Les Inrocks

Evelyne Prouvost, fille du fameux magnat de la presse française, dirigeait il y a peu le non moins fameux mensuel Marie-Claire. On avait régulièrement droit en couverture à l’affichage promotionnel de pratiques qu’on eut dit il y a encore quarante ans – hier en somme – au bas mot étymologiquement déviantes, auxquelles, en tout cas, on ne s’adonnait que sous la couverture (ici, pas toujours au sens propre.) Quelle ne fut notre surprise lorsque nous apprîmes qu’« elle allait à la messe » ! Une tala, comme on disait au quartier latin, il y a soixante ans quand même, des étudiants cathos. Alain Weill (voir en Décryptage notre « lettre ouverte » du 2 septembre 2011), patron du groupe multimédias BFM qui chapeaute RMC, en compagnie de son épouse, éduque fort bien sa progéniture. Il est cependant exclu qu’on puisse faire sauter Lahaie de la grille des programmes. Cette ancienne actrice (le genre cinématographique dans lequel elle s’affichait commande ce terme) dispense au reste en semaine ses suaves conseils à une heure (début d’après-midi) où, comme on le sait, seuls les chauffeurs-routiers sont à l’écoute, où, en tout cas, les garnements sont censés penser à autre chose. Ces anecdotes nous revinrent en tête en lisant cette semaine Les Inrocks

S’en dégage les senteurs des années soixante-dix, celles du magazine Actuel, de toute cette « culture » qu’on appelait alors underground, mais qui a maintenant pignon sur rue. Le tout à la sauce libérale-libertaire de 2011. On aurait bien tort de s’en sortir avec le consensuel «Il faut de tout pour un faire un monde». La lecture des Inrocks est d’abord un des moyens les plus précis, les plus rapides de prendre le pouls de son époque. Les pulsations y sont toujours aussi arythmiques (mais c’est, en miroir, les lecteurs qui sont tachycardiaques) et ça balance toujours pas mal. Michel-Antoine Burnier (un vieux de la vieille, une sorte de chroniqueur du monde de la gauche aussi avisé que peut l’être Patrick Rambaud, autre Saint-Simon de la cour de Sarko Ier ), pince-sans-rire, fait, beaucoup plus finement qu’Alain Duhamel, son miel (éternel) de la cuisine des partis, d’autant plus hilarante que ceux-ci, tel EE-LV, de parti, en refuse l’esprit. On est jaloux d’un certain Pierre Conte, non moins sévèrement burné, qui pourra toujours se faire embaucher au Canard si, comme il feint de le croire, la situation financière venait à l’y contraindre. Le marronnier drôlement fleuri, même à l’automne, que sont devenues dans la presse les plaintes et complaintes d’un professorat en perdition est constitué ici, cette semaine, d’un reportage malheureusement (donc sûrement) fidèle à la réalité. Manque cependant la conclusion qu’on doit en tirer. C’est peut-être mieux ainsi : primo, parce que les faits parlent d’eux-mêmes (ils sont «têtus» disait Lénine) ; secundo, parce que Jean-François Revel avait raison d’écrire que Lénine avait eu tort de penser cela (les faits, comme les statistiques, comme la loi et comme beaucoup d’autres choses sont affaires d’interprétation) et qu’on est ainsi pas sûr qu’Anne Laffeter aurait tiré dans la même direction que nous. On rejoindra presque Nelly Kaprièlian lorsqu’elle écrit de Bernard-Henri Lévy qu’après s’être «longtemps méfié du personnage et de son image», il fallait, après ses virées en Lybie, lui reconnaître un «sens de l’éthique», c’est-à-dire d’une certaine (c’est nous qui restreignons) «conformité des paroles aux actes». On sourira (pour être poli) lorsqu’elle en fait «un philosophe digne de ce nom», comparable à Sartre et Spinoza. En lisant cela, Pierre Nora rira. Quant à feu Raymond Aron, il nous avait déjà démontré ce qu’il fallait penser de la fiabilité du personnage.

Alors revenons à nos anecdotes du début. Nous ne connaissons guère d’élève aussi discret, constant, organisé,- et qui a mené sa barque et les baraques (du Centre national de la cinématographie à France-Culture en passant, entre autres, par le conseil au grand battu de 2002) [1] dont il a eu charge comme si de rien n’était - que David Kessler. Nonobstant l’agrégation de philo, Normale Sup’ et l’ENA, son majorat à ces grandes écoles, dont il ne fait pas ostension, sa discrétion, avons-nous dit, contraint à ne reconnaître le brillant qu’à sa personne et à son parcours, moins à son discours qu’il souhaite conciliant, diplomate, plein d’une certaine mansuétude. Il ne haussera le ton qu’en réponse aux dénigrements de l’un de ses successeurs à Radio France, Jean-Luc Hess, afin que cela cesse. Il a présidé le Mouvement juif libéral, et sa mère, Colette Kessler a écrit bien des ouvrages [2] soulignant les résurgences récurrentes de la religion hébraïque biblique dans le catholicisme, laissant augurer entre les deux une confluence à terme, même si ce terme, en bonne théologie, ne saurait peut-être se dire qu’eschatologique.

Certes, l’ours (l’organigramme) d’un journal est comparable à celui d’une armée mexicaine (les fonctions s’y chevauchent en fait) et David Kessler n’est que directeur général. Cependant, revenons plus haut. En notre commencement, on a fait état d’un contraste, d’un contraste qu’il faut bien avouer proprement saisissant entre ces généraux et leurs armées. Ou, plus exactement, entre ces généraux et le sens, l’objet, la portée des batailles qu’ils mènent, des munitions (arguments, normes, jugements ou préjugés) qu’ils utilisent pour ce faire. On aimerait recueillir le sentiment des combattants.

Toutefois, et notons-le dès à présent : contraste ne signifie pas contradictions, et celles-ci ne sont souvent synonymes que de complexité de la vie.

[1] Lionel Jospin

[2] le dernier aux éditions Parole et Silence