Les notions de nation et d'individu.

[Source : FigaroVox]

Alors qu'un prêtre a été égorgé par des islamistes à Saint-Etienne-du-Rouvray, Guillaume Bigot voit dans la litanie des massacres depuis un an les ferments d'une guerre civile. Il appelle nos dirigeant à retrouver le sens de l'Histoire.

Dès sa fondation par Hugues Capet, le royaume de France fut travaillé par l'unité. La France n'est pas innée, elle fut acquise par les armes. Notre pays est tout entier un projet d'unification. Ce projet a réussi, il est devenu une République «indivisible», cadre juridique d'un peuple toujours prompt à se déchirer. Mais cette «volonté de vivre ensemble» qui a forgé la France n'est pas un «vivre ensemble». La France est redevenue une volonté forte qu'il n'a jamais été bon de contrarier.

Notre peuple est artificiel et ultra politique. En son sein, les divisions sont potentiellement inflammables. Les Français tolèrent mal la diversité de communautés, difficilement compatibles avec l'idéal et la dynamique nationale de l'unité. Nos élites n'aperçoivent pas le danger. Profondément américanisés, nos dirigeants ne comprennent pas le risque.

La grande nation n'a jamais été homogène à la manière de l'Allemagne qui fut peuple avant de devenir État. La France ne fut jamais mono ethnique car ses tribus «de souche» aussi diverses que les migrants venus l'augmenter depuis un siècle. Les Français exogames ne veulent pas vivre «chacun chez soi» mais «unis chez eux.» À l'inverse, les Anglo-saxons ne sont guère incommodés par le voile islamique car un «wasp n'épouse pas facilement une pakistanaise ou une nigériane.

Cet idéalisme naïf (»nos ancêtres les gaulois»), ce goût de l'unité abstraite («les jardins à la française, cartésianisme, dissertation..») peuvent se muer en redoutable intolérance. La France est terre de mélange mais d'un mélange qui peut s'avérer détonnant. Notre fraternité peut dégénérer en férocité (les «fré-roces» disait Lacan). Après Charlie, après le Bataclan, après Nice et après ce qui viendra après, il est vital de l'empêcher.

Après avoir entretenu et diffusé l'auto-flagellation nationale pendant trente ans, les programmes scolaires mais aussi les médias et certains politiques ont engendré une minorité d'aliénés qui ne savent plus qui ils sont et qui se haïssent à force de ne plus pouvoir s'admirer.

Ce danger est d'autant plus ignoré par notre classe dirigeante actuelle qui semble oublier que la France, contrairement aux Etats-Unis, notre pays n'est pas qu'une terre d'immigration. Les indigènes y restent majoritaires. Par une singulière inversion, l'expression «indigènes de la République» désigne précisément les enfants des allogènes. Nous sommes dans le déni.

Dans ce fantasme d'Etats-Unis, nous sommes invités à respecter les différences et l'identité de toute les communautés. Toutes sauf une… la communauté «gauloise» qui, elle, est priée de s'effacer en ruminant ses fautes (Vichy ; torture en Algérie ; etc.).

Certes, des Français ont commis des crimes imprescriptibles. Bien sûr, la colonisation a parfois su se montrer odieuse. Se comparer, c'est néanmoins se consoler et cesser d'expier.

Jamais la France n'aura sur la conscience l‘irréparable commis par les États-Unis sur les indiens ou ne portera l'écrasante culpabilité d'une Allemagne dont le «grand conquérant» s'est suicidé, comme il avait vécu, ignominieusement, dans un bunker. Notre pays n'a pas non plus à ressasser le remords qui rongera un jour l'âme russe ou chinoise lorsque le souvenir des goulags ou de la révolution culturelle remontera à la surface de leur conscience nationale.

Nos classes dirigeantes aspirent à l'universalisme juridique des Etats-Unis mais oublient qu'aux Etats-Unis d'Amérique, un patriotisme puissant soude les communautés. Tous les enfants y plaident allégeance à la bannière étoilée.

Nouveau hic, le drapeau de l'avenir que brandissent nos élites n'est plus le tricolore mais celui d'une Europe sans âme, ni substance politique et dont les principales réalités sont monétaires (l'Euro, la PAC ou encore les fonds structurels). Personne n'ira mourir pour Bruxelles pour la même raison que personne ne se fera trouer la peau pour les fonds de pension.

Circonstance aggravante, la globalisation est censée nanifier notre patrie. Israël, la Corée ou Singapour semblent pourtant de petites nations pleines d'allant et ceci en pleine mondialisation.

Fort heureusement, la «grande nation» reste une réalité, encore engourdie mais pleine d'avenir. Une réalité qui a peu de rapport avec ce «vivre ensemble» que l'on veut nous imposer.

Si l'on ne rompt pas avec ce passé qui plombe («la repentance») et avec cet avenir qui dissout («la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir»), nous allons nous réveiller dans un présent fracturé. En France, aucune minorité ne s'est jamais dressée contre la majorité sans en payer le prix. Et ce prix fut souvent celui du sang (Huguenots, Vendéens, nobles, collabos encore en 1940).

C'est pourquoi, il ne faut plus jamais parler des «populations musulmanes» pour désigner nos compatriotes de confession musulmane mais d'un peuple, le nôtre dont ils doivent désormais faire partie intégrante. «Il faut tout leur refuser comme nation et tout leur accorder comme individus. Il faut qu'ils ne fassent dans l'Etat ni un corps politique ni un ordre. Il faut qu'ils soient individuellement citoyens.»Le programme de Clermont Tonnerre à l'égard des Juifs, celui de la Révolution, reste d'une brûlante actualité. C'est pourquoi, il faut assimiler les musulmans. C'est aussi pourquoi, il faudra aussi tenir à leur égard la promesse de la fraternité et de l'égalité. Il est urgent de faire l'amalgame, seul moyen pour prévenir de redoutables amalgames.