Lettre ouverte à Aurélien Pradié, secrétaire général des Républicains

Source [L'Incorrect] Christophe Billan est l’ancien président de Sens commun. C’est lui qui a tenu la barre pendant le naufrage de la campagne Fillon. Il adresse cette lettre ouverte à l’actuelle direction des Républicains dont il déplore le chiraquisme, qui selon lui ne mène nulle part.

Monsieur le SG,

Au moment où les Républicains jettent avec incohérence et inquiétude leurs dernières forces dans la bataille des municipales, vous avez jugé opportun d’œuvrer à l’exclusion d’Erik Tegner de ce parti. Je ne connais pas ce jeune homme. Pour tout vous dire, je ne suis pas certain de comprendre la sinuosité de son parcours et son bouillonnement politico-médiatique. Toutefois, votre acharnement à couper une tête représente à mes yeux une faute grave. Elle est également un nouveau symptôme du mal profond qui ronge la droite depuis trop longtemps. Enfin, le cynisme, la vulgarité et les approximations dont vous avez fait preuve pour justifier votre rage dans les médias manifestent l’incapacité persistante des Républicains à apprendre de leurs erreurs.

Une nouvelle fois, cette posture stalinienne met en lumière votre indifférence au quotidien du peuple français. Vous déployez des trésors d’ingéniosité pour esquiver le réel et échapper à ses exigences. Vous le traversez sans jamais le comprendre au point d’être incapable de le maîtriser. Comme à l’accoutumée, vous préférez favoriser les combinaisons partisanes et utiliser des poncifs éculés qui ne trompent plus personne. Au cours de cette séquence par exemple, votre ligne de communication, répétée Ad nauseam, comportait deux volets simplistes : votre attachement entier au Chiraquisme et la nécessité d’offrir une alternative au conservatisme et au progressisme.

En réalité, ces deux postures peinent à dissimuler la dévitalisation de la droite depuis quatre décennies. Vous vous inscrivez dans la continuité d’un parti qui s’est installé dans une douce médiocrité de sorte que toute pensée ou action politique deviennent impossibles. Vous vous êtes abandonné au cours des choses ; les événements que vous fuyez ne vous instruisent jamais ; vous refusez de poser des actes qui résonnent dans le temps long. Bref, vous laissez le destin de notre pays en jachère et les procès en sorcellerie ne suffisent pas à effacer cette tendance lourde et dramatique. Votre formule « ni conservatisme, ni progressisme » est un non-sens dans la mesure où ce « ni…ni », à l’instar du « En même temps » macronien ne propose aucune vision ni projet politique. Vous vous obstinez à ignorer ce qui a fait la grandeur de Richelieu et le génie du général de Gaule : la mise en œuvre d’une « révolution conservatrice ». C’est bien sur les deux facettes de cet oxymore que l’identité de la droite s’est progressivement construite : le souci de préserver la stabilité d’une civilisation millénaire et la volonté de faire face au tumulte du réel. Erik Tegnér, même maladroitement, appartient à une génération qui ne supporte plus les reniements et la lâcheté.

Cela explique sa volonté de dialoguer avec des personnalités soucieuses -au moins en apparence- d’assumer les principes historiques de la droite. Il fait partie d’une cohorte de militants qui refuse le départ ou la résignation des milliers de militants LR qui vous font défaut aujourd’hui. Ces derniers ne se sont pas évaporés dans la nature. Ils ne se sont pas transformés en fascistes soucieux d’en découdre avec la démocratie. Ils ne sont pas devenus des passéistes qui refusent la marche de l’histoire. Ils se sont simplement lassés du déshonneur et de l’impuissance de la droite. La tête que vous brandissez devant des rangs clairsemés puis la vulgarité jacobine de vos propos ne changeront rien à ce constat : vous ne savez plus convaincre car vous avez trahi vos principes et votre histoire.

J’ai également été frappé, au cours de cette séquence, par votre obstination à recourir au cynisme. J’évoquais ces bataillons de militants qui ont fui votre parti. Soyez persuadé que votre propension à mépriser leur intelligence accentuera encore davantage cette terrible hémorragie. De fait, votre « ni…ni » n’est pas simplement une absurdité politique. Il est aussi un insupportable accommodement avec la vérité. Il nie le quotidien des Français qui observent, incrédules et inquiets, les grandes manœuvres électorales dans leur municipalité. Pour justifier votre acharnement, vous avez évoqué, à maintes reprises, la suspension par votre parti d’une candidate à la mairie de Fréjus au prétexte qu’un député LREM figurait sur sa liste.

Vous savez bien que cette mise à l’écart correspond à d’autres enjeux locaux. Vous n’ignorez pas que cet arbre frêle est incapable de dissimuler l’immense forêt de compromissions avec la Macronie. Qui peut, en effet, ignorer la double allégeance LR et LREM de Jean-Luc Moudenc à Toulouse ? Qui peut oublier le double jeu persistant de Christian Estrosi qui, cette fois, intègre ouvertement des représentants LREM et Modem à Nice ? Qui peut être indifférent aux grandes manœuvres de Francois de Mazière qui n’hésite pas à offrir la tête de Francois-Xavier Bellamy sur un plateau pour favoriser ses tractations avec La République En Marche à Versailles ? Qui peut négliger le double soutien LR et LREM de Jean-Louis Louvel à Rouen ? Vous balayez ces interrogations de fond en expliquant la complexité des enjeux locaux. Dont acte, mais le « deux poids, deux mesures » dont vous faites preuve une fois encore n’est pas tenable. En tout cas, il ne satisfait plus la base militante qui vous fuit.

 

Votre obstination à couper une tête est donc une double absurdité. Elle manifeste l’étendue du naufrage d’un parti. Plutôt que d’exclure et de mépriser, je vous recommande de regarder la réalité en face. La situation exige l’émergence d’une alternative crédible capable de relever les immenses défis auquel notre pays est confronté. Cela suppose de rompre avec le déshonneur de la droite théorisé par un Chiraquisme dont vous vous réclamez. Certes, la personnalité qui a inspiré ce courant était attachante mais son refus d’assumer les principes historiques de la droite et le dévoiement de l’esprit de la V° République qui a en découlé furent deux erreurs tragiques. Reconstruire une droite véritable nécessite, au préalable, de ne plus ignorer cette réalité. Les anathèmes, les caricatures, les accommodements tragiques et les exclusions n’y changeront rien. La Macronie attire comme un astre noir ce qui reste de vos forces. Les régionales et les sénatoriales confirmeront une tendance qui exigera d’autres bouc-émissaires. Vous serez peut-être dans cette charrette.

 

 

 

Christophe Billan