère que « le nouveau clivage est entre progressistes et conservateurs ». Mais, pour Vincent Trémolet de Villers, on s'interroge encore sur le visage de ceux qu'il veut affronter.

«En marche», «rassembler», «nouveaux espaces», «cheminer», «donner du sens», «ouvrir» , «espérance»: Emmanuel Macron regarde au loin. Il parle parfois comme un manager en session de «team-building», un animateur paroissial qui aurait fréquenté les meetings de Ségolène Royal en 2007. Pour le moment, impossible de tracer un périmètre idéologique, de définir précisément ce qu'est sa pensée: à l'entendre, le chemin n'a pas de but, parce que le but c'est le chemin. Certes, une remarquable interview dans la revue Le 1, il y a deux ans, rappelait ce qu'il doit à Aristote. Son discours d'Orléans dans lequel il établissait curieusement une généalogie entre Jeanne d'Arc et les pères fondateurs de l'Union européenne, son opposition à la déchéance de la nationalité comme son explication économique et sociale du terrorisme donnent quelques indications. Indications que renforcent les gestes qu'il met en scène depuis plusieurs mois: entrer tout sourire dans une Google Car et conduire le char de Ben-Hur au Puy-du-Fou. Il n'est pas un moderne contre les anciens puisqu'il est l'un et l'autre. Son allure de héros stendhalien, ses manières de bon jeune homme, cette souplesse qui permet de passer des humanités à la banque d'affaires, du conseil politique à la frénésie médiatique le renvoient du côté de chez Balzac et de l'ambition à la française ; sa lucidité sur les bouleversements économiques à venir (ubérisation, fin du salariat…) le connecte aux yuppies londoniens.

«Le nouveau clivage est entre progressistes et conservateurs»: c'est l'indication la plus précieuse que nous livre Emmanuel Macron. D'abord parce qu'elle touche juste. Sur l'Europe, l'économie, l'école, l'écologie, le féminisme, l'islam, l'intégration, le vieux clivage a volé en éclats. Le Brexit, la loi El Khomri, la réforme du collège, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l'agriculture intensive, la GPA, le burkini: tous ces sujets divisent la droite et la gauche. Ils opposent, selon la terminologie imposée, le parti des «ouverts» contre les forces du «repli».

Ensuite parce qu'elle illustre le fossé immense qui sépare «la France qui va bien» de celle qui s'inquiète, les centres-villes de la France périphérique, les partis politiques des électeurs.

On nous dira qu'aucun homme politique ne se proclame conservateur. Le mot, en effet, fait peur. «Les conservateurs,écrit le philosophe Roger Scruton*, évoluent en silence et avec discrétion, attrapant le regard de leurs semblables là où ils se trouvent, comme les homosexuels chez Proust, que ce grand écrivain comparait aux dieux d'Homère.» De droite comme de gauche, d'extrême droite comme d'extrême gauche, presque tous les politiques s'affichent comme évidemment «progressistes». Ils combattent «tous les conservatismes» sans que l'on sache bien s'il s'agit de la moustache de Philippe Martinez, du refus de Tafta ou du scepticisme devant l'injonction «de faire France dans un nous inclusif et solidaire». Quel conservatisme Emmanuel Macron veut-il affronter: celui de Philippe Martinez ou la «réaction conservatrice» (Pierre Nora) qui traverse le pays d'élections en manifestations, cette crainte de la dépossession qu'expriment, à l'ombre d'Albert Camus, des penseurs comme Alain Finkielkraut ou Jacques Julliard?

Pour nous éclairer quelques-uns de ses soutiens le peignent en Justin Trudeau à la française. Trudeau? Écoutons le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, «le Canada de Trudeau représenterait la prochaine étape dans l'histoire de l'humanité: il se réclame d'une forme de progressisme incandescent et se veut un citoyen global exemplaire dans une humanité mondialisée». D'autres «macronistes» (et non des moindres) assurent qu'il se montrera moins irénique, plus «régalien».

La ligne de fracture, en réalité, sépare deux camps. Celui qui considère que les droits individuels sont illimités et qu'ils forgent «une humanité réconciliée, délivrée de ses différences profondes, où les identités pourraient circuler librement et sans entraves dans un paradis diversitaire»(Bock-Côté encore). Celui qui pense que «l'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre: il est nu et condamné au désespoir» (Bock-Côté toujours). Débat qui s'est cristallisé ces derniers jours sur un morceau d'étoffe, le burkini. Les tenants des droits individuels (de gauche comme de droite) se sont opposés à ceux qui ont défendu «le droit des peuples à la continuité historique» (Bérénice Levet). Ce sera le débat central de 2017. Jusqu'ici, Emmanuel Macron n'en a rien dit.

*Roger Scruton, De l'urgence d'être conservateur, (éd. l'Artilleur, à paraître le 21 septembre).